Nous y sommes, la France retient son souffle, voilà des jours et des jours que j’entends en permanence l’évocation de cette date, nous y sommes, le 11 mai.
Le grand jour du déconfinement, vous connaissez toutes les modalités de celui-ci, dans les moindres détails, on vous bassine avec les règles, vos droits et votre liberté retrouvée. Et nous en prison, que veut dire le mot déconfinement dans un univers créé dans le seul but d’être confiné ?
« Ici pas de chaine info pour couvrir les dernières news »
J’ai eu l’occasion de vous faire part d’un confinement dans le confinement il y a de cela quelques semaines, je vais aujourd’hui vous raconter ce que donne un déconfinement en prison, dans un lieu de privation de liberté.
Tout d’abord, ici pas de chaine info pour couvrir les dernières « news ». Dehors vous avez un sentiment de flou sur la situation ? Ici le terme « flou » est un euphémisme. Et en tout état de cause, après plusieurs semaines déconfinées en prison, le « flash info » s’il y avait dû en avoir un, aurait été bien inintéressant.
En temps normal, le quotidien est rythmé dans cet établissement pour peine, par une ouverture des cellules de la journée nous permettant de circuler dans notre aile, et nous donnant un tant soit peu une liberté de mouvement. Mais cette routine a été contrariée par la pandémie.
Il a été mis en place une ouverture alternée des portes afin de ne pas être trop nombreuses dans la coursive. La coursive est ce long couloir à l’éclairage au néon dans lequel tout se passe, les discussions entre voisines, la petite marche de la journée histoire de garder un peu de mobilité.
C’est un mélange entre couloirs d’hôpitaux et d’abattoirs, la lumière n’y entre jamais, la vie non plus. Toutefois, quand on a connu un enfermement en maison d’arrêt 20h/24h, avec aucune liberté de circulation, cette petite sensation d’indépendance est appréciable.
L’ouverture alternée m’a donc fait rebasculer dans cette routine de dépendance. Mais, pour la grande majorité d’entre nous, avec le sentiment que c’était là le prix à payer afin d’éviter une transmission du virus.
Alors naïvement, le déconfinement nous a laissées penser que nous rebasculerions en régime porte ouverte, que nenni ! Voilà donc une absurdité du régime sécuritaire derrière lequel l’administration pénitentiaire à l’air de se planquer.
« Notre seul contact, les surveillant·es et le personnel médical masqués »
Presque deux mois de confinement, et je vous le garantie, nul doute qu’il a été respecté… (ahahah). Plus aucune activité, de parloirs, visites d’avocats, permissions de sortie, même pas d’arrivantes. En établissement pour peine, les transferts ont été suspendus. Et pour le déconfinement, c’est toujours la même chose.
Notre seul contact : les surveillant·es et le personnel médical masqués. Alors, je ne pense pas trop m’avancer en disant que nous n’avons pas le Covid-19.
Néanmoins, je vois en ce satané virus une excuse toute trouvée pour mettre en place une politique de l’extrême précaution, voire une politique de l’absurdité.
Bon, vous me direz que je me plains alors qu’au moins, les parloirs ont repris. Parlons-en. Une visite des familles se fait dans une salle commune ou en hygiaphone, avec une vitre nous séparant. Une seule personne est autorisée, pas de visites d’enfants, le port du masque obligatoire et l’interdiction pour les proches de ramener du linge. Étrange, car il me semble avoir entendu que le virus, ne survivait pas sur les vêtements plus de quelques heures.
La réponse donnée par la détention :
« Nous n’avons pas de place pour stocker des sacs de linge durant quelques jours ».
Ne vaut-il mieux pas ne pas répondre que de donner une réponse aussi absurde ?
« Venir au parloir n’est pas un « motif impérieux » »
De toute manière, avec la règle des 100 km, beaucoup n’ont pas pu venir ou se sont exposés à une amende, s’ils prenaient le risque. Car venir au parloir n’est pas un « motif impérieux ».
Bien évidemment, plus d’Unité de Vie Familiale nous permettant de recevoir nos proches jusqu’à 72h, et les permissions de sortie ont d’abord repris mais dans la limite des 100 km (là non plus, n’étant pas un motif impérieux), et avec un confinement imposé de 15 jours au retour, en dehors de sa cellule dans une unité spécifique.
Il vaut donc mieux nous entasser dans des cellules potentiellement infectées par l’occupant·e précédent·e et pas obligatoirement désinfectées comme il le faudrait ? Je suis perplexe, tout dépend donc de l’auxiliaire d’étage, un·e détenu·e payé une misère (2 euros de l’heure), avec des protections dérisoires : un masque en papier si fin qu’il en est tout transparent, un désinfectant coupé à l’eau et des gants en latex réutilisables.
« Ici, les masques sont interdits »
Dehors, c’est jamais sans votre gel hydroalcoolique, votre masque et votre désinfectant ? Ici, en prison, les masques sont interdits, si nos proches nous en envoient, ils sont bloqués dans notre « fouille ». Je les récupérerai à ma sortie quand ils seront périmés et moisis, je les brûlerai comme le gouvernement l’a fait.
Le gel hydroalcoolique est banni, au cas où je voudrais le boire ! Le désinfectant pour nettoyer la cellule dans laquelle je suis confinée ? A quoi bon ! Il n’y en a pas à l’achat sur notre catalogue de cantine, ultime frustration d’entendre à longueur de journée qu’un nettoyant simple ne suffit pas à éliminer le virus.
Je me suis dit qu’au moins les cantines exceptionnelles pourraient reprendre, qu’on allait se consoler avec l’achat de nos shampoings, crèmes, et autres petites choses de filles, mais nos espoirs ont vite été anéantis !
« Se déplacer dans un supermarché ? On n’est pas payé à risquer notre vie », nous répond la cantinière (personne employée par une entreprise privée au sein de l’établissement pour s’occuper des « achats » des détenus et de la livraison).
Le monde se déconfine. Je ne compte pas le nombre de professions au front durant cette crise. Mais aller au supermarché et prendre le risque que le Covid-19 nous saute au visage, jamais ! J’ai connu des métiers plus à risques. Mais ce n’est que mon avis.
« Un forfait téléphonique d’un montant de 25 euros pour le mois de mars et de 40 euros pour les mois d’avril »
Un point positif néanmoins, et je le note quand il y en a, car je suis de celles qui pensent qu’un avis nuancé permet une meilleure crédibilité, d’autant plus dans ma position de détenue.
Le gouvernement a fait un geste non négligeable durant le confinement en nous donnant à toutes et tous un forfait téléphonique d’un montant de 25 euros pour le mois de mars et de 40 euros pour les mois d’avril et mai afin que nous puissions compenser l’absence de visite de nos proches.
Belles initiatives, mais sachez que 40 euros correspondent approximativement à 4h d’appels sur un fixe et 2h sur un portable. Regardez le temps que vous avez passé durant cette période au téléphone, je vous garantis que ce n’est pas assez.
Toutefois, je relève le geste louable, bien qu’il devrait poser question, le fait qu’en détention un tel business soit fait sur les appels des détenus, quand on sait combien coûte à l’extérieur un forfait tout illimité. En outre, les abonnements mensuels de la télévision et du frigidaire nous ont été offerts, là aussi je note la main tendue, elle est rare mais appréciable.
« Ne sommes-nous donc pas tous égaux face à ce confinement ? »
Je terminerai en évoquant la carotte tendue par la justice à nous, détenu·e, avec une remise de peine exceptionnelle de deux mois pour ceux et celles qui ont respecté·e·s les mesures de confinement et les règles mises en place.
Là encore, un geste respectable qui cependant comporte des conditions aux motifs du chef d’inculpation, et non aux motifs du profil de la personne détenue.
Nous avons dans la grande majorité tenue ce confinement avec sérieux je dois le dire. Mais nous ne serons pas récompenser de la même manière. Ne sommes-nous donc pas tous égaux face à ce confinement ?
Là encore, je trouve cela important de noter le geste, et aussi tous ces détenu·e·s libéré·e·s car ils et elles étaient à quelques mois près en fin de peine et que leurs dossiers le permettaient amplement.
Je reste toutefois dubitative face à cette situation, il a fallu une pandémie mondiale pour que, pour la première fois, les prisons françaises passent en dessous du seuil de surpopulation en mettant en place des mesure de placement extérieur; mesures qui existaient déjà avant le Covid-19.
« On ne sent pas de phase 2 de déconfinement en prison »
Concernant la phase 2, on ne la sent pas véritablement en prison. Les parloirs sont toujours réduits à une heure par semaine. Reprendront-ils normalement ? Mystère.
Les activités seront elles rétablies ? Pour les femmes, cela ne changera guère puisque ces activités sont rares en temps normal. Le gymnase est rouvert mais pas la salle de musculation.
“L’école”reprend très doucement…mais l’année scolaire s’achève.
Que se passera-t-il au moment de la phase 3 ? Nous serons informés bien après le 22 Juin. Nous savons déjà que les Unités de vie familiale (permettant de se retrouver en famille) annulées en mars, seront rétablies début juillet d’abord pour les personnes n’ayant pas bénéficié de permission. Les autres attendront septembre.
En prison, mieux vaut oublier le temps.
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