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Un pilote d’avion à la rescousse des migrants : rencontre après une première mission

Deux pilotes de la région lyonnaise, José Benavente et Benoit Micolon, ont dépensé toutes leur économies pour s’acheter un monomoteur, plus précisément un colibri. Leur but : repérer les embarcations de migrants en détresses pour leur venir en aide. Après leur première mission réalisée le 2 mai, José Benavente, nous explique les premières difficultés rencontrées et revient plus précisément sur ce projet d’aide humanitaire.

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Les deux pilotes en pleine préparation d'un itinéraire de vol. ©Isabelle Serro

« Le gros avantage, c’est que le repérage nous prend quelques minutes, alors qu’un bateau aura besoin d’au moins une heure »

Rue89Lyon : Après vos premiers vols enfin réalisés, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées et quel bilan en tirez-vous ?

José Benavente : La première constatation que nous avons faite est que la charge de travail est considérable. Il y a toute la partie de pilotage, de repérage et de communication qui s’entremêlent. Il va falloir que nous soyons très vigilants sur le recrutement des gens qui vont prendre la relève car nous allons être obligés de retourner à nos activités dans quelques temps.

Durant la formation ,les pilotes et les observateurs vont devoir être au fait que les conditions de vols sont difficiles, que l’avion est inconfortable, et que la charge de travail pendant le repérage est massive. Au niveau des observateurs, il y a un travail important en terme de communication avec plusieurs entités et fréquences maritimes et aéronautiques.

L’autre phénomène que l’on constate, ce sont les difficultés de repérage. Nous savions que les bateaux rencontreraient des difficultés à repérer d’autres navires en perdition. Mais je peux vous garantir que même nous, avec de l’altitude, c’est très difficile. Cela demande beaucoup d’attention et une habitude de repérage, pour bien se rendre compte de la taille des bateaux.

Nous procédons assez régulièrement à des levées de doutes. Nous voyons quelque chose au loin, même les jumelles ne nous permettent pas d’affiner suffisamment, donc nous sommes obligés de quitter notre trajectoire et d’aller voir de plus près. Le gros avantage, c’est que ça nous prend quelques minutes, alors qu’un bateau aura besoin d’au moins une heure.

Sur quel périmètre faites-vous le repérage ? Une fois dans les airs comment se passe le repérage depuis votre avion ? 

Le rectangle de recherche dans lequel on patrouille fait environ 150km de long sur 50km de large à environ 45km des côtes libyennes. Nous n’allons pas forcément patrouiller dans toute cette zone. Nous faisons des patrouilles en fonction des conditions météorologiques en mer.

Nous savons que les embarcations dont on parle techniquement ne peuvent pas prendre la mer dès qu’il y a un vent du nord car cela provoque trop de vagues. Elles ne sont pas conçues pour prendre la mer, il faut que les conditions soient très favorables.

La veille de chaque vol, on observe la direction du vent et la taille des vagues avant de décider si le lendemain nous partons en patrouille et quelle zone nous survolerons. On confirme évidemment le matin si nous pouvons survoler la zone que nous avons choisie.

Les deux pilotes en pleine préparation d’un itinéraire de vol. ©Isabelle Serro

Lors de votre vol, quels sont vos interlocuteurs ? Une fois le repérage effectué, quelles sont les modalités pour signaler un bateau en péril ?

Nos interlocuteurs sont multiples. En fin de compte avec toutes les entités qui travaillent dans cette zone. Que ce soit l’opération navale européenne Sofia, l’opération de contrôle aux frontières Frontex, que ce soit les ONG ou le MRCC, l’entité à Rome qui gère les secours lorsque qu’une embarcation est repérée. Nous utilisons également un système de communication par satellite embarqué.

Nous avons une adresse mail qui nous permet de faire des mails basiques de 140 caractères suffisants pour transmettre les coordonnées géographiques et faire un état des lieux rapide du niveau de détresse dans lequel se trouve les embarcations que nous repérons.

Lorsque l’on repère une embarcation on le transmet au MRCC de Rome, et c’est Rome ensuite qui dispatche les bateaux présents sur zone afin d’intervenir. Ça peut être des bateaux commerciaux, militaires ou d’ONG. Ils les choisissent en fonction de la proximité et de la capacité des bateaux.

« On se focalise sur un point qu’on ne peut pas nous reprocher : l’assistance à personne en danger »

Vous parlez d’urgence : vos motivations sont humanitaires, sociales, j’imagine politiques d’une certaine façon. Que pensez-vous de la politique migratoire très dure que Gérard Collomb a déployé dans sa loi tout juste adoptée, fortement critiquée par les associations et jusqu’au sein des députés de la majorité ?

Je ne vais pas pouvoir répondre à votre question, pour une raison bien simple : notre projet se focalise sur une opération d’assistance à personne en danger, en l’occurrence de danger de mort par noyade. Sur ce terrain là personne ne pourra nous reprocher de tenter de sauver plus de vie, ou en tout cas de venir en appui aux bateaux qui vont les sauver.

Lorsqu’on part sur le terrain politique on sait que ces questions sont extrêmement clivantes, qu’il y a des avis qui divergent, nous ne voulons pas rentrer dans ce débat. C’est trop complexe.

Vous avez bien compris que nous avons un avis sur la question, comme tout citoyen, mais on ne préfère pas s’exprimer sur ce point. On se focalise sur un point qu’on ne peut pas nous reprocher : l’assistance à personne en danger.

Malgré tout, même en restant sur ce créneau très spécifique, il y a des gens qui considèrent que la vie humaine n’a pas la même valeur selon l’endroit où on est né sur terre, et qui considère que ce que l’on fait, ce n’est pas bien.

« On a vu que si nous mutualisions nos ressources personnelles, nous arrivions à acheter un petit avion d’occasion qui pourrait faire le travail »

Vous vous êtes lancés sur fonds propres. C’est un engagement rare. Aviez-vous auparavant des engagements personnels, associatifs, humanitaires ?

Oui, humanitaire et associatif. En ce qui me concerne, cela fait 25 ans que je travaille pour des organisations humanitaires. Dans un premier temps sur des projets d’approvisionnement d’eau potable, en gros le creusement de puits dans des pays en guerre.

Au milieu de mon parcours, j’ai passé ma licence de pilote professionnel et j’ai changé de filière en interne, je suis passé du département eau et assainissement, à celui des opérations aériennes.

Je pense qu’une des raisons pour laquelle j’ai décidé de m’engager sur ce projet personnel avec mon ami Benoit, c’est justement parce que j’ai travaillé pendant de nombreuses années dans les pays d’où sont originaires les gens qui se mettent sur ces chemins d’exil. Je connais donc très bien la situation que vivent ces exilés dans leur pays d’origine.

Je peux d’autant mieux comprendre pourquoi à un moment ils tentent une traversée désespérée et rêvent d’une vie meilleure pour leur famille. Donc je pense que c’est particulièrement pour ces raisons que je suis sensibilisé à ces questions. 

Vis-à-vis des fonds propres, en effet cela peut paraitre inhabituel.

Mais la raison pour laquelle nous avons pris cette décision, c’est qu’il y avait une véritable urgence. Pour faire un petit retour en arrière : il y a quelques mois, je contacte mon ami Benoit, pour lui demander s’il serait partant de m’accompagner sur ce projet. Les choses se sont accélérées après être rentrés en contact avec trois ONG. Elles ont toutes eu le même discours, c’est-à-dire qu’elles rencontrent d’énormes difficultés à repérer les embarcations en mer et qu’elles apprécieraient particulièrement un support aérien.

Il fallait démarrer le projet dans les plus bref délais. De plus nous savions qu’il y avait une saison particulièrement mortelle, qui commence en général aux alentours du mois d’avril, mai, juin, puisque les conditions météorologiques s’améliorent à ce moment là. Potentiellement, il y aura plus de départs.

A ce moment là, j’ai voulu commencer l’opération dans les plus brefs délais. On a vu que si nous mutualisions nos ressources personnelles, nous arriverions à acheter un petit avion d’occasion, pas trop cher mais qui pourrait faire le travail. On s’est dit : « on y va, on fonce ».

José Benavente et Benoit Micolon durant un vol au dessus de la mer Méditerranée. ©Isabelle Serro

Dans la formation de pilote, y a-t-il un volet qui serait relatif au « sauvetage » et imaginiez-vous faire cela un jour ?



Non, absolument pas. Quand je me suis inscrit dans cette école de pilotage de Bron, où j’ai rencontré Benoit, les élèves étaient des gens qui se préparaient à devenir pilote de ligne. Moi j’avais un parcours un peu plus atypique, puis j’étais plus vieux.

Mais je venais dans cette école avec un seul objectif : celui de refaire le lien avec l’aide humanitaire, soit devenir pilote professionnel pour une compagnie qui se dédie à des opérations humanitaires aériennes, ou alors justement ce que j’ai été amené à faire, pendant de longues années avec le comité international de la Croix Rouge, à m’occuper de la coordination et l’organisation d’opérations humanitaires aériennes. Les gens que je croisais et la formation à proprement parler ne s’intéressaient absolument pas à des opérations aériennes humanitaires.

A notre petit niveau, on va évidemment être dans l’obligation de former les pilotes qui vont venir se relayer sur la mission. Dans ce sens là, oui, c’est un petit peu de formation. En ce qui me concerne je n’ai pas d’autres ambitions. Ça sera simplement du partage d’expérience.

On est en train de démarrer la mission, on essuie les plâtres, on relève tous les petits problèmes techniques et autres. L’idée c’est de permettre aux équipages qui vont nous succéder de ne pas repasser par toutes ces étapes, de bénéficier de notre expertise et d’être efficace et opérationnelle le plus rapidement.

Quel temps cette action va vous prendre désormais ?

Je suis ici sur mes congés annuels en ce moment. J’ai la chance d’avoir une épouse et des enfants qui sont particulièrement compréhensifs. Après, comme je le disais, d’autres pilotes vont nous relayer. Le temps de l’action dépendra des dons.

Les dons ont-ils été importants dernièrement avec la presse qui vous expose, avez-vous la possibilité de lancer une nouvelle opération prochainement ?

Oui tout à fait. En fin de compte, comme je vous le disais, lorsque nous avons démarré cette opération nous avions de quoi tenir jusqu’à la fin du mois de mai, qui correspond aussi à la fin de mes congés. Grâce à la médiatisation dont le projet à bénéficié ces dernières semaines en particulier, cela nous a permis de collecter des dons pour fonctionner deux à trois mois supplémentaires.

C’est la raison pour laquelle on va activer maintenant le réseau qui était en attente, les pilotes, et les observateurs que nous avons identifiés.

Aujourd’hui nous sommes dans une phase où l’on va reprendre contact avec eux, bien leur expliquer les contraintes de la mission pour que les gens sachent à quoi il faut qu’ils se préparent.

L’association « Pilotes Volontaires » reçoit via son site Internet des dons ponctuels, des dons mensualisés.


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