La conférence intitulée « Quand le collectif dépasse l’humain », organisée au Musée des Confluences par la Villa Gillet le 14 novembre, a réuni trois amoureux de la nature.
Le philosophe spécialiste des questions de soin Jean-Philippe Pierron, la sociologue et ancienne éleveuse de brebis Jocelyne Porcher et la chercheuse au laboratoire Conservation des espèces, restauration et suivi des populations Anne-Caroline Prévot.
Ce fut l’occasion de réfléchir sur la création d’un collectif viable entre l’Homme et les animaux.
La cause animale est en effet devenue un véritable défi sociétal. L’exploitation des animaux pose des problèmes d’éthique, mais également politique. La création d’un nouveau contrat social, entre l’Homme et les animaux, semble s’imposer.
L’actualité récente nous engage à cette réflexion. La mairie de Paris a annoncé sa volonté de mettre fin aux spectacles d’animaux sauvages dans les cirques d’ici 2020, et a appelé l’Etat à légiférer sur la question.
Des droits positifs pour les animaux ?
La question animale s’est d’abord située sur des considérations morales. La reconnaissance des capacités cognitives et sensibles des animaux fonde un devoir de respect et de protection de leur vie.
Le droit des animaux s’est ainsi construit comme un droit négatif, à travers des interdictions de toute pratique allant à l’encontre de la vie et de la sensibilité des animaux. Il y a ainsi une volonté légitime d’adoucir la relation de domination de l’Homme sur les animaux basée sur l’éthique.
De fait, il existe une relation asymétrique entre l’Homme et les espèces animales. Ces dernières ne peuvent être pleinement politique du fait de leur nature. Mais le système démocratique des sociétés occidentales implique de penser certains objets -le climat, les plantes, les animaux- comme des objets politiques, puisque l’Homme agit en référence constante à eux.
La question qui se pose alors est de savoir si les animaux devraient se voir attribuer des droits positifs, subjectifs, pour créer un espace d’interaction et de collaboration avec l’Homme.
Les débats autour de la cause animale ont ainsi pris de l’ampleur, jusqu’à émerger dans les débats politiques. A cet égard, plusieurs partis directement engagés sur la question animale ont vu le jour ces dernières années. C’est le cas du Parti animaliste français, fondé en 2016. De plus, certains pays comme la Suisse, l’Allemagne et le Luxembourg ont inclus la protection des animaux dans leur Constitution.
« Nous ne sommes pas humains sans les animaux, qui font partie de nous »
En réalité, les animaux sont déjà intégrés à la vie politique dans le sens où ils sont déjà largement intégrés à l’organisation de la cité (polis) et à l’organisation de la vie de l’Homme en société.
L’exploitation animale est la base de nos sociétés occidentales, elle forme un système social, politique et économique. Les animaux sont exploités matériellement, via leur travail et leur corps : à la fois leur chair, leur peau et les productions corporelles telles que le lait ou les œufs.
Mais ils sont également exploités idéologiquement puisque l’Homme s’est placé dans une position de supériorité sur les espèces animales, tentant d’effacer leur intelligence et leur octroyant une valeur marchande.
L’impératif du changement climatique
Les rapports de l’Homme avec la nature, et les animaux, sont ainsi souvent pensés comme un rapport d’extériorité et de domination.
Aujourd’hui, cette approche est revisitée car elle n’est pas viable : Il existe un véritable enjeu politique et social à l’intégration des animaux à la société.
Selon certains chercheurs, notre époque serait caractérisée par un fort impact des activités humaine sur l’écosystème terrestre : « l’Anthropocène », ou « Ère de l’Homme » souligne notamment l’impact négatif de l’Homme en tant que force géologique. La biodiversité est en danger, menacée par la diminution du nombre d’espèces, la déforestation, la fragilisation des écosystèmes ou encore l’exploitation abusive des animaux.
Créer un collectif entre l’Homme et la nature, et notamment repenser la place des animaux dans nos sociétés relèverait ainsi de la survie même de l’espèce humaine. L’Homme, qui dépend de la nature pour remplir ses besoins vitaux -respirer, boire, manger, se chauffer- est pourtant responsable de la grave altération de 75% de l’environnement terrestre, menaçant d’extinction près d’un million d’espèces animales et végétales dans les prochaines décennies (selon un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité de mai 2019).
« La vie ne va pas s’arrêter avec la disparition de notre espèce »
Si l’Homme n’est pas directement menacé pour le moment, c’est sa qualité de vie qui pourrait l’être. Cette notion, proche du concept de « bien-être » est un enjeu majeur en science politique et qui est devenu une question politique. Ainsi, repenser les rapports aux animaux, et aux êtres vivants de manière générale permettrait selon Anne-Caroline Prévot « d’atteindre la durabilité de notre vie sur Terre » qui passerait par une valorisation de la diversité entre l’Homme et les animaux.
A l’ère de la « 6e extinction », des changements majeurs semblent ainsi impératifs et la cause animale n’a pas fini de s’inviter dans les débats politiques.
Un nouveau contrat social entre les Hommes et les animaux ?
Si les liens entre l’Homme et la nature sont parfois coupés dans des milieux urbains où la construction de cadres de référence laisse peu de place à la nature dès l’enfance, il est erroné de dire que les liens entre les Hommes et les animaux sont entièrement coupés.
En effet, il existe, selon Jean-Philippe Perron une « qualité de relation » qui se caractérise dans la question de l’alimentation de l’Homme. Lorsque l’Homme se sert des animaux comme des « protéines sur pattes », il y a une relation d’exploitation.
Au-delà de recréer des liens (qui existent déjà), il s’agirait ainsi de repenser la relation entre l’Homme et les animaux, et donc renoncer à certaines pratiques telles que l’élevage industriel et abusif pour adopter des méthodes plus respectueuses de l’environnement et des animaux.
Pour Jocelyne Porcher, repenser cette relation implique une réflexion autour du travail animal. Il est ainsi important, selon elle, de travailler en coopération avec les animaux. Eleveuse de brebis, elle a pu en faire l’expérience dans le cadre d’une petite ferme, et parle d’un « collectif qui s’enrichit mutuellement ».
Les animaux, à l’instar du chien de berger, peuvent être qualifiés de « collègues de travail ». Le travail animal ne doit pas selon elle être condamné, mais repensé afin qu’il soit consenti pour éliminer toute souffrance animale.
La sociologue se positionne ainsi contre la théorie de la libération animale, et la volonté de la mairie de Paris d’interdire les animaux sauvage dans les cirques : la solution ne serait pas de bannir les animaux mais repenser leur travail à partir de leur compétence et de leur volonté de travailler, afin de bannir la contrainte et de fait, leur souffrance.
Images chocs et actions
Au-delà des théories et des débats, il existe des mouvements d’actions à portée politique qui concrétisent les discussions autour de la création d’un collectif entre l’Homme et les animaux, à l’instar de L214, une association de défense des animaux qui enquête sur les conditions de vie des animaux dans les élevages.
Les images récupérées par l’association, régulièrement postées sur les réseaux sociaux, cherchent à choquer le public afin d’induire un changement de consommation des produits animaux, voire l’adoption du véganisme.
Ce mode de vie, consistant à ne consommer aucun produit issue des animaux ou de leur exploitation, connait un écho croissant dans nos sociétés. Le mouvement prône ainsi l’abolitionnisme, la fin de toute forme d’exploitation animale.
La lutte contre le « spécisme », qui postule une hiérarchie entre les espèces, se rapproche pour eux des luttes contre le racisme, le sexisme ou l’homophobie. Plus loin que des considérations morales, l’engagement sur la question animale est donc ici profondément politique.
>> Cet article a été initialement publié sur la plateforme Villa Voice.
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