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Au procès des nationalistes Benedetti et Gabriac : « la dissolution nous a tués »

Il fut une époque, pas si lointaine, où Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac tenaient le haut du pavé de l’extrême droite radicale. À la tête de l’Oeuvre française et des Jeunesses nationalistes, ils se sont faits connaître pour leurs actions durant les mobilisations contre le Mariage pour tous. Et puis il y a eu la dissolution de leur mouvement.

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Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti, drapeau de l'Oeuvre française sur les épaules, au palais de justice de Lyon pour leur procès. ©LB/Rue89Lyon

Ce lundi, à Lyon, se tenait leur procès pour « reconstitution de ligue dissoute » alors que des voix demandent aujourd’hui la dissolution d’autres groupuscules, le Bastion social ou Génération identitaire. De quoi s’interroger sur les effets d’une telle mesure.

En juillet 2013, à la suite de la mort de Clément Méric, le ministère de l’Intérieur entérinait la dissolution de quatre groupuscules dont l’Oeuvre française et les Jeunesses nationalistes, même si ces deux organisations n’étaient pas impliquées dans la mort du militant antifasciste parisien (lire ici). Ces deux groupuscules d’extrême droite avaient Lyon pour base arrière et Pétain pour modèle.

Les nationalistes Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac avaient tous les deux été exclus du FN après l’arrivée à la présidence de Marine Le Pen : Yvan Benedetti, pour s’être déclaré « antisémite, anti-sioniste et anti-juifs » et Alexandre Gabriac pour plusieurs photos où on le voit effectuant le salut nazi.

Les deux s’étaient fait connaître en multipliant des « actions coups de poing » médiatiques notamment contre le Mariage pour tous. A Lyon (lire ici et ) et à Paris.

Les activités militantes continuent

Après la dissolution, surveillés de très près par la police, les deux dirigeants nationalistes ont continué leurs activités politiques.

La stratégie était claire : la fin des Jeunesses nationalistes mais le maintien de l’Œuvre française contre la décision gouvernementale. Au nom de la tradition. L’Œuvre française étant un mouvement historique de l’extrême droite, fondé en 1968 alors que sa branche jeunesse n’avait été créée qu’en octobre 2011.

Le président de l’Œuvre française, Yvan Benedetti, 52 ans, a d’abord réactivé le site Internet « Jeune nation ». Puis dès l’automne 2013, les deux dirigeants nationalistes participaient, ouvertement et en commun, à plusieurs réunions militantes. Yvan Benedetti se présentait (et se présente toujours) comme le « président de l’Œuvre française, envers et contre tout » et Alexandre Gabriac seulement comme le « fondateur des Jeunesses nationalistes ».

Ces nationalistes étaient également capable de réunir à une centaine de sympathisants lors d’une manif « jour de colère » en avril 2014 à Lyon après celle de Paris.

En février 2014, ils ont présenté une liste aux élections municipales à Vénissieux, ville où Yvan Benedetti avait été élu sous l’étiquette FN. Enfin, plus d’un an après la dissolution, rue Saint-Georges dans le Vieux Lyon, Yvan Benedetti ouvrait un local qui n’est aujourd’hui plus utilisé.

En novembre 2014, les deux été finalement mis en examen pour « reconstitution et maintien de ligue dissoute ». L’instruction a porté sur les activités militantes de juillet 2013 à juin 2014. Entre temps, leur recours devant le Conseil d’Etat pour contester les deux dissolutions avait été rejeté.

« En effet, je maintiens l’Œuvre française »

Ce lundi 4 juin, conséquence de leur stratégie dissociée, les attitudes à la barre du tribunal correctionnel divergeaient.

D’un côté, Yvan Benedetti reconnaissait ne « pas respecter la loi » et « maintenir en effet l’Œuvre française ». De l’autre, Alexandre Gabriac répétait avoir cessé toute activité militante liée aux Jeunesses nationalistes. Et si le site Internet et le compte en banque de son organisation n’ont pas été fermés dès le décret de dissolution pris, ce n’était que par « négligence ».

Dans son réquisitoire, le procureur a tenté de faire porter le même chapeau à Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti, même si « l’un revendique davantage que l’autre ».

Le parquet a donc requis la même peine de six mois de prison avec sursis liée à l’obligation de payer les 15 000 euros d’amende. Ils peuvent encourir théoriquement une peine de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende.

Le procureur s’interrogeait :

« À quoi ça sert une dissolution, si on a le droit d’utiliser le même drapeau, les mêmes locaux ? »

L’affaire a été mise en délibéré au 4 juillet.

Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti, drapeau de l'Oeuvre française sur les épaules, au palais de justice de Lyon pour leur procès. ©LB/Rue89Lyon
Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti, drapeau de l’Oeuvre française sur les épaules, au palais de justice de Lyon pour leur procès. ©LB/Rue89Lyon

De la nébuleuse nationaliste à la réactivation du Parti nationaliste français

Pour éviter une condamnation, l’avocat historique de l’Oeuvre française, Pierre-Marie Bonneau, a quand même modéré la défense d’Yvan Benedetti, qui a profité de cette audience pour mobiliser ses troupes.

« Celui-ci continue l’Œuvre française. Il la porte tout seul. »

Pierre-Marie Bonneau s’est employé à montrer que les structures sur lesquelles ils s’étaient appuyés pour continuer leurs activités militantes, le CLAN (le Comité de liaison et d’aide nationaliste) et le « Comité du six février » (qui édite le site Jeune nation), existaient avant la dissolution.

La présidente Anne-Sophie Martinet a souligné les liens très étroits avec Yvan Benedetti puisque ces associations étaient domiciliées à son ancienne adresse, rue de Marseille, dans le 7e arrondissement de Lyon.

Le président de l’Œuvre française a prolongé cette stratégie de réactivation de vieilles structures d’extrême droite pour continuer son combat nationaliste. En 2016, Yvan Benedetti a contribué à relancer le Parti nationaliste français (PNF) et est devenu son porte-parole. C’est aujourd’hui dans ce cadre officiel qu’il milite, avec toujours comme base Lyon, même s’il annonce un domicile en Corse et de nombreux déplacements à l’étranger.

« On ne peut pas les empêcher d’être nationalistes à moins de les dissoudre dans l’acide, concluait leur avocat. On peut en revanche combattre leurs idées. Mais ça doit rester un débat d’idées. »

« Nous n’avons pas réussi à reconstituer une organisation »

Si l’avocat d’Yvan Benedetti et Alexandre Gabriac n’a pas pratiqué une défense de rupture, c’est parce qu’une nouvelle condamnation fragiliserait encore la situation de ses deux clients et leur mouvement respectif.

Alexandre Gabriac, 27 ans, a été condamné en appel à deux mois de prison ferme pour avoir organisé une manifestation interdite en septembre 2012. Il s’est pourvu en cassation. Lui, qui vit désormais dans la banlieue grenobloise, avec « une femme qui ne travaille pas » et un enfant, gagne le Smic comme « employé de bureau ». L’ancien conseiller régional ne vit plus de la politique. Mais il milite depuis deux ans chez les catholiques intégristes de Civitas dont il est devenu le responsable des fédérations.

À la sortie de l’audience, il revenait sur la dissolution et la procédure de reconstitution de ligue dissoute.

« À cause de cette procédure, je dois rester dans l’ombre. »

Il ajoute :

« Cette dissolution nous a tués. Avant, nous étions le premier mouvement nationaliste. Quoi qu’en dise l’accusation, nous n’avons pas réussi à reconstituer une organisation. »

Il admet que les militants sont partis vers d’autres groupuscules nationalistes, d’abord à l’Action française puis au Bastion social.

« Des militants se sont découragés. Après la dissolution, on a réussi à perdurer quelques mois. Mais sans locomotive et avec toute cette répression, les militants sont partis dans la nature. »

Lui aussi est parti. À Civitas, il n’a pas retrouvé ces militants nationalistes. En dehors de quelques actions (lire ici), Alexandre Gabriac cherche désormais à développer « le réseau et la doctrine », grâce au local qu’on lui prête pour l’occasion. Ce qui tranche avec ce qu’était le militantisme des Jeunesses nationalistes.

Les pétainistes SDF

Interrogé également en marge de son procès, Yvan Benedetti considère que la « dissolution a eu un effet redoutable » :

« Outre le découragement des militants, c’est toute une structure qui est mise à mal. Cela crée un gros trou d’air. Une grande partie de notre énergie est consacrée à lutter contre la répression et donc ça nous détourne de notre combat premier ».

Il reconnaît que la dissolution a engendré des « querelles ». Il explique notamment que le départ d’Alexandre Gabriac à Civitas a « tendu les relations dans les entourages ». Comprendre, il y a eu une brouille à l’intérieur de cette famille nationaliste. Mais aujourd’hui, affirme-t-il, les relations seraient apaisées :

« Les combat spirituel de Civitas est complémentaire de celui du PNF qui est toujours pour la Révolution nationale sur la base de travail, famille, patrie. »

Depuis la dissolution, il n’y a plus d’« actions coups de poing » ou de manifestations à une centaine de personnes. Le PNF est retourné à l’ancienne stratégie groupusculaire de l’Œuvre française : formation de cadres nationalistes et tissage de réseaux internationaux, notamment avec les Grecs d’Aube dorée.

Lyon reste toujours une base forte du mouvement pétainiste. Mais Yvan Benedetti n’a pas voulu annoncer un nombre de militants. Ce lundi, on a pu compter une trentaine de sympathisants venus le soutenir. Depuis la fermeture il y a deux ans de « la maison bleue » dans le Vieux Lyon, il n’a plus de local. Pour une question financière :

« Avec mes différentes condamnations, je dois verser 60 000 euros », explique Yvan Benedetti qui ne veut pas payer un centime.

Il se présente comme « sans travail » mais « aidé par les bonnes âmes qui pensent que [son] combat mérite d’être soutenu ». Il prévient :

« Si je suis encore condamné, je ne payerai pas plus. »

Il pourrait cette fois-ci aller en prison.


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