Une grève locale télescopée par le mouvement de Mai 68
Rue89Lyon s’est lancé dans l’exploration d’une autre face de Lyon. Nous vous convions à emprunter les chemins qui ne figurent pas dans le Routard ou pour lesquels les guides touristiques ne font que de pauvres mentions. Pour les 50 ans de Mai 68, nous faisons découvrir les lieux qui ont fait le mouvement lyonnais.
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Dès mars 1967 la conflictualité sociale est très active dans les usines Berliet de la rue Feuillat (Monplaisir, Lyon 3e) et de Vénissieux. Les techniciens, dessinateurs et agents de maitrises exigent des hausses de salaires plus conformes à leur qualification. La direction ne donne pas suite. S’ensuivent des débrayages et des manifestations. Le 17 mars 1967, c’est près de 500 ouvriers, techniciens et employés qui prennent d’assaut l’usine. Durant cette occupation des affrontements avec les CRS éclatent, car la direction avait prononcé le lock-out de l’usine.
En janvier 1968, la contestation franchit un cap. La grève dite du « bonus » concernant plus de 3000 ouvriers payés à la tâche est lancée. Ce mouvement se maintient jusqu’au mois de mai.
Le 16 mai, la direction lâche et les revendications des ouvriers sont satisfaites.
Le lendemain, les ouvriers occupent l’usine sans attendre l’appel des organisations syndicales. Néanmoins l’occupation est rendue plus simple par les directeurs des usines. En effet, de peur d’être séquestrés comme les patrons de Sud Aviation en Loire-Atlantique, ils ont quitté les lieux.
Au soir du 17 mai, l’usine entre donc dans le conflit de Mai 68. Berliet n’avait pas connu d’occupation depuis le Front populaire de 1936 mais « c’est apparu comme une surprenante évidence », selon l’expression reprise par Vincent Porhel, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Lyon 1.
Une occupation « quasi militaire »
A Berliet, c’est la CGT qui tient l’usine et qui, logiquement, organise l’occupation. Vincent Porhel raconte :
« Avec plusieurs hectares de terrains et d’ateliers, c’est une organisation quasi-militaire qui a été mise en place. Et ce sont les délégués CGT qui ont, durant toute l’occupation, battu le rappel pour que les ouvriers soient suffisamment nombreux pour assurer la préservation de l’outil de travail pour lequel il y avait une très forte préoccupation. »
Près de 2000 personnes sont présentes la journée et 700 le soir. Afin de garder l’usine, des roulements sont établis, calqués sur les 3×8. Seuls les hommes occupent de nuit.
Les repas sont assurés par les grévistes eux-mêmes. Berliet dispose également de pompes à essence qui sont utilisées pour mener à bien des actions et pour subvenir aux besoins des ouvriers grévistes.
Les ouvriers de Berliet participent aux différentes manifestations, notamment celles du 24 mai, aux côtés des étudiants. Mais avec ceux-ci, il n’y a pas de contact à l’intérieur des deux sites occupés. Vincent Porhel l’explique :
« Il faut se rappeler qu’à cette époque, la CGT est la courroie de transmission du PC. Et les communistes considéraient les étudiants comme autant de groupuscules gauchistes propres à gêner les travailleurs. »
En revanche, des connexions entre étudiants ouvriers de Berliet ont lieu en dehors des usines, notamment dans les MJC.
Berliet, la référence lyonnaise en Mai 68
Berliet est une référence à l’échelle du département. Avec ses 11 000 salariés répartis sur ses deux usines, Monplaisir et Vénissieux, l’entreprise de construction automobile apparaît comme l’un des plus gros bataillons ouvriers. Pour l’historien Vincent Porhel, Berliet a montré la voie du Mai 68 lyonnais :
« Berliet fait partie des premières entreprises, avec la Rhodiacéta, à être occupées. Ensuite, ça va très vite. Après la métallurgie, la chimie a suivi puis le textile ».
La durée d’occupation est également remarquable, puisqu’elle s’étend du 17 mai au 19 juin. Cette détermination de la part des ouvriers incite d’autres usines à retarder la reprise du travail.
La reprise du travail chez Berliet
Après avoir mené une occupation de près d’un mois et demi, les salariés des usines Berliet reprennent leur travail avec un sentiment de victoire ouvrière. Le 19 juin, jour de la reprise, les ouvriers arrivent à l’usine, en chantant l’Internationale.
Un incident post-reprise va relancer très brièvement l’occupation.Lors de la reprise, des cadres menés par un responsable du personnel installent une banderole intitulée « usine libérée » en réponse à l’anagramme « liberté » accroché par les grévistes à la porte de l’entreprise. Ils finissent par être encerclée et l’usine est de nouveau occupée.Près de 1500 ouvriers des deux usines Berliet, assiègent la rue Feuillat en soutien à la syndicaliste. Quelques heures après les occupants quittent les lieux après un ultimatum des délégués CGT.
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