Découvrez la tribune de Marine Supiot, architecte DE et intervenante pour Minéka, association qui démocratise le réemploi de matériaux de construction.
De plus en plus utilisés dans le monde de la construction, les éco-labels et certifications attestent d’un gage de bonne foi environnementale du maître d’ouvrage. Ils définissent des objectifs à atteindre par le futur bâtiment, qui seront impactés par sa conception, sa construction et sa gestion. Parmi ces critères, beaucoup encouragent l’utilisation de matériaux locaux, peu énergivores…. Des critères dans lesquels le réemploi a toute sa place .
Depuis la création de Minéka en 2016, nous constatons l’appréhension que suscite le réemploi. Encore mal connu, il est souvent réduit au bricolage de palettes, ou associé à une nouvelle lubie alternative. Le réemploi, c’est pourtant beaucoup plus que ça.
Utilisé depuis toujours, il permettait de récupérer les matériaux d’anciens bâtiments pour en construire de nouveaux, transférant leur valeur structurelle mais aussi symbolique, esthétique, historique, sociale… Aujourd’hui, alors que nos ressources s’amenuisent et que nos déchets débordent, la pratique est de nouveau considérée pour ses qualités environnementales. Elle demande néanmoins de repenser les façons de concevoir, pour placer la matière au centre du projet.
Le réemploi, une pratique durable
Ils identifient tout d’abord l’utilisation raisonnée des matériaux que permet le réemploi, c’est-à-dire limiter l’extraction de matières premières et la quantité de matériaux utilisés. Parce que ces matériaux ont déjà été extraits, usiné, utilisés, ils nécessitent une quantité minimale d’énergie pour être réutilisés et participent à réduire le bilan carbone global. De ce fait, ils font également preuve d’approvisionnement responsable.
De plus, la remise en circulation des matériaux s’appuie notamment sur les structures de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), qui agissent principalement sur leur territoire. En allant collecter des matériaux issus de déconstruction et destinés à la benne, pour les redistribuer et favoriser leur réutilisation, celles-ci participent à la mise en place d’une économie circulaire.
Au-delà de simples étiquettes, ces labels sont des guides à approfondir pour produire une architecture raisonnée, sobre et durable.
Placer la ressource au centre du processus de conception
Encore plus que l’utilisation de matériaux locaux, le réemploi pose la question des manières de concevoir. Penser avec la matière nécessite de regarder autour de soi, ouvrir les yeux sur les ressources du territoire pour créer un projet en accord avec son environnement.
Les matériaux de réemploi, parce qu’ils ont déjà été usinés, ont des caractéristiques propres. Ils ne sont pas toujours homogènes en grande quantité. Pour les artisans, designers et bricoleurs passionnés, les éléments uniques sont des opportunités pour la créativité.
Lors de projets à plus grande échelle, il s’agit de mener de front le développement de projet avec une analyse des ressources en matériaux disponibles, l’un influençant l’autre, pour atteindre le juste équilibre. Cela signifie également une répartition différente du temps de projet : réduire le temps des études en amont, pour en investir plus sur l’expérimentation à l’échelle 1 et la fabrication. C’est aussi en expérimentant que vont se poser les questions de découpes, de gestion et réutilisation des chutes…
Un projet global… et après ?
Nous ne pouvons pas nous pencher sur la gestion des ressources, sans avoir un œil sur leur gaspillage et la production de déchets. Aujourd’hui, la quantité de déchets produits dans le secteur du BTP est jugée négligeable, mais elle atteint tout de même 42 million de tonnes par an !
L’objet du réemploi est de réintégrer la part de ces matériaux encore viables dans la boucle de l’économie circulaire. On considère ainsi les matériaux de construction comme des ressources gaspillées, et non des déchets, ce qui est un réel changement de perspective à opérer. Aujourd’hui, 25% des matériaux qui finissent en benne seraient réemployables. Un pourcentage important mais qui pourrait être amélioré en augmentant les possibilités de déconstruire proprement ces éléments.
Dans ce cadre, les concepteurs ont leur part de responsabilité. Anticiper la future déconstruction du bâtiment permet d’orienter les choix de mise en œuvre. La construction par modules permet de déconstruire plus finement les structures. Privilégier les assemblages mécaniques, facilement démontables, au scellement béton également. Dans le cas d’un plancher bois par exemple, la quantité de solives [une pièce de charpente] en bon état et récupérables est très importante. Cela ne pourra pas se faire si elles ont été scellées dans des poutres béton. Cela qui impliquerait des découpes supplémentaires, une perte de matière et une perte de temps que la maîtrise d’ouvrage n’est pas toujours prête à accepter.
On espère ainsi que, très bientôt, la réversibilité des bâtiments dans leurs usages et dans leur construction sera intégrée bien en amont, pour ne plus avoir à sauver de matériaux de la benne !
« Une seconde vie pour les objets et les matériaux usagés », le mercredi 23 octobre aux Halles du Faubourg (Lyon 7è), de 18h30 à 20h.
Avec :
- Nathalie Ortar, directrice de recherche à l’Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat. Ses recherches sont notamment axées sur le recyclage et la récupération.
- Joanne Boachon, architecte et directrice-fondatrice de Minéka, association qui démocratise le réemploi de matériaux de construction, interviendra à ses côtés.
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