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« La reprise des cours le 11 mai me semble utopique »

« Ne pas décupler le numérique pour ne pas trop amplifier les inégalités »

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Bureau en télétravail. Photo envoyée par l'enseignant.

[TÉMOIGNAGE] P. est professeur d’histoire-géographie dans un lycée de l’Allier. Depuis le début du confinement, il a réussi à maintenir le contact avec la quasi-totalité de ses élèves. Il ne croit pas à une reprise des cours le 11 mai : « Si le retour à l’école se fait sur la base du volontariat, les élèves décrocheurs ne reviendront pas ».

« Depuis le début du confinement, le temps de travail est plus intense. Un des changements majeurs est l’éclatement de la plage horaire de travail. J’habite à la campagne et la connexion internet n’est pas de bonne qualité. En fonction de mes besoins, je me connecte très tôt ou très tard (à partir de 5h30 et après 22h) en complément de mon travail dans la journée. »

« Ne pas décupler le numérique pour ne pas trop amplifier les inégalités »

« Par rapport à d’autres collègues je suis peut-être mieux préparé. Je travaillais déjà beaucoup avec le numérique. Tous mes cours sont déjà en format numérique. J’envoie régulièrement à mes élèves des articles ou des liens vers des vidéos complémentaires et j’avais déjà collectés des travaux numériques d’élèves depuis le début de l’année.

Pour le travail au jour le jour avec les élèves, j’ai pris le parti de ne pas décupler outre-mesure l’utilisation du numérique afin de ne pas trop amplifier les inégalités existantes. En effet, la situation des élèves est extrêmement variable. Tant en terme d’accès internet qu’en terme d’équipement. Dans le cas de plusieurs élèves, l’ordinateur est partagé avec les sœurs/frères auxquels il faut rajouter les parents en télétravail. C’est pourquoi, je m’appuie au maximum sur les manuels ainsi que sur quelques vidéos (que les élèves regardent souvent sur leur téléphone). »

Un lycée virtuel sur Discord

« Le temps de préparation des cours est surtout consacré à la création de diaporama pour les cours en visio. Ainsi qu’à la mise au propre et à l’actualisation des cours à envoyer aux élèves, aux corrections des devoirs maisons, et à la recherche de documents pertinents (pour les DNL [enseignement en langue étrangère, ndlr]).

Bureau en télétravail. Photo envoyée par l'enseignant.
Bureau en télétravail. Photo envoyée par l’enseignant.

Le lien avec les élèves reste important dans quasiment toutes les classes. Je maintiens le lien grâce à l’ENT (environnement numérique de travail, ndlr) qui reste l’outil prioritaire pour envoyer des mails, répondre aux questions, donner des devoirs. Mais, dans notre lycée, un groupe de terminale motivé à recréer le lycée virtuellement sur « Discord » (plateforme de discussion où l’on peut créer des salons de discussions privés, ndlr) avec une « salle des professeurs », ainsi que toutes les classes avec les professeurs associés.

Malgré les questions et les débats existant sur cette plateforme, de très nombreux professeurs de mon lycée utilisent cette application car les élèves sont nombreux à être connectés. Personnellement, je l’utilise pour communiquer en direct (chat’) avec les élèves si j’ai une question pressante (notamment pour l’orientation en seconde), et je fais un cours de 2h par semaine avec une terminale S.

Autrement, avec mes autres classes, je m’appuie sur la classe virtuelle du CNED pour faire mes cours. De plus, tous mes élèves (et leurs responsables) ont mon adresse mail professionnelle pour me contacter. Enfin, dans le cadre de mes fonctions de professeur principal, je téléphone ponctuellement à des élèves ou à leurs responsables afin de remotiver les élèves qui sont en retard dans les retours de devoirs, qui ne sont pas très présents dans les différents « cours », ou pour les questions spécifiquement liées à l’orientation. »

Un établissement qui soutient toutes les activités pédagogiques

« L’administration de mon établissement est très réactive, nous fournit les informations qu’ils ont et soutient toutes activités pédagogiques en cette période. Ils sont également attentifs à notre bien-être afin d’éviter des burn-out.

Quant au reste de notre ministère, le ressenti est beaucoup plus critique. Les déclarations sont foisonnantes et peu lisibles et souvent contre-productives. Les acteurs locaux de l’éducation font le travail sans attendre les consignes.

Lors de mes contacts téléphoniques j’ai eu à faire face à des cas radicalement différents. Ainsi, lors d’un appel, j’ai passé 30 minutes à rassurer à une mère d’élève (parent isolé) et à lui donner des conseils car elle était dépassée par l’attitude de son fils. Ce dernier reste dans sa chambre et affirme faire les devoirs (qu’il ne fait pas) alors qu’il s’agissait d’un élève sérieux et travailleur. Cette maman est en télétravail. Elle utilise le seul ordinateur de la maison sur ses heures de bureau et ne peut pas suivre en permanence son enfant.

En revanche, j’ai une élève qui a été difficile à motiver toute l’année scolaire mais qui, désormais, est très active en « cours ». Elle renvoie les documents et les devoirs très rapidement, et ce malgré un sous-équipement en matériel informatique. »

« On peut poursuivre l’école à distance jusqu’au 4 juillet »

« Il y a toujours des commentaires contradictoires, mais les enseignants sont globalement remerciés de leurs efforts et de leur travail. Ainsi, certains responsables trouvent que l’on donne trop de travail et d’autres pas assez. Néanmoins, dans la très grande majorité des cas, les familles et les élèves nous remercient de notre implication et de notre réactivité.

Je n’ai pas d’avis très arrêté sur le calendrier. Je pense que l’on peut poursuivre l’école à distance jusqu’au 4 juillet et repartir sur de bonnes bases en septembre.

En revanche, la reprise le 11 mai me semble utopique, idéologique, dangereuse et faîte à la va-vite. On a l’impression que les écoles doivent être rouvertes pour faire office de garderie. Quitte à ne plus prendre en compte les avis de la grande majorité des scientifiques. Si le retour à l’école se fait sur la base du volontariat des élèves, les élèves décrocheurs ne reviendront pas. Or, ce sont eux qui auraient besoin d’un retour rapide à l’école.

Personnellement mon fils de presque 7 ans ne retournera pas à l’école cette année scolaire. »

La crainte d’un décrochage important

« J’ai en revanche de nombreuses craintes parmi lesquelles l’explosion des inégalités, le décrochage et la démotivation des élèves. Ainsi dans mes classes de terminales, deux élèves ne donnent quasiment plus de nouvelles (au grand désarroi de leurs parents). Sur une classe de STMG (sciences et technologies du management et de la gestion, ndlr) seuls 12 élèves sont présents et réellement actifs.

Enfin pour les secondes, les choix pour l’orientation en 1ère vont être compliqués à évaluer et à valider car il manquera un 3e trimestre serein. Il nous faudra être très attentifs aux élèves en septembre. Et ne pas hésiter à proposer des changements de filière ou d’EDS (enseignement de spécialité) très rapidement.

Toutefois, pour certains élèves, la situation leur permet d’être confronté à une réelle autonomie qui peut leur être bénéfique. »


#Confinement

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