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Chantal la Nuit : « le mouvement queer est une révolution sociale, la fête un mouvement politique »

Seconde édition pour Intérieur Queer, le festival mené à Lyon par le crew d’activistes Plusbellelanuit et Culture Next. Fêtes, débats, cabaret, politique : quand travelos et drag queens secouent les consciences endormies pour tendre vers un idéal : plus de liberté, plus d’égalité et plus de fêtes.

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Photo du festival intérieur queer.©G.Clément/LePetitBulletin

Rencontre avec Chantal la Nuit, l’emblématique égérie des soirées Garçon Sauvage et porte-voix de ce collectif queer.

Photo du festival intérieur queer.© G.Clément/LePetitBulletin
Oui oui, Chantal la Nuit est bien en train de maquiller Laurent Garnier à Lyon. © G.Clément/LePetitBulletin

La fête, un objet politique, vraiment ?

Chantal la Nuit : « C’est un média politique. C’est un constat : ça fait vingt ans que j’organise des événements, j’ai commencé avec Middlegender, c’était pop / rock / électro sur une base queer. Déjà, on pouvait échanger avec le public ; mais c’était aussi un peu costumé, on avait des barbes et des robes, sans être apprêtées en mode drag queen.

C’était une revendication : il était possible de se parer des vêtements que l’on voulait, d’être transgressifs.

Je suis partie à Barcelone pour une résidence artistique, j’ai atterri dans une fête queer, costumée. Je vois alors des personnages exubérants, des travelos avec des barbes, du costume assez beau, ça chantait : un bal pop, bon enfant. Je suis revenue à Lyon avec cette idée en tête, j’ai créé Plusbellelanuit. Se transformer et jouer un rôle a fait fonctionner cette fête, mais c’est devenu bien plus que ça, elle est tellement magique…

Dès le début, on avait des gens avec des costumes fous, qui se roulaient littéralement par terre, on programmait de l’italo-disco mélangé à de l’électro. On entendait encore pas mal de mecs dire : « on veut pas venir, on est pédés mais on est pas des folles ». Ce qui est vraiment une discrimination en soi dans la communauté.

Au bout d’un moment, c’est devenu tellement délirant, que ces gens venaient quand même et ont fini par changer d’avis. Ces mecs finissaient par mettre du rouge à lèvres et des talons, par accepter l’auto-dérision, par être en capacité de rire d’eux-mêmes et de se dire qu’être pédé ou lesbienne, c’est pas grave.

Et tu peux être libre, sans forcément correspondre à un format très hétéronormé où tu dois être pédé et ressembler à un mec – ce qui est un moyen de défense également : tu seras plus facilement accepté dans la société si tu es un pédé ultra-viril, qui s’inscrit dans un schéma traditionnel. Ces fêtes remettent ça en perspective.

La force de Plusbellelanuit, c’est aussi que pendant toutes ces années, on a choisi notre public. C’était avant les réseaux sociaux, ou à mi-chemin, je faisais du flyage main à la main, quand je rencontrais des personnes sympas, hors-cadre, dans les bars, je les invitais. Ça nous a permis d’avoir une qualité de public, avec des gens qui sont dans l’échange, la bienveillance, et qui retransmettent cet esprit encore dix ans après. »

Intérieur Queer : festival ou laboratoire d’idées?

« On est plus dans un laboratoire d’idées. On l’a appelé festival car on est encore en train de se chercher. Festival, car il y a plein d’événements qui se succèdent. Mais c’est un gros laboratoire à géométrie variable, on a reconfiguré plein de choses cette année, avec de nouvelles idées. Nous sommes en recherche permanente. »

Pourquoi Lyon et le queer matchent ainsi ?

« Honnêtement, c’est un peu embarrassant pour moi… Bon, il y avait déjà un terreau queer d’extrême gauche dans les squatts, je les ai connus de longues années en arrière : la Middlegender n°0, c’était dans un squatt. On découvrait alors les politiques queer, après on s’est déplacé sur des choses qui nous correspondaient plus, comme investir des bars.

Middlegender a duré six ans. Cette progression-là puis l’impulsion de Plusbellelanuit, je le pense sincèrement : on a tracé le chemin. Le mouvement travesti et drag queen a été mis en avant à travers ce que l’on a créé. Surtout quand on a eu le support du Sucre : là, on a explosé.

On a fait beaucoup d’émules, beaucoup de personnes se sont emparées de cette idée et l’ont réinvestie. Lors de nos événements, plus d’une vingtaine de personnes sont venues me dire que j’avais changé leur vie. Pour moi c’est énorme ! Quand les gens viennent me dire ça, ce n’est pas une phrase. Je peux le comprendre, car moi-même, tout ce dépassement, se travestir, c’était un énorme support humain pour grandir et me sentir bien dans mes baskets. »

« Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! » : c’était l’un des slogans des Gazolines au début des années 70. Une inspiration, les Gazolines de Maud Molyneux ?

« Ce n’est pas une chose sur laquelle je me suis basée. Ma base politique, ce sont les écrits d’intellectuels comme Virginie Despentes ou Judith Butler. Je m’en suis un peu détachée. Avec Plusbellelanuit, on est un cheval de Troie, on n’est pas dans l’idéologie. On n’est pas dans une chapelle spécifique du queer comme il en existe.

On est d’accord avec les propos sur la lutte des classes, mais on travaille sur autre chose, sur une population qui n’est pas proche de ces politiques-là. La population homosexuelle de Lyon, qui sort beaucoup, elle a les moyens de le faire. Les nôtres en ce moment coûtent chers par rapport à d’autres petits événements tout aussi intéressants. Ce que l’on faisait aussi auparavant, mais on était alors dans une sorte d’entre-soi, avec des gens plus radicaux.

Là, on touche un public supplémentaire qui n’était pas enclin à ces questions politiques. Et la population qui est riche, c’est celle qui décide. C’est triste mais c’est comme ça. Si nous, on peut arriver à mettre le ver dans le fruit, leur faire comprendre l’importance des politiques queer, les questions de pauvreté, de discrimination, de transphobie, là on peut créer un mouvement global. »

En art, il n’y a plus d’avant-garde : trop vite récupérée par le marché. Est-ce que l’avant-garde aujourd’hui ne serait pas le mouvement queer et les questions de genre ?

« C’est une vraie révolution sociale. Ça déformate totalement le monde dans lequel on vit, ça remet tout en cause, à commencer par un système établi qui est complètement absurde, qui marche sur la tête. Le mouvement queer permet d’insuffler une vraie liberté du soi. Tu peux être qui tu veux en réalité, on ne doit pas t’imposer une norme de ce que tu dois être, les genres sont multiples, il n’y en a pas que deux.

C’est extrêmement fluide et ça influe sur tout un rapport de pensée. Sur les discriminations : les femmes en France n’ont pas le même niveau de salaire, se font emmerder dans la rue… C’est relatif au genre, à comment on te construit : les filles sont faibles, les garçons sont forts. C’est de moins en moins vrai heureusement, mais ça l’est encore de nos jours. Le mouvement queer permet de tendre vers plus d’égalité. Et du point de vue créatif, permet de se réinventer librement. »

« Vous êtes beau dans votre singularité » est votre baseline.

« La singularité, c’est aussi un concept scientifique : c’est le moment de basculement où une intelligence artificielle engendrerait son propre progrès, s’auto-améliorerait, rendant obsolète l’intelligence humaine. La singularité est le Graal de certains transhumanistes qui l’attendent pour se réinventer une enveloppe corporelle qu’ils auront choisi ou transférer leur esprit dans une machine. »

Se choisir un corps, un genre, n’est-ce pas là une connexion avec le mouvement queer ?

« L’an dernier, sur le café queer, un sociologue avait parlé de ça. Mais je ne suis pas sociologue, je suis un travelo ! Cette phrase est venue lors de notre premier 31 décembre, c’était une consécration après des années au Sucre, il y avait une ambiance terrible, j’ai pris le micro et j’ai dit « vous êtes beaux dans votre singularité ! », l’idée c’était : restez vous-même. Ça se limite à ça. Mais en même temps, la filiation, maintenant que tu me le dis, elle est intéressante… »

Intérieur Queer, au Transbordeur, au Sucre et en divers lieux du mercredi 27 juin au dimanche 1er juillet.

Un article à retrouver sur le site du Petit Bulletin.


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