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À Vénissieux, le communisme municipal fait de la résistance

Le drapeau rouge flotte sur Vénissieux depuis 85 ans. Dans la métropole de Lyon, les deux dernières villes communistes, Vénissieux et Givors, sont menacées. 

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Michèle Picard durant la présentation de sa liste et les 48 colistiers, le samedi 15 février 2020. ©Abdessamad Attigui


Le 15 février dernier, lors la présentation de sa liste, la maire communiste de Vénissieux, Michèle Picard, annonce entrer en résistance, sous les applaudissements de la salle Irène Joliot Curie :

« le 15 mars, nous voulons battre toutes les droites. La droite libérale et arrogante du macroniste Yves Blein; la droite sectaire et réactionnaire de Christophe Girard. Et l’extrême droite xénophobe de Damien Monchau. C’est l’heure de les sanctionner et d’affirmer nos résistances à l’argent fou et à la technocratie. »

Ces paroles donnent le ton.

Un « monde » communiste dépassé 

Tandis que le parti communiste va fêter son centenaire, le communisme municipal vit une crise depuis la fin des années 1980. L’Association nationale des élus communistes et républicains (ANECR) compte aujourd’hui 661 communes et environ 6 700 élus communistes. Malgré sa résistance, l’âge d’or du communisme municipal est bel et bien terminé. Selon les chiffres présentés par Roger Martelli, en 1977, la population administrée dans les communes de plus de 3500 habitants par le PCF est de 7,7 millions, contre 2,3 millions en 2014, soit 5,4% de la population urbaine.
Comme le souligne Le courrier des Maires, le parti est confronté à un déclin électoral depuis 1983 :

« Le PCF perd à chaque échéance plus de communes qu’il n’en gagne. Constate ainsi le politiste David Gouard, chercheur à l’université de Toulouse », rapporte Olivier Schneid pour le Courrier des Maires.

Durant la réunion organisée le jeudi 13 février, à la fédération du Rhône du PCF, la nostalgie des gros scores du PCF gagne les candidats et militants. Pour expliquer ce déclin, certains militants évoquent la perte de l’esprit communiste après la « normalisation du Parti par Robert Hue ». D’autres évoquent le vieillissement du parti souffrant d’un manque de jeunes adhérents. Pour la porte-parole du PCF et sénatrice de la Loire, Cécile Cukierman, cet affaiblissement est notamment dû à la représentation d’un « monde » dépassé.

« On est resté sur nos acquis. On est sorti de la guerre froide où nous représentions pour les uns un modèle et pour les autres un contre-modèle. Quand tout ça a éclaté, ces formations politiques structurées sur ce modèle ont été ébranlées », commente Cécile Cukierman.

Les candidats du PCF avec la présence Cécile Cukierman
Les candidats aux élections municipales et métropolitaines durant la réunion de la fédération du Rhône du PCF. ©Abdessamad Attigui

« Pour Monsieur Girard, communisme égal goulag »

Michèle Picard dirige la ville de Vénissieux depuis 2009, date à laquelle elle a succédé à l’emblématique député-maire André Gerin qui lui a cédé son siège en cours de mandat. Dans ce bastion communiste, cinq maires communistes se sont passé le flambeau depuis 1935.
La ville communiste ne s’est pas relevé de la désindustrialisation, malgré l’installation d’un bassin d’emploi. Les chiffres publiés en 2019 par l’INSEE parlent d’eux-mêmes. Avec près de 65 000 habitants, la commune souffre d’un taux de chômage et de pauvreté qui s’élèvent respectivement à 24% et 31%. Des pourcentages supérieurs à la moyenne métropolitaine qui indique en 2016, un taux de chômage de 14% et un taux de pauvreté de 15,7%.
Une situation sociale qui sert d’argument aux opposants pour remettre en question les différents mandats communistes.

« Ce mandat a fait perdre une décennie à notre commune », commente Christophe Girard, chef de file de la droite au conseil municipal et qui repart pour de nouvelles élections.

Michèle Picard durant la présentation de sa liste.
Michèle Picard durant la présentation de sa liste et les 48 colistiers, le samedi 15 février 2020. ©Abdessamad Attigui

Pour sa défense la maire Michèle Picard évoque un bilan globalement positif :

« J’ai rempli le contrat. Il y a trois projets que nous n’avons pas réalisé, comme la Maison de l’emploi. Dans la mesure où les dotations ont baissé, il y a des choses que nous avons priorisées. »

Également attaquée sur la succession des mandats communistes, la candidate fait de l’héritage communiste un argument électoral.

« Pour Monsieur Girard, communisme égal goulag. Je trouve ça très réducteur. Parce qu’on est communiste on ne sait pas travailler avec les autres, ça c’est la caricature du bloc de l’Est. Certes, j’ai un idéal communiste mais je fais avec les entreprises et heureusement ».

La candidate communiste poursuit :

« 85 ans de communisme c’est aussi 85 ans d’expérience. C’est un fil rouge. Mon programme est une continuité et une résonance aux valeurs de la gauche et du PCF. »

Une alternative au « communisme municipal » 

Yves Blein et Sandrine Perrier, deux candidats à Vénissieux.
Parmi les candidats aux municipales : de gauche à droite Yves Blein (LREM) et Sandrine Perrier (EELV). ©Abdessamad Attigui

« Ancien monde » versus « nouveau monde » ? À Vénissieux, le communisme est à bout de souffle estime le candidat de LREM, Yves Blein. Le député marcheur (ex-PS) et ancien maire de Feyzin compte « libérer les Vénissians de l’emprise de cette idéologie dépassée par les enjeux modernes ». Dans la même lignée, la liste Europe Ecologie Les Verts (EELV), menée par l’ex-adjointe au maire Sandrine Perrier, souhaite se positionner comme « une alternative au communisme municipal ».

Ces deux candidats au poste de maire reprochent notamment à la municipalité actuelle le manque de liaison avec la Métropole de Lyon.

« Vénissieux n’a pas bénéficié de la croissance de la métropole. Ils [communistes, ndlr] veulent gouverner seuls. Vénissieux est tenue à l’écart et c’est cette idéologie qui la cloisonne dans sa coquille », commente Yves Blein.

Pour Sandrine Perrier, le challenge réside dans la réinsertion de la commune dans la dynamique de la Métropole, afin de faciliter les prises de décision en collaboration avec celle-ci.

La sécurité avant tout

Par ailleurs, les « incivilités » et le « laisser-aller » sont pointés du doigt. La sécurité devient le talon d’Achille de la ville communiste et se place comme l’un des enjeux principaux de cette élection municipale.

Le député marcheur Yves Blein :

« Les règles sont transgressées en permanence et Mme Picard ne se donne pas les moyens nécessaires pour avoir l’autorité. »

Pour pallier le problème, Sandrine Perrier propose un redéploiement des effectifs de la police dans les quartiers concernés et une collaboration étroite avec les services sociaux.

Michèle Picard répond aux critiques :

« D’abord, je rappelle que c’est une fonction régalienne de l’État et nous venons en complémentarité. On a eu l’arrivée de 30 policiers nationaux supplémentaires, ce qui est une bonne chose. Donc, quand on parle de sécurité ce n’est pas à nous de tout faire. Je rappelle qu’il y a une convention police nationale-police municipale avec des missions propres à chacune. »

Interrogée également sur les effectifs de police, la maire sortante assure que ses opposants ignorent la complexité de la thématique :

« Ils ne connaissent pas l’organisation de la ville sur la sécurité. Avec la baisse des dotations aux communes, pour déployer plus de policiers nationaux, il faut supprimer des postes d’autres agents pour équilibrer le budget. »

Un contexte de mobilisation favorable 

Les récentes élections européennes où le Rassemblement National est arrivé en tête à Vénissieux avec 22,02% contre 7,41% pour les communistes donnent le ton. Le PCF semble tout de même profiter d’une ‘’fenêtre d’opportunité’’.
Le terme développé par le politologue américain John Kingdon renvoie à la présence d’une conjoncture de facteurs dans un contexte politique et social donné, qui compose des résultats non nécessairement attendus. Ainsi, le PCF a su profiter de la succession des mobilisations, notamment le mouvement des « gilets jaunes » et la réforme des retraites, pour renforcer ses troupes.

Même si les adhérents se font rares, « leur nombre est resté stable entre 2000 et 2014. Cependant, depuis les mobilisations la dynamique reprend. En décembre 2019, on a eu plus de 150 adhérents à la fédération et ça continue », explique le secrétaire fédéral du Rhône du PCF, Raphaël Debû.

Cette dynamique s’observe particulièrement au niveau de la section locale de Vénissieux, affirme Michèle Picard.

Dans la perspective de ces municipales, ce n’est pas neutre tant le PCF se fonde sur une forte structuration entre la fédération et la section locale. Malgré le déclin du parti au fil des années, les sections restent un pilier durant les élections.

De plus, ces sections entretiennent des relations étroites avec les syndicalistes de la CGT, qui reste une des « courroies de transmission » historiques du PCF.

Pour ces élections, une dizaine de membres de la société civile et « cégétistes » sont présents sur la liste. Dans une liste qui regroupe principalement des militants du PCF mais aussi de la France Insoumise et du Parti socialiste.

L’art de faire campagne

Pour se maintenir en place, Michèle Picard redouble d’efforts. Traditionnels mais efficaces, le porte-à-porte et le tractage restent des outils indispensables pour faire campagne.

« Ça permet de voir beaucoup de monde et de renouer avec les habitants », note la candidate du PCF.

En plus, pour évoquer les 150 engagements de son programme, des réunions publiques sont organisées entre jeunes Vénissians.

Au-delà des méthodes classiques, la candidate a mis en place des réunions d’appartement en s’invitant chez les Vénissians et Vénissianes pour discuter des besoins de la ville :

« J’en ai fait 300 depuis le début de la campagne. Ce sont des gens qui m’invitent et qui ont invité des collègues du travail, des voisins ou des copains d’une association. C’est par connaissances. Contrairement aux réunions publiques, ces moments permettent d’être sans tabous et d’échanger plus facilement. Et moi, ça me permet de m’expliquer parce que j’ai le temps. »

Pour déstabiliser la maire sortante, les candidats font campagne autrement.

Pour Yves Blein, c’est en premier lieu l’usage des réseaux sociaux pour faire appel aux Vénissians. Suivie par l’organisation des réunions publiques animées par des personnalités de référence :

« On fait venir des experts pour sortir des appréciations sectaires et objectiver les choses. Par exemple sur la sécurité publique j’ai fait venir Jean-Michel Fauvergue, l’ancien patron du RAID [et député LREM de Seine-et-Marne, ndlr], pour dire ce qu’il faut mettre en place dans une ville comme Vénissieux ».

En parcourant les coins de Vénissieux certains habitants font la rencontre du candidat de la droite Christophe Girard. Ce dernier fait le tour de la ville en camionnette publicitaire. Il compte sur cette « permanence mobile », afin de présenter son programme aux Vénissians lors des différents marchés de quartier.

Quant à la candidate EELV, Sandrine Perrier, c’est la sensibilisation dans les associations de quartier qui prime pour montrer aux Vénissians qu’écologie et social sont liés. Assurée par les retours positifs sur le terrain, elle explique :

« Je suis présente dans les associations. Comme aux Minguettes, on a des bons retours. Je vois que les gens s’intéressent à ces questions comme l’alimentation bio. Je leurs dis que l’accès à une alimentation plus saine est aussi un problème de santé en moins. »

Les paris sont lancés pour le 15 mars. Chacun espère sortir son épingle du jeu. Misant sur les forces de la gauche unie, les communistes comptent résister à la possible alternative macroniste ou écologique qui plane sur la ville rouge.


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