Réaliser un film sur une affaire judiciaire en cours n’est pas une mince affaire. Le montrer dans la ville où tout l’enjeu se cristallise, notamment autour d’une de ses figures les plus puissantes -le cardinal Barbarin-, est tout aussi particulier.
Au casting de cette avant-première au cinéma le Comoedia : deux vigiles à l’entrée pour regarder les sacs des spectateurs qui se pressaient dans deux salles et une foule de journalistes venus questionner l’équipe du film ainsi que les membres de l’association « La Parole libérée » à qui l’on doit la révélation des agissements du curé Bernard Preynat, que le religieux a toujours reconnus.
On comptait également parmi les spectateurs un huissier mandaté par le président du tribunal de grande instance de Lyon, muni d’enregistreurs afin de collecter « tous les propos qui concerneraient tant Madame Régine Maire [la médiatrice psychologue du diocèse de Lyon qui est incarnée avec son vrai nom dans le film, ndlr] que Monsieur Philippe Barbarin, tenus lors de la présentation et/ou du débat […] avant et après la projection de l’avant-première ».
Dans ce film, la fiction n’est jamais loin de la réalité. La sortie prévue pour le 20 février est menacée par la défense du père Preynat qui a saisi le juge de référés (un mode qui permet de traiter un dossier en urgence) pour repousser la sortie du film après la tenue du procès -prévu fin 2019. Quant à Régine Maire, elle a demandé que son nom soit retiré du film. Ce à quoi François Ozon a répondu par un refus, estimant que les noms étant sortis dans la presse, ils pouvaient être utilisés.
« Vouloir montrer ce film, c’est retrouver les valeurs de l’Eglise »
Après la projection du film, François Ozon le réalisateur, Melvil Poupaud qui joue Alexandre, Swann Arlaud qui interprète Emmanuel et les représentants de l’association « La Parole libérée », Alexandre Hezez, François Devaux et Pierre-Emmanuel Germain-Thill ont échangé avec la salle pendant plus d’une heure.
Et le sujet de la demande d’interdiction du film est revenue, notamment parce que la présence de l’huissier avait été annoncée avant même la projection, à la salle.
Une jeune femme, très émue, raconte avoir été « traînée » pour voir ce film, évitant « ce genre de sujet », et même avoir « voulu sortir » lors d’une précédente projection du film. Mais elle est revenue ce lundi soir à Lyon, pour voir une seconde fois le long métrage.
« Je suis scandalisée qu’on veuille empêcher la sortie du film. Vouloir montrer cela, c’est retrouver les valeurs de l’Eglise. Je suis catholique et vous m’avez réconciliée, face à une gêne que j’éprouvais avec l’Eglise. »
La salle l’a applaudie.
Elle a parlé des difficultés rencontrées dans son entourage face aux non-dits, exprimant le sentiment de solitude des victimes et les difficultés de les aider.
Le réalisateur a répondu :
« On a fait ça, en effet, pas contre l’Eglise, mais pour l’Eglise. C’est un film qui dépasse l’événement. »
Et Alexandre Hezez a ajouté :
« Il faut que l’on change les règles. Notamment sur la prescription. »
La mère d’un ancien scout : « Il n’a pas de boulot, pas de famille »
Ce combat et ce débat sont au cœur du film et des procès en cour. Une femme située dans la partie haute de grande la salle prend le micro :
« Je suis d’accord avec vous, il ne devrait pas avoir de prescription. Les victimes sont jeunes et il n’est pas facile de parler pour eux. Ça sort quand ça sort. »
Et elle parle de son fils « un petit louveteau de saint-Luc en 1987 », victime du père Preynat, et explique « les difficultés » liées à la spasmophilie dont il souffre depuis.
« Il n’a pas de boulot, pas de famille. »
Ce témoignage s’ajoutant à celui de Pierre-Emmanuel Germain-Thill a permis à François Ozon de créer le personnage d’Emmanuel, interprété par Swann Arlaud dans le film. Elle conclut en affirmant avec une voix vacillante :
« Sa vie à été détruite par le père Preynat ».
Swann Arlaud : « On a juste incarné des putains de vrais super-héros »
Le film libère en effet la parole, ce n’est rien de le dire. Certains ont évoqué, toujours dans une salle bondée, des souvenirs douloureux.
Comme cet habitant de Saint-Etienne, « touché dès qu’[il] a vu la bande-annonce », venu en famille et pour qui le film évoque aussi « leur histoire ».Celle d’autres agressions, perpétrées par un autre prêtre, dans une autre paroisse et dont les victimes sont symbolisées par des silhouettes blanches posées dans la salle.
Ces interventions n’ont pu qu’apporter de l’eau au moulin de François Ozon, qui a répété vouloir faire non pas un « film militant » mais « un film citoyen ».
Alexandre Hezez dit du film :
« Il cristallise une histoire dans le temps, il lui donne une autre dimension. Loin du fait-divers, plus loin que l’Eglise. Il ancre un combat au travers d’une œuvre artistique, initie à la réflexion et apporte énormément à l’engagement. La « parole libérée » est mise en lumière justement pour libérer la parole.
Swann Arlaud a trouvé son mot pour conclure et la soirée, et les échanges :
« Au départ, on est en train d’interpréter trois victimes du père Preynat et le mot « victimes » est un mot assez fort, péjoratif et diminuant. Et on s’est rendu compte en interprétant cette histoire qu’on était en train d’interpréter des putains de héros ».
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