« Être une femme dans ce milieu amène souvent à des mises en garde comme la complexité de manipuler de lourdes machines à la vigne comme à la cave »
Antonin Iommi-Amunategui : Passer du clavier confortable d’un blog à la vigne et au chai, quelle drôle d’idée ; quand et comment vous est venue cette idée folle ?
Lolita : Quand j’ai commencé dans le monde du vin, en tant que sommelière et blogueuse en parallèle, j’ai toujours eu cette sensation étrange de ne pas être totalement à ma place. Je lançais souvent en dégustant une bouteille qui me plaisait : « Ah, si un jour je fais du vin, j’aimerais qu’il soit comme ça ! », mais c’était comme un rêve d’enfant qui ne pourrait jamais se réaliser, un peu comme devenir astronaute.
Il faut savoir que je ne viens pas d’une famille de vignerons, qu’être une femme dans ce milieu amène souvent à des mises en garde comme la complexité de manipuler de lourdes machines à la vigne comme à la cave. Finalement, après une année intense de sommellerie au Canada, j’en ai eu ma claque de la ville, du service, des verres à laver, des dégustations barbantes. Un soir, je me souviens, je suis rentrée du travail en me disant, si je n’arrête pas ce métier bientôt, je vais finir par envoyer un verre à la face d’un client. Je ressentais aussi un manque intense de la campagne, j’avais besoin d’un retour aux sources.
J’ai donc décidé de me lancer avec le peu d’économies que j’avais réussi à mettre de côté. J’ai commencé par bosser chez Jeff Coutelou, puis j’ai rencontré un couple de vignerons, domaine Le Breton Vial à Uzes, qui m’a proposé de partager leur cave. J’ai trouvé des cuves, on m’a donné des barriques, j’ai acheté un bout de vigne dans le Gard, des amis qui pouvaient me vendre du raisin pour compléter ma production et puis, c’était parti.
Fabrice : J’ai toujours été viscéralement attiré par la vigne, les chais, le vin. Gamin, on s’arrêtait chez les vignerons avec mes parents en rentrant de vacances. À table, pendant les repas de famille ou entre amis, il y avait toujours des bouteilles d’origines complètement différentes et ça me fascinait. Donc, ça ne date pas de mon époque blogueur.
Mon statut de vigneron aujourd’hui n’est finalement que le résultat d’un long cheminement vers ce métier. Mais, à l’été 2016, après une semaine de woofing dans les vignes des Perraud (Côtes de la Molière, Beaujolais), je suis rentré à Paris, j’ai réuni la famille, et j’ai dit : on se tire, direction le Beaujolais.
Et là tous les trois m’ont regardé et se sont replongés dans leurs portables.
En vérité, je ne parlerais pas d’un passage du confortable blog à la vigne, mais d’une vie très bien établie et confortable à Paris, avec tout ce que ça comprend (repères, amis, famille, culture, social life…) à un projet en province qui concerne aussi (et surtout) ta femme et tes enfants : 1 an de formation (et douze semaines de stage entre Beaujolais et Provence), 1 an seul dans le Beaujolais et, enfin, l’arrivée de la famille, dans une maison qui nécessite un bon ravalement intérieur. Ça fait trois années au total, pas toujours rock’n’roll. Mais (non rien de rien) je ne regrette rien !
En quoi votre passé de blogueur peut-il vous servir en tant que vigneron•ne ?
Lolita : Sincèrement, à part un réseau… Bon, c’est déjà beaucoup, je sais, mais je veux dire par là que toute la théorie ne vaut rien face à la pratique. Je me souviens de Theo Milan [domaine Milan, Saint-Rémy-de-Provence, ndlr] me dire un jour, lors d’une dégustation : « Paris, les salons, les soirées, c’est bien, on s’amuse ! Mais c’est sans en saisir l’essence du métier, et sa dureté… » Il avait raison. Pour vivre le vin, il faut vivre la vigne.
C’est à partir d’elle que tout commence. C’est un animal sauvage qu’il se faut d’accompagner et non chercher à dompter. J’aime ma vigne comme on peut aimer une personne. Parfois, je pense à Paris, et toutes ces années en tant que blogueuse, etc., et je réalise combien j’étais à mille lieux de la réalité.
Fabrice : J’étais et je reste un drogué de la vigne. Je passais mon temps chez les vignerons, partout en France mais aussi en Italie, des journées entières. J’ai énormément appris à leur contact.
Aujourd’hui, sur les réseaux, au téléphone ou chez eux, ils font preuve de beaucoup de bienveillance et de gentillesse à mon égard. Certains professionnels du vin (les #Todeschini, #SommelierBrunoBesson, #SommelierManuDelmas) me chambrent dès qu’il le peuvent, me titillent, me conseillent aussi, mais qui aime bien…
« Le Beaujolais n’est qu’à 1h30 de Paris. Lyon est à deux pas, la montagne et la Provence à deux heures, les paysages sont splendides, la bouffe une religion, le terroir de ouf, et le gamay est un cépage incroyable »
Lolita dans le Languedoc, Fabrice dans le Beaujolais : choix mûrement réfléchis, concours de circonstances, heureux hasards ?
Lolita : Je suis née à Montpellier et j’ai grandi à Nîmes. Quand j’ai décidé de revenir à la campagne, il me paraissait évident que je m’installe là où je suis née. Si j’avais choisi la Loire, j’aurais comme vécu une expatriation dans mon propre pays. Et puis le Canada a conforté l’idée de mon retour dans le Languedoc. Ça n’était pas uniquement la France qui me manquait mais surtout le Sud.
Fabrice : Le Beaujolais n’est qu’à 1h30 de Paris où ma femme exerce encore son métier de sage-femme. Lyon est à deux pas, la montagne et la Provence à deux heures, les paysages sont splendides, la bouffe une religion, le terroir de ouf, et le gamay est un cépage incroyable… What else ?
« Mon maître de stage m’a appris l’épreuve du vin. Mais il ne voulait pas me prêter son tracteur… La seule fois où il l’a fait, je l’ai envoyé dans le ravin ! »
Quel•le•s vigneron•ne•s vous inspirent ou vous ont inspirés ?
Lolita : Ma première bouteille de vin nature, c’était en 2010 : du Olivier Jullien. La seconde, Clos Fantine. La troisième, « Le P’tit Blanc » de Puzelat. Avant eux, je m’emmerdais en buvant du vin. Là c’était comme boire quelque chose que je comprenais. Qui me parlait.
J’aime le côté rock’n’roll des jus, leur pureté aussi. J’aime les personnages que sont les vignerons, de vrais artistes. Je pense être barrée dans mon style, radicale dans mes décisions et surtout attirée par la marginalité, donc forcément ça m’a eue.
Fabrice : Je dirais mes deux maîtres de stage. Bruno Perraud (Côtes de la Molière), dont j’adore les vins, m’a mis à l’épreuve du vin et de la vigne. Il m’a mis devant la (dure) réalité (physique) du métier. Il m’a fait piocher, débroussailler, tailler, vinifier… Un certain nombre de tâches ingrates qui vous font comprendre si vous êtes fait pour ce métier ou pas. Il y a juste son tracteur qu’il ne voulait jamais me prêter ! Remarque, la seule fois qu’il me l’a prêté, je l’ai envoyé dans le ravin ! Il m’a appris à me ménager, à travailler intelligemment, efficacement. J’aime sa philosophie, c’est un homme calme, posé, très proche de la nature, qui travaille à l’instinct. Un grand sage.
Il y a aussi Henri Milan, mon Zinédine Zidane du vin à moi. Je l’ai rencontré en mode blogueur il y a une petite dizaine d’années. Je tremblais devant lui. Henri possède une certaine sagesse aussi. En stage, Henri me filait les clés du camion (et du tracteur). Il m’a appris l’autonomie en m’accordant une confiance folle. Je me disais mais ce mec est taré de me confier ses vignes et son vin et de me laisser faire. Mais il me guidait, même à distance. Je lui dois beaucoup, à lui et à toute son équipe. Henri est devenu plus qu’un ami : un père pinard spirituel !
Après, je ne donnerai pas de noms pour ne pas vexer ceux que j’oublierais. Mais de la Champagne au Roussillon, en passant pas la Loire, le Jura, Le Languedoc, le Beaujolais of course, la Provence, la Corse… Il y a tellement de vignerons talentueux, que j’ai rencontrés ou pas, dont les vins me font grimper au rideau…
Je suis bien aidé par Jean Foillard, qui m’a pris pendant les vinifs en 2017. Jean est très attentif à mon travail et à mes choix. Sylvère Trichard (Séléné) m’a accueilli en 2017 pour les vendanges et les vinifs et je l’en remercie. Et je suis proche de Charly et Paul-Henry Thillardon, qui ont été très réactifs pendant les vinifs 2018, dès que j’avais un doute. Et puis, en dépit des nombreux vigneron•ne•s de talent que je peux connaître et côtoyer, et dont je n’arriverais jamais à la cheville, je pense aux tout premiers vignerons que j’ai rencontrés quand je démarrais mon blog et qui m’ont donné envie de suivre leurs traces, comme Sylvain Morey (La Bastide du Claux à Cucuron, 84) et Guilhem Coste (Chemin des Fées, Saint-Félix de Lodez, 34).
« Le matin, j’arrive à ma cave très tôt, je parle à mes barriques, je les remercie ou je leur dis : allez les meufs, on se bouge là ! »
Quel(s) style(s) de vin concevez-vous ? Pourquoi ?
Lolita : Du jus fermenté. J’aime trop le risque pour mettre des produits, donc sans sulfites, sans levures starter ça va de soi, sans filtration, tout fait main de la vendange à la mise en bouteilles et au collage des étiquettes. Commencer petit et rester petit. C’est vrai qu’en « nature », on se doit d’être confiant en ses capacités. On doit croire en quelque chose qui nous surpasse. On se laisse transporter, on attend, on prie.
Le matin, j’arrive à ma cave très tôt quand personne n’est encore là, je parle à mes barriques, je les remercie ou je leur dis : allez les meufs, on se bouge là ! Quand elles réduisent par exemple. Et puis le jour d’après, elles goûtent bien, elles m’écoutent.
Fabrice : Il y a des piliers fondamentaux. Le travail en bio et en biodynamie est le premier : des sols vivants, aérés, des vignes en pleine forme, à qui je ne demande pas des rendements de ouf. Pilier numéro deux : au cuvage, pas de sulfites à l’entrée de la vendange ni pendant les vinifs, sauf nécessité incontournable, pas d’intrants donc ; il faut gérer, s’occuper de son vin, l’écouter, le suivre, l’accompagner, répondre à ses besoins par des moyens autres que chimiques.
J’aimerais faire des vins que j’ai envie de boire, que je trouve bons. Rien d’outrecuidant. Quelque chose de sobre avec gros coefficient de buvabilté ! Ça a l’air pas trop mal parti avec « ChénasPan » et « Crapules » 2018.
« Je ne pourrai jamais abandonner mes vignes. Donc c’est jusqu’à ma mort. »
Est-ce que vous vous voyez vigneron•ne•s pour de bon ou c’est plutôt une simple étape/phase ?
Lolita : Je ne pourrai jamais abandonner mes vignes. Donc c’est jusqu’à ma mort. Et puis, j’ai enfin trouvé un métier au rythme assez addictif pour tenir. Quand les vendanges se sont finies, j’étais épuisée mais déjà dans l’attente des prochaines. Je me disais, j’aurais dû faire comme ça, j’aurais dû vendanger plus de ça, etc. Moi qui m’ennuie si facilement d’habitude… Là je n’en dormais presque plus, une vraie émulsion dans mon cœur et ma tête !
Fabrice : Pour de bon ! Mardi c’est la rentrée, je vais encore me prendre une grosse claque en arrivant au collège [Fabrice est professeur d’anglais, ndlr], après toutes ces heures à vinifier et passées dans mes vignes à piocher… Je passe prof à mi-temps à la rentrée prochaine. Le but est de passer vigneron à 100 % d’ici 3 ou 4 ans.
« Le pressoir représente l’étape essentielle des vendanges, le passage du fruit au jus. Ça prend du temps, c’est physique, c’est comme un accouchement »
Quelle(s) cuvée(s) allez-vous présenter lors du salon « Sous les pavés la vigne », ces 3 & 4 novembre, au Palais de la Bourse ?
Lolita : Attention, c’est du brut de cuve, il manque encore de l’élevage en barrique. La cuvée « Mise en Bouche », 100 % grenache. Et la cuvée « Le vertige de la nuit dernière s’est abattu sur moi ; et sur mon téléphone s’affichaient plusieurs messages : quatre de Berenice, un de Vincent, mais comme toujours aucun de toi » [concourant pour le plus long nom de cuvée du monde, ndlr], 80 % cinsault, 20 % grenache.
J’ai pressé avec un petit pressoir à cliquet des années 50. Le pressoir représente l’étape essentielle des vendanges, le passage du fruit au jus. Ça prend du temps, c’est physique, c’est comme un accouchement ! Pour les vinifs, j’ai plein de petites cuves dans lesquelles je prépare mes potions. Je transvase, j’assemble, je remets en barrique.
L’année prochaine, j’investis dans des dames-jeannes, je veux encore plus de possibilités et de contenants assez petits pour que je puisse moi-même les bouger, les laver.
Fabrice : C’est trop tôt pour faire goûter ! Mais il devrait y avoir « Crapule » 2018, un beaujolais-villages initialement conçu pour faire un pet’nat’ et pressuré comme un blanc, mais les sucres se sont faits défoncer pendant un week-end, du coup ça fait un androgyne rouge clair pété de fruit et d’acidité, parfait à l’apéro. Il est en fûts pour l’hiver. Et « ChénasPan » 2018, un Chénas (évidemment) vinifié en macération carbonique, élevé en fûts (de six vins) jusqu’au printemps. Voire au-delà.
Quel•le•s vigneron•ne•s irez-vous goûter en priorité au salon samedi et dimanche ?
Lolita : En premier, sans même réfléchir, ça sera Fabrice : il commence aussi et sera mon voisin de table. J’ai très, très hâte de goûter. Si le vin est à son image, ça risque de bien envoyer ! Puis Jean-Benoit Goulabert [qui proposera des vins du Languedoc issus de cépages « interdits », ndlr], j’avais goûté ses bruts de cuve en mai dernier au salon « Sous les pavés la vigne » à Paris, je veux voir comment ça a évolué depuis. Et puis je vais passer dire bonjour à Victor du domaine Inebriati !
Fabrice : Lolita ! Obligé ! Et puis mes copains-copines Isabelle Guichard, Manu Rybinski, Vincent Bonnal… Mais j’ai hâte de déguster les vins de tous les camarades, de France et d’ailleurs !
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