Mercredi 13 mars à la Maison de l’Environnement (7e) se déroulait la première campagne de prélèvements d’urines pour le secteur lyonnais de la Campagne Glyphosate.
Démarrée l’année dernière à l’échelle nationale, celle-ci se donne pour mission d’effectuer un maximum de prélèvement d’urine chez les citoyens afin de mener une action en justice contre « toute personne impliquée dans la distribution et la large diffusion dans l’environnement de molécules probablement cancérogène de glyphosate ».
Coordonnée par le collectif des Faucheurs Volontaires d’OGM, la campagne a déjà réalisé plus de 1500 prélèvements dans toute la France, dont 350 en Rhônes-Alpes selon le coordinateur local du mouvement, Olivier Crenn. On sait déjà que tous les prélèvements sont positifs et qu’au niveau national la moyenne des taux de glyphosate dans les urines s’élèverait à 1.04 ng/mL (nanogramme par millilitre).
L’ambiance est matinale mais surtout conviviale : les organisateurs attendent les participants depuis six heures et les accueillent avec un petit-déjeuner.
Chacun peut participer en s’inscrivant au préalable, moyennant une cotisation de 135 € pour financer les frais organisationnels et de justice.
Arrivée au stand, petit-déjeuner, file d’attente, entretien pour étayer les statistiques de la campagne… et on rencontre enfin l’huissière de justice. Il ne reste plus qu’à se déshabiller dans une salle annexe, procéder au prélèvement d’urine, rendre son flacon et la participation est terminée.
L’équipe organisatrice s’occupe du reste : faire analyser les prélèvements et enfin monter l’action en justice.
Autour de 10 heures, la soixantaine de prélèvements est bouclée.
« Le glyphosate est présent, qu’on le veuille ou non »
Sylvain Willig est membre des Faucheurs Volontaires et reçoit ce jour-là la presse. Arborant également son badge du mouvement anti-pesticide « Nous voulons des coquelicots », il explique que la campagne « s’intéresse au glyphosate car c’est un marqueur, et reconnu comme probablement cancérogène. […] Ça met en évidence qu’on en absorbe. Il est présent qu’on le veuille ou non. C’est aussi une atteinte à la liberté individuelle ».
Il en profite pour rappeler que le discours des industriels serait de laisser le choix au consommateur entre la nourriture bio et non bio. La présence de glyphosate dans l’urine des personnes qui ne souhaitent pas en consommer viendrait donc à l’encontre des choix de consommation.
L’écologiste développe :
« Ce n’est pas uniquement notre petite santé à nous les écolos qui mangeons bio, et cetera. Le but c’est de mettre en évidence que c’est un ensemble de produits qui sont dangereux, dont on ne connaît pas forcément les effets.
On soumet depuis plusieurs décennies l’ensemble de la population du monde à de plus en plus de produits probablement toxiques. Quasiment comme si c’était une expérience à l’échelle mondiale, quoi. »
Pour appuyer la thèse du risque, diverses organisations dont la Campagne Glyphosate mènent ainsi des prélèvements d’urine chez les citoyens. Elles montrent que 100% des échantillons, dont ceux pris à Lyon, présentent des traces de glyphosate. Nombre d’arguments contre le glyphosate demeurent cependant contestés par des tenants de ce que l’on appelle la méthode scientifique.
Monsanto qui produit et commercialise
Mais qu’est-ce, au juste, que le glyphosate ? C’est une molécule qui fait parler d’elle, en premier lieu parce qu’elle est le principe actif herbicide le plus utilisé dans le monde. En France, 9100 tonnes de glyphosate auraient été utilisées en 2016.
Mais seule, la molécule n’a pas beaucoup d’utilité, c’est pourquoi elle est toujours associée à des co-formulants qui amplifient son effet, par exemple pour fabriquer le fameux Roundup de la multinationale Monsanto.
Le glyphosate est effectivement lié à cette entreprise car c’est elle qui l’a breveté et employé en premier comme herbicide dans les années 1970. Enfin, Monsanto produit et commercialise encore du glyphosate bien que son brevet soit tombé dans le domaine public en 2000.
Pourquoi un herbicide mérite-t-il qu’on aille le traquer jusque dans nos urines ? Sur le plan de la santé, on reproche le plus souvent au glyphosate qu’il ait été classé en 2015 comme « probablement cancérogène » par le Centre International de la Recherche contre le Cancer (CIRC), un organe international de recherche affilié à l’OMS et basé à Lyon.
Nous reviendrons sur la signification de la classification comme « probablement cancérogène » par le CIRC un peu plus tard. Car c’est bien en raison de cette classification, de son utilisation massive ainsi que de son affiliation à l’entreprise Monsanto que le glyphosate est autant contesté.
« Plus on sera nombreux à porter plainte, et plus ça aura une chance d’avoir un poids »
Les mesures de glyphosate, positives chez tout le monde, poussent à dire que l’agriculture et les méthodes employées sont l’affaire de tous.
Pour autant, doit-on avoir peur de ces traces de glyphosate dans les urines ? Parmi les « glyphotestés » à Lyon, Annick est venue par curiosité et surtout pour le dépôt de plainte. Ecolo depuis les années 1980, elle se dit « à la fois heureuse et navrée qu’il ait fallu une génération pour réentendre ce qu’on disait déjà il y a quarante ans ». Vivant en ville, se nourrissant bien, peu exposée, elle n’est pas vraiment inquiète des effets du glyphosate sur sa santé.
Son action est avant tout politique :
« Pour la curiosité personnelle, c’est rigolo de savoir à combien on est, sachant que de toute façon, on a tous du glyphosate. Et sachant aussi que ça varie d’un jour à l’autre.
C’est le côté politique qui est beaucoup plus intéressant à mon avis. Plus on sera nombreux à porter plainte, et plus ça aura une chance d’avoir un poids. »
Début avril, les résultats des prélèvements à Lyon tombent : comme chacune des mesures effectuées à ce jour, elles sont toutes positives, mais légèrement en-dessous de la moyenne nationale de 1,04 ng/mL. Inquiet, on peut se demander si ces taux mesurés sont alarmants, ou pas.
Olivier Crenn, tout comme dans la vidéo de la Campagne Glyphosate, prend comme repère un seuil de 0,1 ng/mL qui correspond au seuil maximal admissible pour un pesticide dans l’eau potable. On peut alors prendre peur : en moyenne, notre urine dépasserait ce seuil de dix fois.
Comment comparer urine et eau potable
Seulement, ce raisonnement est-il pertinent ?
Le scientifique peut douter d’une comparaison qui évalue la qualité de l’urine, un déchet naturel du corps, au regard d’une source d’eau potable. Plus encore, cette limite de 0,1 ng/mL ne serait en fait pas un seuil sanitaire. En effet, on comprend dans un rapport sur la qualité de l’eau potable du Ministère de la Santé que ce seuil est en réalité une limite de qualité, non sanitaire et appliquée indifféremment à tous les pesticides :
« Ces limites ne sont pas fondées sur une approche toxicologique […] et n’ont donc pas de signification sanitaire ; elles ont pour objectif de réduire la présence de ces composés au plus bas niveau de concentration possible ».
Le même rapport indique que le risque sanitaire pour la population est basé sur les valeurs sanitaires maximales (Vmax) établies par l’Anses :
« La consommation pendant la vie entière d’une eau contenant un pesticide à une concentration inférieure ou égale à la Vmax n’entraîne, sur la base des critères toxicologiques retenus et en l’état actuel des connaissances, aucun effet néfaste pour la santé. »
Pour le glyphosate, la Vmax proposées par l’Anses monte à 900 ng/mL.
Au vu des résultats de l’Anses, on peut se rassurer quant à la présence de traces de glyphosate dans nos urines : en concentration, elles seraient environ 900 fois inférieures aux limites sanitaires dans l’eau potable.
Cependant, les mesures montrent tout de même que le glyphosate – classé « probablement cancérogène » par le CIRC – est aussi probablement présent dans le corps de chacun d’entre nous. Alors faut-il s’en inquiéter ?
Entre danger, risque et précautions
Pour comprendre la classification du CIRC, il faut garder à l’esprit que cet organisme cherche à évaluer le danger (soit la capacité potentielle de nuisance d’un produit) et non le risque (soit la probabilité de souffrir de la nuisance lors d’une exposition donnée à un produit).
C’est ce que rappelle le CIRC dans sa FAQ :
« La classification indique le degré de certitude des indications selon lesquelles un agent peut provoquer le cancer (techniquement appelé “danger”), mais il ne mesure pas la probabilité qu’un cancer surviendra (techniquement appelé “risque”) en raison de l’exposition à l’agent. »
Le glyphosate est probablement cancérogène selon le CIRC. Cela signifie qu’un lien de causalité entre l’exposition au glyphosate et la survenue de cancer existe probablement. De la même manière, les rayons ultra-violets sont classés « cancérogène certain » par le CIRC car un lien de causalité avéré existe entre l’exposition aux ultra-violets et la survenue de cancer.
Si l’existence d’un mécanisme de cancérogénicité est probable, existe-t-il un réel risque sanitaire lié aux expositions de glyphosate pour la population ? S’il ne se prononce par lui-même, le CIRC renvoie l’évaluation et la gestion des risques aux organes nationaux et internationaux.
En ce qui nous concerne, il s’agit de l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) et de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail,), qui évaluent respectivement les substances actives au niveau de l’Europe et les produits formulés en France.
Or, selon Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue Sciences & pseudo-sciences, interrogé par le Point, « toutes les agences sanitaires indiquent que le glyphosate, dans les conditions normales d’utilisation, ne présente pas de risque pour les agriculteurs ». Il ajoute que « la population générale est évidemment bien moins exposée que les professionnels ».
Dans une analyse du traitement médiatique du glyphosate, le blogueur Chèvre Pensante recense les avis de nombreuses agences scientifiques nationales et internationales sur le sujet. Dans l’ensemble, elles concluent toutes à une faible probabilité de risque de cancer pour les humains.
Les autorités scientifiques sont arrivées aux mêmes conclusions : ni l’Efsa, ni l’Anses ne valident le fait que le glyphosate soit un cancérogène présumé ou avéré.
Cependant et ce n’est pas anodin, l’Anses retire du marché en 2016 tous les produits associant le glyphosate à un co-formulant, la tallowamine, « des risques inacceptables, notamment pour la santé humaine, ne pouvant être exclus pour ces produits ».
Systèmes d’évaluation défaillants
Les militants de la Campagne Glyphosate n’ignorent pas nécessairement les conclusions des agences réglementaires. Pour Sylvain Willig, les avis publiés par ces dernières ne sont pas valables car « les systèmes d’évaluation sont complètement défaillants ».
Pour étayer cet argument, Sylvain Willig pointe notamment du doigt les conflits d’intérêts de certains membres de l’EFSA, « membres ou ex-membres des sociétés productrices de pesticides » et le fait que les études réglementaires soient réalisées par les industriels et de façon trop opaque à son goût.
Ainsi, il précise l’objectif de la Campagne Glyphosate :
« Si la plainte est instruite par un juge d’instruction, et qu’on vient à avoir gain de cause, en remettant en cause les processus d’homologation, de fabrication et de diffusion du glyphosate, on aura réussi à pointer du doigt le fait que les décideurs sont responsables de leurs actes et ne peuvent plus se permettre de valider des mises sur le marché sans prendre la mesure de toute les conséquences.
Et donc, à travers le glyphosate, c’est l’ensemble des pesticides qu’on attaque. »
Finalement, le problème se déporte de la cancérogénicité du glyphosate à la légitimité des agences sanitaires, que la Campagne Glyphosate juge trop proches des industriels.
Comme le rappelle l’extrait de leur plainte, celle-ci vise notamment des responsables de l’Efsa et de l’Anses « pour mise en danger de la vie d’autrui » et « tromperie aggravée ».
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