La pièce Mon Cœur, c’est l’histoire de Claire Tabard, une victime du Mediator, ce médicament commercialisé par les laboratoires Servier. Le spectacle se centre sur un combat de femmes, de la maladie jusqu’au parcours de la combattante sur le chemin judiciaire. Ce scandale sanitaire n’est pas terminé et sera à nouveau sur le devant de la scène en octobre prochain avec un nouveau procès.
La pièce sera jouée au Théâtre de la Croix-Rousse du 26 au 29 mars prochain. Rue89Lyon a interrogé la metteure en scène Pauline Bureau, sur la place des femmes dans sa pièce et sur la perspective qu’elle ouvre, en partant d’un fait d’actualité devenu objet théâtral.
Pauline Bureau : Au tout début, j’ai entendu Irène Frachon parler à la radio. Ce qu’elle disait m’a vraiment étonnée, intéressée et aussi émue.
À l’intérieur de cette histoire, il y avait beaucoup de choses qui m’intéressaient. Le personnage d’Irène déjà, qui était une héroïne comme on n’en voit pas beaucoup sur le plateau des théâtres aujourd’hui.
Or, j’ai vraiment besoin que dans les histoires que je raconte et sur les plateaux maintenant, il y ait des personnages de femmes qui soient intenses, puissants, héroïques. Et Irène me semblait pouvoir être un beau personnage pour ça.
Ensuite, j’avais envie de travailler sur de l’extrême contemporain – puisque là l’histoire est encore en train de s’écrire, le procès pénal n’a pas eu lieu – c’est quelque chose qu’on fait peu au théâtre et que fait très bien, par exemple, la littérature américaine. Ça me semblait intéressant d’essayer ça.
Et puis enfin ce qui était incroyable dans cette histoire c’était son ampleur. Déjà le nombre de morts, puisqu’il y a quand même eu 2 000 morts, mortes plutôt, car ce sont beaucoup des femmes. C’est aussi que ça concernait le corps, qu’il y avait quelque chose d’un conte de fée macabre, d’avoir voulu être belle et d’être puni d’une façon aussi terrible et sans vergogne.
Et à l’intérieur de tout ça il me semblait qu’il y avait pas mal de thèmes qui pouvaient être abordés sur le corps des femmes donc, sur la contrainte, sur la justice, sur le droit des victimes etc… Plus j’ai travaillé, plus ça a été le cas et plus cette histoire m’a passionnée, horrifiée, mise en colère.
« J’ai besoin que dans les histoires que je raconte et sur les plateaux, il y ait des personnages de femmes intenses, puissants, héroïques »
Portez-vous un intérêt particulier à ce que représentent les lanceurs d’alerte, au fait qu’ils mettent au jour des faits graves, aux qualités liées au courage ?
Oui, c’est-à-dire que j’ai l’impression que, pour que de la même façon que dans une famille c’est important de parler des secrets, dans une société c’est quand même bien de soulever le tapis et de voir ce qu’il se cache. Plus on met des choses au jour et moins la société va mal.
« Je suis partie de l’intimité, de ce que les gens m’ont raconté, et avec toutes ces histoires j’ai créé le personnage d’une victime, Claire Tabard, qui porte le spectacle »
Quel a été le processus de création, comment d’un fait relayé par la presse, de ce qu’on appelle un « scandale sanitaire », vous avez tiré un objet théâtral ?
Je ne suis pas partie, ou très peu, des articles de presse. Je suis partie des rencontres puisqu’Irène m’a donné le numéro d’un certain nombre de victimes, c’est à partir de ça que j’ai tissé l’histoire telle qu’elle se raconte au plateau.
Je suis donc vraiment partie de l’intimité, de ce que les gens m’ont raconté, et avec toutes ces histoires j’ai créé le personnage d’une victime, Claire Tabard, qui porte le spectacle.
Le spectacle raconte son combat, c’est-à-dire la maladie, le Mediator, mais aussi comment elle se redresse, comment elle va demander réparation pour avoir été victime, comment elle va voir le laboratoire Servier et passer en commission d’expertise pour faire reconnaître ses droits, faire reconnaître que, dans une société, on ne tue pas qui on veut comme on veut.
« J’ai forcément tout modifié parce que les gens que je rencontrais avaient signé des clauses de confidentialité avec le laboratoire, ils ne pouvaient pas me parler et être reconnus »
Comment avez-vous fait travailler les comédiens, avez-vous pris les faits tels qu’ils étaient retranscrits par les personnes que vous avez rencontrées ou avez-vous modifié des choses ?
J’ai forcément tout modifié, parce que les gens que je rencontrais avaient signé des clauses de confidentialité avec le laboratoire, ils ne pouvaient pas me parler et être reconnus. Et puis l’histoire se raconte aussi à la façon d’un conte de fée moderne ; il y a quelque chose qui est très cinématographique à l’intérieur de ça, qui n’est pas forcément collé au réel. Ce n’est donc pas du tout du témoignage.
Vous avez rencontré Irène Frachon, un avocat, des victimes, etc. : pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire du point de vue de Claire, d’une victime, et pas d’Irène Frachon par exemple ?
Parce-que c’est ce qui m’a le plus intéressée, j’avais l’impression que c’était là qu’on voyait vraiment ce que c’était que l’horreur de ce scandale, à travers les gens qui l’ont vécu, qui l’ont subi.
Quel rôle pensez-vous que la pièce peut avoir dans la continuité de l’affaire ?
Pour moi, c’était important que ça aille aux victimes et que je raconte leur histoire de façon juste. Je crois que c’est le cas, puisqu’il y a beaucoup de personnes qui ont vu la pièce, des gens que j’avais rencontrés notamment, et ça les a beaucoup touchés.
Qualifieriez-vous votre pièce de politique ou d’engagée ?
Oui. Je pense qu’à partir du moment où on va sur un plateau, quelque chose de politique existe. Tout dépend de la façon dont on le fait. Tout est politique, mettre 10 hommes et 2 femmes aujourd’hui sur un plateau, c’est politique. D’une autre façon, mais ça l’est aussi.
Mon Coeur, du 26 au 29 mars au Théâtre de la Croix-Rousse. Une pièce adaptée en téléfilm, disponible ici.
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