« Gilets jaunes » et autres mouvements de contestation,… La France voit les actions dénonçant les failles de notre démocratie se multiplier. Notre société évolue, et la démocratie représentative est aujourd’hui sommée de suivre le mouvement. Mais quelle direction prendre ? Pendant près de deux heures, chacun des invités a défendu la piste qui lui semblait la plus prometteuse pour rendre la démocratie meilleure.
En démocratie, davantage de pouvoirs pour détruire le pouvoir
« Il est urgent d’aller plus loin dans la démocratie, tout en suivant la même direction », estime dès ses premiers mots Emmanuel Dockès. Dans son livre Voyage en misarchie, ce juriste a conçu un système politique fictif : la « misarchie » en question – littéralement « qui n’aime pas le pouvoir ».
Le concept : supprimer le capitalisme et l’Etat, jugés trop puissants et écrasants par rapport au reste de la société, et créer à leur place autant de centres de décision qu’il y a de décisions à prendre.
L’objectif : aboutir à un pouvoir tellement divisé qu’il ne s’agit même plus de pouvoir à proprement parler, limitant ainsi les risques générés par un pouvoir trop centralisé et autoritaire.
Face à un tel idéal, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot crie à l’anarchisme, invoquant en soutien les théories de Proudhon, spécialiste de ce courant politique. Dockès s’en défend pourtant. Pas question pour lui de laisser le chaos s’installer : dans sa misarchie, les fonctions régaliennes de l’Etat sont conservées, tout comme la levée des impôts et les avancées sociétales telles que la sécurité sociale, l’école gratuite ou encore la liberté d’entreprendre. Un système assez similaire au nôtre donc, mais où les pouvoirs sont répartis entre beaucoup plus de mains dans une forme de décentralisation.
Mais la misarchie est-elle une démocratie ? La question taraude Pierre-Henri Tavoillot :
« Démocratie vient du grec demos [peuple] et kratos [pouvoir]. S’il n’y a plus de kratos, il n’y a plus de démocratie ! »
« Ce que nous vivons, c’est l’inverse d’une dérive autoritaire »
Libéral convaincu, Pierre-Henri Tavoillot s’est illustré comme l’opposant le plus virulent à l’encontre de ce modèle de « misarchie ». Pour lui, l’Etat ne doit surtout pas être supprimé : au contraire, il voit l’avenir de la démocratie dans l’équilibre entre un Etat et un peuple qui s’autolimiteraient grâce à une zone d’expression, de négociation et d’ajustement : le fameux « espace public ». Si aujourd’hui cette relation n’est pas à l’équilibre, ce n’est pas qu’il faut défendre le peuple, mais au contraire qu’il faut défendre le pouvoir face aux abus des contre-pouvoirs.
« Ce que nous vivons, c’est l’inverse d’une dérive autoritaire », explique-t-il : l’Etat est au contraire mis en danger par des groupuscules et autres organisations très minoritaires qui envahissent l’espace public de leurs discours, et qui crient à ne plus s’entendre, à l’image des « gilets jaunes » qui, non contents de desceller les pavés des Champs-Elysées, étaient allés jusqu’à menacer physiquement les représentants du gouvernement.
A l’antithèse de ce brouhaha, Tavoillot confie avoir adoré le Grand débat organisé par Emmanuel Macron, qui avait donné lieu à de véritables débats réunissant toutes les opinions qui, pour une fois, s’écoutaient, s’acceptaient et discutaient plutôt que de s’opposer. L’espace public : ce serait donc au cœur de cet espace d’échange et d’inter-limitation que résiderait la démocratie pure et parfaite.
Cependant, Emmanuel Dockès émet une réserve face à cette représentation très théorique de la relation entre Etat et peuple, arguant que ces deux entités ne sont que des idées, des concepts intangibles, et en réalité entremêlés puisque les membres de l’Etat appartiennent eux aussi au peuple.
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