Anaïk Purenne, chercheure à l’ENTPE (Ecole nationale des travaux publics), constate :
« Les jeunes sont les seuls qui n’ont pas la parole dans l’espace public ».
Samia Bencherifa, qui dirige le pôle « ados » du centre social Georges-Lévy, ajoute :
« Pour se faire comprendre il faut parler un langage commun. Il faut travailler sur les représentations. A notre niveau, on travaille avec des jeunes sur leurs représentations de la police. Et la police devraient travailler sur ses représentations des jeunes.
Partant de ce double constat, un partenariat entre le centre social Georges-Lévy du quartier la Grappinière et l’ENTPE, installé au centre-ville de Vaulx-en-Velin, a été noué.
« L’expérience de la discrimination »
A l’origine, il s’agissait d’un projet de recherche international sur « l’expérience des discriminations ». Il a été lancé en France (Roubaix, Paris, Bordeaux, Vaulx, Grenoble) ainsi qu’à Londres, Los Angeles et Montréal.
Première particularité : à Vaulx-en-Velin, ce sont les jeunes eux-mêmes qui ont interrogé des habitants de Vaulx-en-Velin sur leur quotidien et leur accès à l’éducation, au logement ou encore à l’emploi. Le tout, en utilisant une grille de questions scientifique (lire encadré).
Une dizaine de jeunes vaudais se sont mués en chercheur. Anaïk Purenne de l’ENTPE explique le processus :
« Il ne s’agissait pas de la sorte de mettre en place une démarche de croisement des savoirs, ni d’ériger les jeunes en partenaires à part entière à toutes les étapes de la recherche comme ont pu le faire d’autres projets conduits avec des jeunes. Le but était plutôt de les aider, en prenant part à la production d’un discours scientifique sur les discriminations, à imaginer une autre place que celle de «victime».
Hakim, 19 ans, un des jeunes du centre social, explique comment cette nouvelle posture a changé de point de vue :
« Les entretiens nous ont permis de voir la situation d’un autre œil. On s’est rendu compte que les habitants les plus vieux nous parlent moins de la police et plus des discriminations à l’emploi ou au logement. »
Recentrage sur une question spécifique : les rapports à la police
En novembre 2016, deux événements ont conduit à un recentrage du projet sur la question des rapports police/population.
Les jeunes ont rencontré un général de la gendarmerie. Abdallah, 17 ans, raconte l’expérience :
« Ça a été un déclic. Il nous a expliqué quels étaient nos droits et devoirs lors d’un contrôle d’identité. On avait complètement banalisé les comportements abusifs de certains policiers. Ça nous a fait réfléchir. »
L’autre événement est arrivé deux jours après la rencontre avec le gendarme. Alors qu’il conduisait sa voiture, un des jeunes du centre social a été arrêté puis contrôlé par des policiers. Ils se sont moqués de lui quand il leur a dit qu’ils n’étaient pas autorisés à le fouiller sans motif. Il a écopé d’une amende.
Police/population : changer les représentations
De nouveaux contacts ont été pris pour défendre cette démarche. En octobre 2017, l’équipe PoliCité a été reçue place Beauvau par un des conseillers du ministre de l’Intérieur.
Une nouvelle grille d’entretiens a également été élaborée. La chercheure Anaïk Purenne explique ce changement :
« Chez les jeunes, les relations police/population sont l’exemple même des discriminations. Quand on n’a pas vingt ans, c’est ce qui parle le plus car on n’a pas encore fait l’expérience des discriminations au logement ou à l’emploi. »
Une trentaine d’entretiens ont été réalisés entre janvier 2017 et juin 2018.
Ce sont majoritairement des jeunes vaudais et vaudaises de 14 à 30 ans qui ont été interviewés.
Bande dessinée et espaces de dialogue
Les résultats de cette enquête seront publiés sous deux formes :
- un livre académique canadiens sur les profilages policiers (ethniques, genres, socio-économiques) dans différents pays francophones.
- une bande dessinée
Mais avant cette restitution, des premières tendances peuvent déjà être dégagées.
Naïm, un des jeunes enquêteurs :
« A Vaulx-en-Velin, les jeunes ne parlent pas de contrôles au faciès. Ils ne contestent pas le fait d’être contrôlés mais reprochent surtout aux policiers la manière dont ils leur parlent ».
C’est toute la question du tutoiement, interdit par le code de déontologie qui impose le vouvoiement.
Samia Bencherifa, du centre social Georges-Lévy, complète :
« De ce travail de recherche, il ressort qu’il y a une sorte de jeu de provocations entre les jeunes et la police. Ça participe de l’incompréhension des rôles des uns et des autres. Notre rôle désormais est sur ces points de friction, de créer des espaces de dialogue ».
La recherche va continuer. Mais le projet PoliCité entend également passer de la recherche à l’action en essayant de monter des espaces de dialogue pour dépasser ces représentations mutuelles négatives.
Naïm conclut :
« C’est une main tendue vers la police ».
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