Neuf silhouettes se détachent dans l’obscurité devant l’entrée de l’hôpital Edouard Herriot. Vêtues d’anoraks, bonnets enfoncés jusqu’aux sourcils et écharpes enroulées autour du cou, elles semblent prêtes à affronter un jeudi soir qui s’annonce glacial en ce début du mois de février. A leurs pieds, des cabas en plastique.
Elles discutent avec animation et éclatent de rire ; il ne s’agit pas d’un groupe d’étudiant.es se préparant à descendre quelques litres de bière dans la nuit. Les taches de colle séchée sur leurs joggings sombres les trahissent : ce sera une soirée « collages contre les féminicides ».
Dans les cabas, des bacs de colle maison au lieu des habituelles canettes de bière ; dans les sacs à dos, des pochettes pleines à craquer de slogans peints sur des feuilles de papier. A Lyon, des messages contre les violences faites aux femmes fleurissent sur les murs depuis six mois, collés avec soin par une grosse centaine de militantes. Par groupe de quatre ou cinq, celles-ci se réunissent une à deux fois par semaine, et à chaque manifestation, pour coller.
Une dixième silhouette, plus haute que les autres, se joint au groupe. Aria vient de finir le travail. Elle troque rapidement son tee-shirt léger contre une fourrure polaire et un sweat à capuche noir. Il est 22h30, la session peut commencer.
De huit à la centaine à Lyon
Tout a commencé à Paris à la fin du mois d’août 2019, à l’initiative de Marguerite Stern, artiste et ex-Femen d’une trentaine d’années. Rapidement, le mouvement s’est étendu aux grosses villes de province : Montpellier, Strasbourg, Grenoble… Il y a six mois, deux Lyonnaises ont proposé de rejoindre le mouvement à Lyon via un poste sur leurs comptes Instagram. Six femmes ont répondu à l’appel, parmi lesquelles Lucile, 24 ans, étudiante en master :
« Ça a rapidement fait boule de neige. Aujourd’hui, on est une bonne centaine à coller. Ce matin, on a collé pas moins de 16 messages en manif. On a retapissé Lyon ! »
Parmi la centaine de colleuses régulières, la plupart sont étudiantes et ont dans la vingtaine d’années. Si des actions nationales ont lieu, coordonnées avec les colleuses des autres groupes du pays, les militantes lyonnaises ont immédiatement pris leurs distances avec Marguerite Stern. Celle-ci a par ailleurs fait l’objet de vives critiques en raison de ses prises de parole contre les femmes transgenres.
Voici un thread qui me vaudra probablement plus d’insultes et de menaces que je n’en n’ai jamais eu avant mais tant pis. J’ai besoin d’expliciter mes positions au sujet du mouvement queer. J’ai trop retenu, trop subis.
— Marguerite Stern (@Margueritestern) January 22, 2020
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Une position intolérable pour les colleuses lyonnaises, qui comptent dans leurs rangs Aria, qui se définit comme une personne transféminine, très active dans le mouvement.
« Maintenant, on sait qu’on est beaucoup à être vénères »
Cami, 20 ans, est étudiante aux Beaux-Arts. Une courte frange noire et blanche dépasse sous son épais bonnet noir. Pour elle, les collages, c’est une histoire de famille :
« J’ai commencé à coller quand ma mère a quitté mon père violent. Un jour, elle a entendu parler du féminicide de Marie Trintignant par Bertrand Cantat. Elle s’est dit que ça aurait pu être elle et l’a quitté. Des fois, ma mère vient coller avec moi. »
Son compagnon Lana, 19 ans, un homme trans à la silhouette fluette dissimulée sous un épais anorak jaune et une capuche kaki, ne la quitte pas d’une semelle.
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