Il commettra également des actes sexuels sur au moins cinq autres jeunes garçons. Parti en Bretagne, il sera finalement poursuivi et condamné après le témoignage de Maxime. Mais il exercera encore auprès d’enfants dans un club après sa sortie de prison. Une enquête du média d’investigation à but non-lucratif Disclose dont Rue89Lyon est partenaire.
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Les yeux rivés sur l’écran d’ordinateur, Maxime* fait défiler les photos. Des compétitions en Bretagne, un championnat de France. Nous zoomons sur un individu robuste en costume noir impeccable, la main posée sur le tableau d’affichage des scores. Sur l’image suivante, le même homme prend la pose au milieu de jeunes champions. Le voici encore, plus âgé, la soixantaine passée, micro à la main, animant un tournoi de tennis de table. Sur une dernière photo, il est encore là, en tenue officielle d’un club brestois, aux côtés de deux garçons âgés d’une douzaine d’années.
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A des centaines de kilomètres de Brest (Finistère), sur les rives du Rhône, Maxime reste impassible. Ces clichés et la nouvelle vie d’Yves R., son violeur, il ne les connaît que trop bien. Plusieurs fois, le quadragénaire a songé à demander des comptes aux dirigeants du club et de la Fédération française de tennis de table (FFTT), pour leur rappeler les antécédents de l’individu qu’ils emploient.
« Mais je n’avais pas de haine, explique-t-il. Maintenant que j’ai des gamins qui ont l’âge que j’avais quand ça s’est passé, j’en ai un peu plus… »
Durant un déplacement son entraîneur dort dans son lit
Avec ce père de famille, enseignant dans un lycée de l’agglomération lyonnaise, nous sommes retournés sur la colline de la Croix-Rousse, à Lyon. Là où tout a débuté. « Rien n’a changé », souffle-t-il en s’arrêtant devant le gymnase Maurice-Scève où pratiquent toujours de nombreux pongistes lyonnais.
Le cauchemar de Maxime démarre en 1988. Alors âgé de 11 ans, le garçon s’entraîne à l’ALCR, l’un des plus prestigieux clubs de ping-pong de la ville. Talentueux, il se qualifie pour les finales nationales à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), qui ont lieu à Paris. Durant ce déplacement, son entraîneur de 35 ans s’organise pour dormir dans le même lit que lui.
« C’est là où il a commencé », se souvient Maxime.
Pendant près de trois ans, Yves R. lui impose des « séances spéciales » après chaque entraînement hebdomadaire.
« Il me disait que c’était pour améliorer mes performances sportives, j’étais con », rembobine le quadragénaire, amer.
Les agressions ont en partie lieu à l’internat Favre – spécialisé dans l’accueil de jeunes en difficultés familiales – où Yves R. est surveillant. Mais aussi lors de colonies de vacances organisées en Bretagne par l’entraîneur de ping-pong.
Disclose lance un appel à témoins
De l’argent contre des photos des sexes des jeunes garçons
Un décompte établi par Maxime fait état de 150 attouchements, avec ou sans fellation, et 20 actes de sodomie. Lors de l’enquête judiciaire, plus de douze ans après les premières agressions, Yves R. admettra partiellement les faits, mais niera leur fréquence.
Il reconnaîtra aussi des actes sexuels commis sur au moins cinq autres garçons mineurs. Dont Patrick*, ancien joueur du club de tennis de table de la Croix-Rousse aujourd’hui installé dans le Sud de la France.
« J’avais 11 ans. Avec deux amis du club, il nous emmenait chez lui et prenait des photos de nos sexes. En échange, il nous donnait des billets de 100 ou 200 francs », confie-t-il à Disclose.
Ni lui ni les quatre autres enfants n’ont porté plainte.
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Un violeur nommé directeur d’une maison de l’enfance
Pendant l’adolescence, Maxime reste muré dans le silence. Et puis, que faire ? Yves R., éducateur charismatique, respecté et reconnu, est aussi devenu un proche de la famille. Il s’invite à dîner, prend régulièrement des nouvelles, envoie des cartes postales.
« Il était devenu un vrai ami… Je me disais que j’en parlerais quand mes parents seraient morts », raconte-t-il.
Yves R. finit par quitter Lyon pour la Bretagne au milieu des années 1990. Il obtient un poste de directeur de la maison de l’enfance à la mairie du Relecq-Kerhuon, dans la banlieue de Brest, et prend la présidence du club de ping-pong local.
Mais son passé finit par le rattraper car, devenu adulte, Maxime a décidé de parler. D’abord à son frère aîné. Le 17 janvier 2000, il lui adresse une lettre.
« De ma part, c’est peu habituel, écrit-il à tout juste 23 ans. Tu l’as compris, il s’agit d’une chose évidemment assez grave qui me préoccupe et je me tourne vers toi car tu es mon grand frère et que je te fais entière confiance. »
Et plus loin :
« Yves R., soi-disant “entraîneur formidable”, si gentil… est en fait pédophile et j’ai été de 11 à 14 ans l’une de ses victimes que je pense nombreuses. »
Il porte plainte dans la foulée. Lorsque Yves R. revient à Lyon, c’est pour y être jugé devant une cour d’assises.
Disclose lance un appel à témoins
« Je ne suis pas entraîneur, je joue au ping-pong »
Dans 77 % des affaires, les agresseurs restent en poste malgré une condamnation ou des poursuites judiciaires. L’enquête de Disclose révèle que plusieurs dizaines d’éducateurs sportifs, à l’image d’Yves R., sont toujours en poste malgré une condamnation ou une procédure judiciaire en cours. Un phénomène qui souligne le manque de respect grave et répété des interdictions d’exercer au contact de mineurs. Et la méconnaissance absolue de la loi de la part des dirigeants sportifs. En particulier de l’article 212-9 du code du sport qui interdit à toute personne condamnée pour une infraction sexuelle d’exercer une fonction d’encadrant, d’enseignant ou d’animateur sportif. Le directeur général de la Fédération française de ping-pong a par exemple admis lors de notre entretien téléphonique qu’il ne connaissait pas cet article du code du sport.
Après une procédure longue de six ans, le pongiste est condamné à cinq ans de prison, dont deux ferme, pour les multiples viols commis sur Maxime. A sa sortie, il s’exile à Brest. C’est là qu’il intègre le club TTC Brest Recouvrance où s’entraînent de nombreux enfants : il y organise des tournois et arbitre bénévolement des compétitions de la Fédération française de tennis de table (FFTT).
Malgré son lourd passé de pédocriminel, Yves R. a donc exercé au contact de mineurs pendant près de dix ans.
Joint par Disclose, il relativise son rôle au sein du club.
« Quand dans une salle il peut y avoir des jeunes, c’est “bonjour, bonsoir”. Voilà… Je ne suis pas entraîneur, je joue au ping-pong. »
De son côté, le président du club, Cyril Cotrel, soutient que le sexagénaire n’a jamais encadré d’enfants, ajoutant ne pas avoir eu à se plaindre de son comportement.
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« L’information n’arrive pas jusqu’à la tête de la fédération »
Contactée à plusieurs reprises, la Fédération française de tennis de table a fini par réagir le 9 décembre. A la question de savoir comment une personne condamnée pour une infraction sexuelle, en l’occurrence des viols, a pu exercer dans un club de ping-pong, Paul de Keerle, directeur général de la FFTT, rejette la responsabilité sur l’autorité judiciaire. Selon lui, « le problème c’est que l’information n’arrive pas jusqu’à la tête de la fédération ».
En réaction aux questions de Disclose, la fédération a décidé d’agir durant le week-end du 7 et 8 décembre.
« La licence d’Yves R. a été suspendue à titre conservatoire. Il ne peut plus participer à aucune compétition », annonce le directeur général.
Avant de souligner en guise de conclusion :
« La position de la présidence de la fédération est claire. Un adulte condamné pour agression sexuelle sur mineur ne peut plus croiser de jeunes en compétition. »
Encore faut-il sensibiliser les dirigeants de ligues régionales, comités départementaux et clubs de ping-pong à la lutte contre les violences sexuelles.
* prénom modifié
Par Mathieu Martinière et Daphné Gastaldi / We Report pour Disclose
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