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« Application StopCovid : un petit pas pour la santé, un grand pas contre nos libertés »

Mardi dernier, le Premier ministre a présenté le plan de déconfinement qui sera mis en place à partir du 11 mai. Parmi les pistes de travail, l’application « StopCovid ». Cet outil numérique a pour objectif de remonter la chaîne des personnes ayant contractées le Covid-19. De cette façon l’utilisateur de « StopCovid » sera averti si son smartphone s’est trouvé proche d’un autre utilisateur, lui-même dépisté positif au Covid 19.

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L'application "stopcovid" est l'un des nouveaux pojets du gouvernement concernant le déconfinement. Il s'agit d'un outil numérique qui aurait pour objectif de limiter la progression du virus sur le territoire. Malgré cet objectif louable, la mise en place de cette application ne convient pas à tous les français.

Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer une restriction de nos libertés et une atteinte à notre vie privée. Nous publions ci-dessous une tribune de Franck Heurtrey, avocat au barreau de Lyon.

Réalisée en 2019 par Stephen T Davies, la série d’anticipation « Years and years » retrace la vie d’une famille britannique durant une dizaine d’années dans l’Angleterre de l’après-Brexit.

Sur fond de catastrophes politiques, économiques et climatiques majeures (coupures d’électricité géantes, cyberattaques massives, dirigeants populistes), la dystopie flirte sans cesse entre réalité et science-fiction. Elle offre aussi une réflexion sur les nouvelles technologies à travers le personnage de Bethany, l’une des jeunes héroïnes de la série, qui réussira à transformer et « digitaliser » son corps, d’opérations en implantations, jusqu’à pouvoir téléphoner avec sa main, envoyer un email d’un simple claquement de doigt ou prendre une photo en clignant les yeux.

Nous ne vivons pas en Grande-Bretagne ni en 2029, même si la réalité de 2020 a déjà dépassé l’imagination du réalisateur de « Years and years » qui avait prédit à ses personnages, dans le dernier épisode de la série, une violente épidémie – « la grippe du singe » – causant un millier de décès et mobilisant des fonds publics par milliards de livres.

La réalité a rattrapé et dépassé la fiction dans de nombreux pays où les nouvelles technologies sont mises au service de l’Etat pour contrôler et surveiller les populations. Sans évoquer le régime autoritaire chinois, de nombreux instruments numériques sont déjà employés en Corée du Sud et Israël pour géolocaliser et retracer les déplacements des habitants ou encore en Pologne pour veiller, via une application pour smartphone, au respect des règles de confinement.

La crise sanitaire actuelle semble démultiplier les initiatives. Pour lutter contre le Coronavirus, le port du bracelet électronique est aujourd’hui obligatoire à Hong-Kong tandis que l’Italie et la Corée du Sud étudient cette possibilité.

StopCovid : une vie privée altérée et des libertés amoindries

En France, s’il n’a pas été possible d’anticiper convenablement l’actuelle pandémie, nos gouvernants entendent à tout prix réussir la phase de déconfinement. Aux commandes de masques, aux gestes barrières et aux autres mesures restrictives de libertés d’ores et déjà imposées par l’Etat d’urgence sanitaire, le gouvernement a prévu de proposer une application à télécharger sur son smartphone, StopCovid, dont le but est d’avertir son utilisateur qu’il a été en contact avec des personnes diagnostiquées positives.

Alors qu’une personne atteinte du Covid-19, sans symptôme, peut être contagieuse pendant plusieurs jours, l’application StopCovid a pour objectif principal d’endiguer la progression de l’épidémie et d’éviter une deuxième crise sanitaire en permettant de retracer la chaine de contagion.

Une ambition louable à laquelle les Français ne pourraient qu’adhérer. Au prix d’une vie privée altérée et de libertés amoindries ?

Ayez confiance, rétorquent les promoteurs du projet. Ce futur système de traçage numérique (« Contact tracing »), déjà existant à Singapour, emploierait un protocole de communication supposé respectueux de la vie privée. Le président de l’INRIA (Institut national de recherches en sciences et technologies du numérique), organisme en charge du projet pour la France, se veut très rassurant :

 « Une telle application n’est pas une application de surveillance : elle est totalement anonyme. Pour être encore plus clair : sa conception permet que PERSONNE, pas même l’Etat, n’ait accès à la liste des personnes diagnostiquées positives ou à la liste des interactions sociales entre les personnes. La seule information qui m’est notifiée est que mon smartphone s’est trouvé dans les jours précédents à proximité du smartphone d’au moins une personne qui a, depuis, été testée positive et s’est déclarée dans l’application. »

Les sources d’inquiétudes ne manquent pas

Pourquoi s’inquiéter dès lors ? On pourrait pousser le cynisme plus loin et rappeler que les Français consentent déjà librement et massivement à confier d’importantes données fiscales, familiales, médicales à l’Etat, voire qu’ils le font à des entités privées (Gafam).
Malgré l’objectif de santé publique du projet et les déclarations de ses promoteurs, les sources d’inquiétudes ne manquent pas, qu’elles soient technologiques, juridiques ou sociétales. Elles rendent ce projet inacceptable en l’état.

Les faiblesses technologiques sont soulevées par de nombreux chercheurs : le Bluetooth, technique employée par stopcovid, reste une technologie peu fiable car insuffisamment précise pour l’objectif visé et, malgré l’anonymisation des données, le système ne sera pas à l’abri d’un détournement de données. Le traitement centralisé des informations recueillies reste aussi une source importante de risques et de méfiance légitime, surtout dans le contexte du scandale de Cambridge Analytica.

L’argument (classique) du libre-choix est outre ici parfaitement inopérant. Quelle valeur donnée au consentement (illusoire) dans le climat anxiogène de la crise sanitaire actuelle ?

Nous sommes loin de maîtriser tous les effets psychologiques induits par l’utilisation de cette application : quelles seront nos réactions en apprenant que nous avons été en contact avec une personne supposée atteinte par le Covid-19 ? Comment l’annonce sera-t-elle effectuée (simple SMS, médecin traitant) ?

Pour être efficace, 60% de la population devront télécharger « StopCovid »

Enfin, l’utilité même de l’application est en outre mise cause au regard de l’objectif recherché : permettre de retracer la chaine de contagion. Les experts indiquent que pour être efficace l’application devra être téléchargée par au mininum 60% de la population. Un chiffre inatteignable et une donnée qui rend de fait cette application inutile.

Dans ce contexte, il n’est pas possible de consentir, sans résister, à l’arrivée de cette nouvelle technologie dans nos vies quotidiennes, sauf à accepter d’entrouvrir la porte à toutes les dérives possibles. Si nous ne sommes pas en Chine, en Israël ou en Pologne, il serait illusoire de croire que nous restons protégés par nos seules institutions républicaines ou judiciaires. Et un simple regard sur les dernières années (état d’urgence anti-terroriste notamment) nous enseigne combien les mesures extraordinaires prises par un gouvernement dit progressiste peuvent devenir ordinaires et les décisions provisoires s’inscrire dans la durée.

Ne cédons pas à l’illusion d’une meilleure protection sanitaire au prix d’une réduction de nos libertés individuelles et refusons toute expérimentation de traçage numérique sur la population française. A défaut, le monde d’après aura rattrapé toutes les dystopies les plus liberticides en un battement de cil.

> Les intertitres et les liens de cette tribune proviennent de la rédaction de Rue89Lyon.


#covid-19

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