Rencontre avec Loïc Bonneval et François Robert, auteurs d’un passionnant et très documenté essai, « De la rente immobilière à la finance, la société de la rue Impériale (Lyon 1854-2004) », paru chez ENS éditions. Une conférence avec les chercheurs est programmée ce 30 janvier à la Bibliothèque Diderot (7è).
Au travers d’une quantité d’archives monumentales, celles d’une grande société immobilière lyonnaise, la « Société de la Rue Impériale », quasi-unique propriétaire des immeubles de la rue de la République avant Abu Dhabi, les deux sociologues retracent les dynamiques de cette rue symbolique de Lyon et de sa presqu’île.
Rue89Lyon : En quoi la rue de la République, ancienne rue Impériale, est-elle si particulière à Lyon ? Pourquoi l’avoir choisie comme objet d’étude ?
Loïc Bonneval et François Robert : Nous avions déjà mené une recherche sur la rentabilité immobilière à Lyon. Suite à cela, nous avons été contactés par l’administration de la Société de la Rue Impériale. Elle déménageait, et elle croulait sous un stock d’archives. C’était une société que nous avions souvent croisée dans nos recherches, nous sentions bien qu’elle était un pivot de l’immobilier lyonnais.
Le travail est donc parti des archives, et il se trouve qu’elles étaient sur la rue de la République. C’est une rue qui résonne particulièrement à Lyon. Elle a le double intérêt d’incarner le centre ville pour beaucoup de Lyonnais, et d’être une des seules rues à notre connaissance qui avait un seul propriétaire pour ses immeubles. C’est ce qui la distinguait d’autres rues haussmaniennes, centrales, que l’on peut trouver ailleurs en France.
Vous dites dans le livre que la plupart des travaux de recherche s’attachent par exemple à la construction, mais rarement à « l’après », à la gestion du bâti. Pourquoi selon vous ? Et pourquoi avez-vous choisi cet angle d’attaque original pour votre recherche ?
C’est rare car ceux qui ont travaillé sur l’haussmanisation n’ont jamais eu accès à des archives privées. Tout le monde a accès aux archives publiques, qui traitent d’administratif, de décisions politiques… Dans nos archives se trouvaient des sources de comptabilité. Nous avons ainsi pu restituer le côté économique du chantier de cette rue.
Il y a d’ailleurs des photos du chantier assez frappantes qui éclairent sur la manière dont il s’est déroulé. Ce n’est pas forcément ce que l’on pensait : il y a eu l’idée que les premiers quartiers démolis pour reconstruire la rue par-dessus étaient les plus mal-famés. Certes, la bourgeoisie voulait les raser, mais si cela a commencé par le centre de la rue, c’était purement pratique : pour évacuer une partie des matériaux, faciliter le déplacement des ouvriers sur le chantier. Ce n’était pas qu’une revanche sociale de la bourgeoisie sur ces quartiers populaires -même s’il y avait aussi cette dimension.
« Pour le projet de l’Hôtel-Dieu, la seule ligne conductrice est l’attractivité »
L’histoire de la rue de la République nous éclaire sur l’actualité urbanistique de Lyon : par exemple, celle du quartier Grôlée, qui est resté fantôme pendant des années, ou sur l’Hôtel Dieu, qui, d’un lieu dédié aux soins des plus précaires devenu un temple du luxe.
Pour le quartier Grôlée, en tant que sociologues, nous n’avons pas d’archives. Pourtant, il serait important de dire ce qui s’est passé ; nous pouvons quand même avoir un regard critique. Au moment de la cession, il y avait plusieurs acteurs, dont une société en lien avec le Grand Lyon, qui aurait pu être acquéreur. Mais le groupe privé qui a finalement acquis le quartier, à l’époque, a fait une proposition un peu au-dessus. Supérieure, mais pas de beaucoup. Ensuite, ce groupe a fait une excellente opération financière en revendant les immeubles à la découpe…
Rien qu’en vendant les rez-de-chaussée, il a récupéré tout l’argent qu’il avait investi pour acheter le quartier. Il y a eu une spéculation immobilière, qui n’a pas aidé à redynamiser le quartier.
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