[Entretien] Végétalisation, piétonnisation, interdiction des véhicules les plus polluants… Le centre-ville de Lyon se fait de plus en plus agréable à vivre. Jean-Michel Deleuil, professeur des universités en urbanisme à l’INSA, alerte sur les risques de ségrégation : des populations les plus modestes, reléguées dans des périphéries polluées.
« Au motif de l’environnement, faut-il se doter de critères qui soient socialement inéquitables ? »
Rue89Lyon. Les projets pour rendre le centre-ville de Lyon plus vert et en enlever les voitures se succèdent. Que pensez-vous des dispositifs mis en place pour dissuader les automobilistes de se rendre dans le centre de Lyon ? Les vignettes Crit’air par exemple.
Jean-Michel Deleuil : Au motif de l’environnement, faut-il se doter de critères qui soient socialement inéquitables ? Ce sont les populations modestes qui ont des bagnoles dégueulasses. Elles n’ont pas les super modèles électriques les plus vertueux.
La « végétalisation » : des pots de fleurs en Presqu’île
Des pots de fleurs sur les voies de bus. C’est le projet « Presqu’île nature » proposé par le maire Gérard Collomb en juin dernier pour la rue Edouard Herriot et la rue de Brest. Le but, à en croire le dossier de presse : « végétaliser le cœur de ville et ainsi créer des îlots de fraicheur et des espaces de convivialité » pour créer « une trame verte » entre la place des Terreaux et la place Bellecour ».
Problème, les vélos et les bus devront partager avec les voitures la voie restante. Les automobiles seront peu impactées par le projet. L’objectif affiché est pourtant bien la lutte contre le réchauffement climatique, avec des massifs de fleurs « éco-responsables » garnis de « plantes de saison ».
Ce projet a déclenché un bad buzz pour le maire de Lyon. Une semaine après cette annonce, son adversaire David Kimelfeld présentait sont projet de piétonnisaiton de la la Presqu’île.
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Je me souviens des débats à Paris entre écolos qui disaient que pour l’environnement il fallait arrêter de faire rentrer les diesel dans Paris. Au sein du même parti, les débats étaient tendus avec ceux qui disaient que ça allait pénaliser les populations les plus fragiles socialement. Et si vous leur interdisez de venir avec leurs bagnoles dégueulasses chercher du boulot, qu’est-ce qu’elles vont devenir ces populations ? Ou alors il faut leur offrir de la voiture électrique. Là, on est dans des contradictions.
D’où viennent ces contradictions ?
On hérite de périphéries qui ont été impensées pendant 40 ans. De plans urbains où tout le monde s’est focalisé sur le pavillonnaire, une infrastructure à basse densité, en se disant que les déplacements se feront en voiture.
Oui, c’est pratique mais quand le prix de la voiture, de l’assurance, du carburant explosent, le modèle économique pour accéder à la propriété n’est plus tenable. C’est le revers de la médaille.
Si on fait un focus uniquement sur les centres-villes, on se dit que c’est formidable d’enlever la voiture. Oui, les centres-villes sont super agréables. Le problème c’est qu’ils ne sont plus accessibles qu’aux populations de classe moyenne et supérieure.
« Les centres-villes sont de plus en plus agréables, et donc de plus en plus chers »
Pourquoi les populations les plus modestes n’auraient-elles plus accès au centre-ville ?
Ce qui est en train de se passer – il s’agit d’un effet pervers – c’est que les centres-villes sont de moins en moins impactés par la voiture. Résultat, ils sont de plus en plus agréables, et donc de plus en plus chers.
Donc les populations modestes sont de plus en plus repoussées à l’extérieur des centres-villes où elles sont condamnées à avoir une bagnole, éventuellement à s‘énerver avec aux ronds-points et à mettre des gilets jaunes en disant : « Moi je suis poussé en dehors de la ville par le prix des loyers ou de l’accession à la propriété et ça m’impose de faire tous les jours 40 km en voiture et d’avoir deux voitures pour un ménage de quatre personnes et on ne s’en sort plus ». A 40 km, on ne prend pas les transports en commun.
Quelles solutions envisager dans ce cas ?
Premièrement, est-ce qu’il y a des mesures d’accompagnement du logement qui vont permettre qu’augmenter la qualité de l’espace public du centre-ville ne soit pas trop discriminant par rapport au logement ? Est-ce qu’on a une politique qui est dans le programme local d’habitat ? Est-ce qu’on maintient du logement social ? Est-ce qu’on a une volonté et un portage politique de la production de logement sur le centre-ville pour conserver un tout petit peu de mixité sociale ?
Mécaniquement, il y aura une discrimination des populations les plus modestes dans tous les cas. Après, le politique est quand même en charge d’essayer de limiter la casse ou pas.

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