Depuis le mois de décembre, Mélodie manifeste presque tous les samedis à Lyon. Cette « gilet jaune » de 35 ans au chômage était dans la rue ce 9 février quand la manifestation a été bloquée avant le pont de la Guillotière sur le cours Gambetta.
« On a subi plusieurs tirs de grenades lacrymogènes qui nous ont fait reculer jusqu’à la rue de Marseille », raconte-t-elle aujourd’hui à Rue89Lyon.
Mélodie et ses deux amis descendaient en direction du sud, sur les lignes du tram, quand elle a « senti un coup à l’arrière du genou ». Vraisemblablement un tir de lanceur de balles de défense (ou LBD).
« J’étais de dos, à plus de 50 mètres des premiers policiers donc je ne peux pas être sûre. Mais en regardant les photos sur le compte Twitter de David Dufresne (journaliste indépendant qui collecte les cas de violences policière, ndlr) , je suis certaine que ça en est ».
Son médecin traitant a dressé un certificat médical qui évoque un hématome d’une largeur d’une vingtaine de centimètres au niveau du creux du genou, « du haut de la cuisse au creux poplité ». Le médecin a reconnu une « incapacité partielle » de travail de dix jours.
Mélodie a pris un tir alors qu’elle faisait dos aux forces de l’ordre, et ne comprend pas ce geste :
« Je n’ai commis aucune dégradation, aucune violence. Je n’ai envoyé aucun projectile. »
Depuis ce tir, elle n’est pas retournée manifester.
« Je sais que certaines personnes ont été blessées bien plus grièvement que moi. Je voudrais simplement qu’on puisse manifester sans craindre d’être blessé. Même un hématome comme j’ai subi, ça ne devrait pas exister ».
Un nouveau recours contre les LBD lors des manifestations « gilets jaunes »
Mélodie va porter plainte auprès du procureur et va saisir le Défenseur des droits. Surtout, la manifestante « gilet jaune » a déposé ce mardi 19 février un référé-liberté devant le tribunal administratif de Lyon notamment pour demander l’interdiction des LBD, afin de pouvoir manifester sereinement.
Les chances de voir aboutir ce recours sont maigres puisque le Conseil d’Etat a débouté les demandes notamment déposée par la CGT et la Ligue des Droits de l’Homme, le 1er février dernier, en fermant largement la porte.
Dans son arrêt, le juge des référés du Conseil d’État a certes « constaté que l’usage du LBD avait dans la période récente provoqué des blessures, parfois très graves » mais a justifié le rejet de la demande d’interdiction par les « actes de violence » récurrents de ces manifestations non-déclarées. Surtout, il a introduit une notion « d’intentionnalité » :
« L’organisation des opérations de maintien de l’ordre mises en place lors des récentes manifestations ne révélait pas une intention des autorités de ne pas respecter les conditions d’usage, strictes, mises à l’utilisation de ces armes ».
L’avocat de Mélodie, Yannis Lantheaume, ne se démonte pas. Pour lui, retenir « l’intention des autorités » n’a « aucun sens » :
« Cette notion d’intentionnalité n’a de sens qu’en droit pénal. Pour les personnes blessées, ça leur fait de belle jambe de savoir qu’il n’y a pas eu d’intention. »
Il critique également l’affirmation du Conseil d’Etat qui évoque des « armes particulièrement approprié à ces manifestations » alors que le Défenseur des droits et, plus récemment, le Parlement européen et un groupe d’experts de l’ONU demande au gouvernement français de revoir la politique de maintien de l’ordre pour garantir cette liberté fondamentale de manifester.
« A Lyon, le préfet privilégie le déploiement de ces unités mobiles non formées au maintien de l’ordre »
Dans ce long mémoire (39 pages) que nous avons pu consulter, l’avocat de Mélodie analyse le dispositif d’ordre public mis en place par le préfet du Rhône. Et pour Yannis Lantheaume, « il est bien possible de relever, dans le contexte particulier des manifestations hebdomadaires des « Gilets Jaunes » à Lyon, une intention des autorités d’accroître la répression » :
« L’intention n’est pas de blesser des manifestants mais, en bloquant l’accès de la Presqu’île commerçante, ou en dispersant les manifestants à coups de gaz lacrymogène de plus en plus tôt, le dispositif d’ordre public est générateur de tensions qui favorisent tout à la fois le nombre de tirs et le mauvais emploi des armes ».
Dans son mémoire, l’avocat pointe plus spécifiquement le mauvais usage des LBD.
Sur le plan national, un tiers seulement des tirs de LBD ont été réalisés par des unités spécialisées dans le maintien de l’ordre (CRS et gendarmes mobiles). Autrement dit, deux tiers des 9 228 tirs (chiffres arrêtés au 26 janvier rapportés par Le Monde) ont été effectués par des unités de policiers « mobiles », type BAC ou Compagnies départementales d’intervention (CDI).
L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), a ouvert 116 enquêtes sur des tirs de LBD problématiques. Or aucune enquête ne concerne des CRS et seulement deux des gendarmes. Toutes ces investigations concernent ces unités « mobiles ».
Ce qui pose un problème, particulièrement à Lyon, pour Yannis Lantheaume :
« A Lyon, notamment pour la manifestation des « gilets jaunes » du 9 février, le préfet a privilégié le déploiement de ces unités mobiles qui ne sont pas formées au maintien de l’ordre en manifestation mais peuvent intervenir sur des violences urbaines ».
Pour lui, le non-respect de la déontologie est manifeste venant de policiers qui n’ont pas ou peu été formés au maniement de ces armes :
« Ici, comme ailleurs en France, on a pu documenter des policiers qui visaient la tête, des tirs à moins de dix mètres et des utilisations en dehors du cadre défensif défini ».
« Manifestation déclarée ou pas, ce n’est pas un délit de se rassembler »
Début janvier, le préfet de police du Rhône, David Clavière, nous affirmait que les manifestations « doivent être déclarées pour qu’elles se déroulent bien ».
Pour l’avocat de Mélodie, ce n’est pas le sujet :
« Manifestation déclarée ou pas, ce n’est pas un délit de se rassembler. Et, surtout, on ne doit pas pour autant se faire tirer dessus quand on défile dans la rue. Par ailleurs, quand il y a eu une manifestation déclarée le 26 janvier, les manifestants ont été empêchés de rejoindre la place Bellecour qui était pourtant le terme du parcours. »
Conclusion, pour la requérante « gilet jaune », il faut que le préfet lui « garantisse le respect effectif de son droit à manifester lors de la manifestation du samedi 23 février 2019 et, le cas échéant, des suivantes ».
C’est ce qu’elle demande aux juges du tribunal administratif de Lyon, via ce référé-liberté.
Son avocat et elle demandent précisément aux juges d’« enjoindre » au préfet du Rhône de « garantir son intégrité physique », notamment en :
– S’abstenant de faire participer au dispositif de maintien de l’ordre toutes unités non spécialisées dans ces opérations ;
– Procédant au retrait des armes de force intermédiaire les plus dangereuses, notamment des lanceurs de balles de défense LBD 40, ou toute autre arme susceptible de lui occasionner des blessures graves ; subsidiairement, en interdisant à toute unité non spécialisée dans le maintien de l’ordre d’utiliser de telles armes ;
– Diffusant aux forces de l’ordre une note écrite leur rappelant leurs obligations déontologiques et le cadre juridique d’emploi de leur matériel, notamment des armes type LBD 40.
Une audience se tiendra ce jeudi à 16h30.
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