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« Gilets jaunes » à Lyon : « On manifeste la peur au ventre mais on est obligé de continuer »

Plus de quatre mois après le premier « acte », quelques centaines de « gilets jaunes » ont tenté de poursuivre le mouvement en manifestant dans le centre ville de Lyon, ce samedi 24 mars. Entre deux charges de la police, quelques uns nous ont raconté les raisons de leur présence, « malgré la répression ». Ou à cause d’elle.

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Usage de gaz lacrymogène, place de la République le 23 mars. ©LB/Rue89Lyon

1. Geoffroy : « Je ne voulais pas y aller car les violences policières m’effrayaient »

14h15, place Bellecour. Casquette sur la tête, Geoffroy suit le mouvement. Quelques « gilets jaunes » viennent de lancer une marche en direction des quais de Saône. Cet éducateur de 39 ans en formation fait figure de grand débutant en matière de manifestation fluo. Il n’en est qu’à sa sixième manifestation.

« Je ne voulais pas y aller car les violences policières m’effrayaient. Et puis je me suis décidé. Je ne voulais pas que mon comportement soit dicté par la peur. J’y suis allé et je me suis fait gazer pour la première fois de ma vie. »

Il se présente comme « un habitué des manifs ». Il veut porter un message de justice sociale et d’urgence démocratique :

« En tant que travailleur social, je suis confronté tous les jours aux difficultés du peuple. Moi-même en formation, je touche 900 euros. C’est ce que je mets dans mon loyer. Heureusement que je suis en couple pour pouvoir vivre ».

Aujourd’hui, il se dit vigilant et se montre attentif à ne pas être « devant ». En première ligne, précisément, cinq minutes à peine après le départ, les manifestants de cet « acte XIX » sont bloqués par des policiers arrivés en trombe. Les hommes en bleu se déploient et envoient immédiatement des grenades lacrymogènes. Les manifestants font demi tour, direction les quais du Rhône.

Geoffroy hausse les épaules et, comme d’autres regardent l’heure, « à peine cinq minutes, avant de se faire gazer ».

Lui qui se définit comme « complètement non-violent » comprend les personnes qui jettent des projectiles sur les forces de l’ordre.

« C’est l’expression d’une non-écoute. Nous sommes allés dans la rue sur les retraites, contre la Loi travail. La non-violence n’a pas rien donné. Le gouvernement n’écoute pas son peuple. »

Pour Geoffroy, le mouvement doit tenir « au moins jusqu’à la fin du grand débat et de ses suites » pour que « ceux qui ont mis des espoirs dans ce grand débat rejoignent le mouvement ».

Geoffroy, "gilet jaune" à Lyon le 23 mars, place Bellecour. ©LB/Rue89Lyon
Geoffroy, « gilet jaune » à Lyon le 23 mars, place Bellecour. ©LB/Rue89Lyon

2. Jean : « Tant que le gouvernement ne bougera pas »

15h, quai Gailleton. Jean observe les quelques manifestants qui s’approchent de la ligne de CRS. La police bloque la manifestation au niveau de la rue de la Barre, cantonnant les « gilets jaunes » à la place Bellecour et la place Antonin Poncet. Certains lancent des projectiles. Les CRS ripostent avec des lacrymogènes et parfois un tir de lanceur de balles de défense (LBD). Puis c’est le calme.

A 70 ans, ce « gilet jaune » de la première heure reste en retrait.

« Je ne vais pas trop près quand ça canarde », lâche-t-il simplement.

S’il est seul aujourd’hui, c’est que son épouse ne peut physiquement pas venir.

« Elle a un problème au genou. Vu qu’elle ne peut pas courir, elle ne vient pas. »

Comme Geoffroy, il « comprend » ceux qui vont au contact. Pour lui, c’est le résultat d’une violence économique et des provocations policières.

« S’ils étaient intelligents, ils nous laisseraient passer. Dès qu’il y a la police et, surtout, la BAC, je constate que c’est le bordel. Lors de la marche sur le climat, il n’y avait pas de flics. Et, comme par hasard, ça s’est bien passé. Il y a des gens écœurés chez les gilets jaunes. Dès qu’on approche à moins de 30 mètres, c’est lacrymo et LBD. On dirait des scènes de guerre. On se croirait chez Erdogan ».

Jean n’a pas découvert le militantisme avec les « gilets jaunes ». Ancien syndiqué à la CFDT (« quand c’était un syndicat »), ce retraité du secteur social milite aujourd’hui à La France insoumise, à Caluire et dans l’agglomération lyonnaise.

« Au début, sur le rond-point d’Auchan Saint-Priest, on a eu des positions d’extrême droite, mais, avec le temps, c’est devenu minoritaire. »

Jean continuera, « tant que le gouvernement ne bougera pas ».

Le vent amène un nuage de lacrymo. Il tousse à plusieurs reprises, prend une dose de sérum physiologique que lui tend un autre manifestant pour se laver les yeux, et reprend :

« La criminalisation des mouvements sociaux n’est pas nouvelle. On est dans le prolongement. Mais, là, ce qui est incroyable, c’est le recours à l’armée. Même en 1968, De Gaulle n’avait pas voulu faire intervenir l’armée. Peut-être que le mouvement s’arrêtera. Ce sera à cause de la fatigue et de la terreur policière ».

De bouche à oreille, le message tourne. « On enlève les « gilets jaunes » pour se retrouver Rue de la République ».

Jean applique la consigne. Mais ne remettra pas son chasuble. Fini pour aujourd’hui. Rendez-vous est déjà pris pour samedi prochain.

Jean, "gilet jaune", à Lyon le 23 mars, quai Gailleton. ©LB/Rue89Lyon
Jean, « gilet jaune », à Lyon le 23 mars, quai Gailleton. ©LB/Rue89Lyon

3. Elodie, Victor et Nicolas : « On veut montrer que ce mouvement n’est pas d’extrême droite »

15h45, place de la République. Deux à trois « gilets jaunes » sont regroupés et font face à un cordon de policiers. Pour une fois, des chants et des slogans autres que « Macron démission » sont repris.
Côté chant, c’est un air désormais traditionnel :

« On est là, on est là, même si Macron ne veut pas, nous on est là. Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, nous on est là ».

Côté slogan, c’est « anti, anticapitaliste » qui domine. Il est notamment repris pas un groupe de trois personnes : Elodie, Victor et Nicolas.

Elodie, 29 ans, travaille dans le milieu associatif :

« Au départ, je n’étais pas sensible aux revendications contre l’augmentation des prix de l’essence et le discours purement anti-Macron, alors que c’est un pantin. »

Depuis le 8 décembre, elle et ses amis participent régulièrement aux manifs du samedi. Mais ces Lyonnais n’ont jamais été sur un rond-point ou à une assemblée de « gilets jaunes ».

« C’est l’occasion de manifester avec un discours anticapitaliste. Et aujourd’hui, après le nouveau tour de vis sécuritaire et l’utilisation de l’armée à Paris, c’est important de montrer qu’on ne cède pas. »

Dans un rire, Elodie se classerait bien dans une « mouvance anarcho-gauchiste » sans être en première ligne.

« On veut occuper le terrain pour montrer que ce mouvement n’est pas d’extrême droite, ni antisémite. C’est pour ça qu’on a des panneaux égalité pour tous et toutes. »

J’aurais aimé leur poser quelques questions sur leur militantisme, s’ils avaient participé aux différents cortèges « anti-racistes » qu’on a pu voir à Lyon les samedis. Mais la police n’a laissé que quelques minutes de répit aux « gilets jaunes ». Nouveaux tirs de lacrymogène suivis d’une charge.

Usage de gaz lacrymogène, place de la République le 23 mars. ©LB/Rue89Lyon
Usage de gaz lacrymogène, place de la République le 23 mars. ©LB/Rue89Lyon

4. Sylvie et Frédéric : « Il va falloir qu’ils lâchent, car ce n’est plus vivable »

Place des Jacobins, on tombe sur Sylvie et Frédéric. Avec d’autres, ils sont en train de reprendre leur souffle. Mais tandis que le gros des « gilets jaunes », de plus en plus jeunes, est reparti pour ne pas se faire coincer par la police, le couple reste au bord de la fontaine. Pour eux, la manifestation est finie.

« On a pris assez de gaz. Il y a une montée en puissance. C’est dix fois la puissance de ce qu’ils utilisaient au début, tousse Frédéric 57 ans Quand on n’en peut plus, on rentre. Je dors avec un appareil respiratoire. Donc il faut que je fasse gaffe. »

Sa femme, Sylvie reprend :

« Bien sûr qu’on manifeste la peur au ventre. Mais on est obligé de continuer ! Quel monde on va laisser à nos gosses ? »

Elle montre les passants :

« Je ne comprends pas les gens qui continuent à faire leurs courses. »

Sylvie a 52 ans. Elle est AESH, Aide aux enfants en situation de handicap. Elle s’occupe « officiellement » de deux enfants, « officieusement » de trois, scolarisés en maternelle. Avec son mari, Frédéric, grutier dans la pétrochimie, et ses trois enfants, elle vit à Communay dans le sud de Lyon.

Elle et son mari participent au mouvement à Givors, au « rond-point de Carrefour ». Les mots fusent chez Sylvie :

« Je gagne 700 euros net, mon mari 1500 euros. Avec trois enfants, dont deux dans les études supérieures, on n’arrive pas à finir les fins de mois. Il nous reste 25 euros et toutes les factures ne sont pas payées. Ce mois-ci, on a 284 euros en retard pour EDF. »

Ils préfèreraient « aller à la pêche », le samedi. Mais, pour eux, ce combat est de l’ordre de la survie.

« Il va falloir qu’ils lâchent, car ce n’est plus vivable ».

Le couple ne croit pas « aux politiques : « ils s’en sont trop mis dans les poches ». Mais ils ne l’expriment pas de la même manière.

Sylvie se dit « à gauche », fidèle au PC. Elle a voté Benoît Hamon au premier tour de la présidentielle et blanc au second tour. Frédéric, lui, a voté « sanction », à savoir Marine Le Pen.

Sylvie et Frédéric, "gilets jaunes" à Lyon, le 23 mars, place des Jacobins. ©LB/Rue89Lyon
Sylvie et Frédéric, « gilets jaunes » à Lyon, le 23 mars, place des Jacobins. ©LB/Rue89Lyon

#Lacrymo et Cie

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