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« Les habitants des quartiers populaires ont vécu le confinement difficilement et dignement »

[Interview] Pour les habitants des quartiers populaires, le confinement est synonyme de multiples difficultés, alimentaires notamment. Frédérique Bourgeois, directrice de Labo Cités, évoque les conditions dans lesquelles ils vivent ce confinement. Plus durement que d’autres. « Au moment du déconfinement, dans quel état psychique allons-nous retrouver les habitants ? »

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Logement social dans le quartier du Vergoin en mai 2019, à Lyon 9e.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les habitants des quartiers populaires avec le confinement ?

Frédérique Bourgeois : La première, c’est l’alimentation, réussir à manger tous les jours. Pour plein d’enfants, le repas à la cantine le midi est le seul repas « équilibré » de la journée. A partir du moment où il n’est plus là, cela commence à poser sérieusement problème.

Ensuite, il y a la continuité pédagogique. Il faut réussir à comprendre les consignes de l’école, à « faire école ». Ce n’est évident pour personne quand nous ne sommes pas enseignant. C’est pire pour les personnes qui ont du mal à parler français, qui ne sont pas allées à l’école elles-mêmes ou très peu.

Je ne parle même pas de la fracture numérique et de l’impossibilité de se connecter parce qu’il n’y a pas d’ordinateur, ou un seul pour toute la famille. Suivre le soutien scolaire avec un smartphone, ce n’est quand même pas évident. Même quand il y a des initiatives pour donner ou prêter des tablettes ou des ordinateurs, il y a les problèmes de connexion. Les gens n’ont pas forcément la fibre, ils doivent payer la connexion. Certains ont un ordinateur familial mais ne peuvent pas imprimer les devoirs, tout ce qui est demandé par les enseignants.

C’est une des principales difficultés pour les familles avec enfants et notamment les femmes seules qui sont nombreuses dans les quartiers populaires. Parmi ces femmes seules, beaucoup travaillent, ce sont elles que nous retrouvons dans les supermarchés. C’est très difficile de faire école dans ces conditions.

Les habitants des quartiers populaires sont-ils plus vulnérables face au Covid-19 ?

Il y a des problèmes de santé, le Covid-19 mais aussi le reste. Pour l’instant nous avons très peu de recul, mais nous savons que dans les quartiers populaires les indices de santé ne sont pas bons. Les proportions de gens avec un diabète de type 2 ou en situation d’obésité sont plus importantes que dans le reste de la ville. Ce sont deux facteurs de risque pour le Covid-19. D’ici plusieurs mois, il serait intéressant de voir l’impact sanitaire. Est-ce que les habitants des quartiers ont plus souffert du Covid-19 que les autres ?

Il y a quelque chose de plus sourd qui est la souffrance psychique. C’est peut-être moins visible mais c’est ce qui inquiète beaucoup les acteurs de terrain. Au moment du déconfinement, dans quel état psychique allons-nous retrouver les habitants ? Ce sont des gens qui auront vécu un confinement extrêmement difficile, à plusieurs dans de petits logements. Certains ne sont pas sortis pendant les trois premières semaines parce qu’ils n’avaient pas compris les consignes. Ou plutôt, ils les avaient tellement bien compris qu’ils pensaient qu’il ne fallait pas sortir du tout. Il y a des familles entières, avec enfants, qui n’ont pas vu le jour jusqu’à ce qu’on leur explique qu’ils avaient le droit de sortir avec une attestation.

Et puis il y a les violences intrafamiliales, à l’égard des femmes comme des enfants. Les quartiers populaires ne sont pas à viser plus que d’autres. Mais l’effet du confinement dans de petits appartements fait que les commissariats de police font remonter qu’ils ont plus d’appels pour des violences intrafamiliales.

Avez-vous des témoignages directs des habitants de ces quartiers ? Ou uniquement des acteurs présents sur le terrain ?

Nous sommes en lien avec les agents des collectivités territoriales : chefs de projets Politique de la ville, coordinateurs des programmes de réussite éducative ou des programmes santé-ville… Les acteurs associatifs et ces agents des collectivités territoriales nous racontent comment cela se passe.

Nous avons tenté de faire une enquête auprès des conseils citoyens mais nous avons eu très peu de retours. Les habitants qui composent les conseils citoyens ont, pour beaucoup, plus de 70 ans. Ils ne sortent pas et ne vont pas être à l’initiative d’actions portées par le conseil citoyen, même s’ils en ont très envie.

Des initiatives solidaires sont pourtant lancées par les citoyens…

Oui, il y a des solidarités de voisinage. Les habitants ne le font pas au titre de leur conseil citoyen mais en tant que voisine, voisin. Ils vont faire les courses pour la personne âgée d’à côté. Le confinement a fait ressortir des solidarités de voisinage dans ces quartiers. Il y a plein d’initiatives lancées par des citoyens, des jeunes, des médecins, mais sans chapeau associatif. C’est très bien.

La grosse difficulté, pour les gens qui sont sur le terrain, c’est la coordination. Dans les quartiers et les villes où il y a des habitudes de partenariat et de coordination, cela a été rapidement bien mis en place et bien coordonné. Dans d’autres quartiers qui n’ont pas ces habitudes-là de coordination, il y a eu un trop plein d’énergie pas très organisé. S’il y a un aspect positif de la Politique de la ville, c’est cette habitude de travailler en partenariat. Les agents, même par téléphone, font un travail de coordination entre les associations, les habitants, la ville et l’intercommunalité.

Les villes et la région ont-elles mis en place des actions ?

Oui, les villes beaucoup, notamment via les Centre communaux d’action sociale (CCAS). Ce ne sont pas uniquement des actions dirigées vers les quartiers mais vers les personnes isolées, fragilisées. De fait, il y en a beaucoup dans les quartiers. Il y a eu beaucoup d’initiatives autour de l’aide alimentaire. Par exemple, assurer le portage de repas à domicile pour des personnes âgées qui ne peuvent plus sortir.

Comment va se passer l’après-confinement ? Est-il possible de faire de premières projections ?

Il est un peu tôt pour se positionner là-dessus. Je pense que tout le monde cherche. L’après, tout le monde l’évoque, mais en se demandant comment nous allons faire. Sur tous les sujets, de la reprise de l’école aux aspects culturels. Comment renouer le lien social, alors que les fêtes de quartiers ne seront sûrement pas autorisées cet été ? Les fêtes de quartier sont importantes pour les gens qui ne partent pas en vacances, ce sont des moments de retrouvailles entre les habitants.

Au niveau national des groupes de réflexion vont se mettre en place, sur différents en thèmes. Les centres de ressources comme d’autres réseaux professionnels sont appelés pour réfléchir, mais nous sommes au tout début de la réflexion. C’est vraiment compliqué de se projeter.

Cette crise peut-elle être l’occasion de changer de regard sur les quartiers populaires ?

Ce serait une bonne occasion, pour l’Etat et les médias, de redonner leurs lettres de noblesse aux habitants des quartiers. Dès la première semaine, j’ai lu des choses absolument atroces sur les quartiers. Elles étaient fausses en plus ! Qu’ils ne respectent pas les mesures de confinement, cela a peut-être été vrai deux ou trois jours, le temps que les gens comprennent. Ils respectent parfaitement le confinement, même plus que d’autres. Pourtant, c’est ce que les gens ont retenu.

J’ai peur que nous oubliions vite. Il ne faudrait pas oublier comment ces gens-là ont vécu le confinement. Ils ne l’ont pas vécu dans une résidence secondaire, ils ne l’ont pas vécu dans une petite maison. Ils l’ont vécu vraiment difficilement et dignement, en travaillant, en continuant de prendre les transports en commun parce qu’eux n’ont pas le choix de prendre la voiture.

C’est peut-être l’occasion de réexpliquer pourquoi il y a des quartiers comme ça, quels sont les gens qui y vivent et pourquoi ils y vivent. Ce sont des gens qui font partie intégrante de la société française et qui font aussi vivre notre économie.


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