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Paul Gatza : « Boire de la bière artisanale, c’est soutenir une économie locale, une culture de l’inclusion, des pratiques éthiques »

Présent sur la scène brassicole américaine depuis un quart de siècle, Paul Gatza est directeur de la Brewers Association, l’organisation historique des brasseurs indépendants aux États-Unis. Entretien avec cette figure et « craft beer fan » de la première heure, à l’occasion du Lyon Bière Festival qui fait en 2018 un gros zoom sur les Etats-Unis.

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Paul Gatza : « Boire de la bière artisanale, c’est soutenir une économie locale, une culture de l’inclusion, des pratiques éthiques »

Les États-Unis déboulent comme pays invité au Lyon Bière Festival. Dans ce territoire en plein bouillonnement, les brasseries artisanales sont devenues de véritables institutions, politiquement engagées.

Rue89Lyon a échangé avec Paul Gatza, qui a aussi été rédacteur pour le magazine Zymurgy, propriétaire de boutiques de bière et juge au Great American Beer Festival et à la World Beer Cup, à propos des nouvelles questions qui sculptent actuellement le monde de la bière outre-Atlantique.

Paul Gatza prend la pose. Tranquille. © Brewers Association

« La révolution des « craft beers » a débuté sur la côte Ouest dans les États de Californie, d’Oregon, de Washington, mais aussi dans le Colorado »

Rue89Lyon : Il y a une cinquantaine d’années, aux États-Unis, avait lieu la révolution des « craft beers » (soit les bières artisanales). Comment décririez-vous cette époque au public français ?

Paul Gatza : Avant cette fameuse révolution brassicole, la bière américaine se résumait aux Lager légères (bières à basse fermentation), notamment des pils. On ne trouvait pas de Lager plus élaborées ou d’Ale en général (bières à haute fermentation) qui avaient, quant à elles, de nombreux disciples en Europe. C’était donc une période ennuyeuse et plate de notre histoire.

Parmi les premiers brasseurs artisanaux, beaucoup ont fait le choix de mettre à profit leur passion en créant un peu naïvement leurs propres entreprises, avec l’intention de réinterpréter les styles de bière qu’ils avaient pu goûter dans d’autres parties du monde.

Ces pionniers se sont débrouillés pour récupérer des cuves utilisées par d’anciennes laiteries et les transformer en matériel de brassage, puisqu’il n’existait pas encore d’équipements professionnels.

Durant les années 1980, les parts de marché obtenues par la bière artisanale étaient infinitésimales. Il a fallu au moins une décennie pour que les buveurs de bière découvrent ces nouveaux produits à la saveur prononcée et réalisent que certains américains venaient de se lancer comme brasseurs artisanaux.

La révolution des « craft beers » a débuté sur la côte Ouest dans les États de Californie, d’Oregon, de Washington, mais aussi dans le Colorado. Elle s’est ensuite propagée au Texas et sur la côte Est, mais il y a eu plus d’échecs que de réussites entrepreneuriales dans ces régions.

Les recettes pur malt plutôt que l’usage de céréales crues ou d’autres ingrédients fermentables constituait la principale marque de fabrique de la première génération de brasseurs.

« Pour les buveurs de bière, il n’y a jamais eu autant de choix, de diversité et d’innovation dans l’offre »

Depuis cette révolution, le marché de la bière artisanale semble s’accroître chaque année. Diriez-vous que les États-Unis représentent à présent une forme de paradis pour les brasseurs artisanaux ? Le cas échéant, à quels types de difficultés doivent-ils désormais faire face ?

Je suis d’accord avec le terme de paradis, bien que les défis à relever soient de taille pour les brasseurs et que la compétition fasse rage entre ces derniers. Ce qualificatif est probablement plus en adéquation avec leur situation il y a cinq ans en arrière. A ce moment-là, presque tous les brasseurs enregistraient un taux de croissance annuel à deux chiffres. Mais nous avons vu le nombre de brasseries artisanales passer d’environ 2 000 en 2013 à plus de 6 300 en 2018.

Comme le dit le proverbe américain initié par le président Kennedy, « la marée montante soulève tous les bateaux ». Cependant, si elle ne s’arrête pas de monter, la marée risque d’engloutir les bateaux et, dans ce cas de figure, ceux-ci doivent en permanence s’améliorer pour ne pas couler. C’est précisément ce qui arrive actuellement aux brasseurs artisanaux. Face à la concurrence accrue, ils sont contraints de constamment réinventer leur image, leurs marques et leurs produits afin de pouvoir rester compétitifs dans la mesure du possible.

En revanche, pour les buveurs de bière, la conjoncture n’a jamais été aussi favorable qu’aujourd’hui aux États-Unis. Il n’y a jamais eu autant de choix, de diversité et d’innovation dans l’offre, ni d’opportunités de visiter les brasseries et de goûter les bières directement à la source. Dorénavant, ces amateurs peuvent véritablement participer aux « success stories » d’entreprises locales.

Quelles sont les principales tendances et les dernières innovations brassicoles qui semblent remporter un certain succès aux États-Unis ?

Ici, la bière du moment, c’est l’India Pale Ale. Elle se décline en de multiples sous-genres (Session IPA, Imperial IPA, White IPA, Black IPA, Tropical IPA, Juicy IPA, Sour IPA…), laissant aux brasseurs un large éventail de créations possibles.

Dernièrement, les styles plus légers reviennent à la mode. Mais seules les bières élaborées et travaillées, comme les kölsch, parviennent à fidéliser le public. Les « millenials » (c’est-à-dire les 15/30 ans) tournent le dos aux Lager classiques de l’après-prohibition, et les brasseries artisanales mexicaines savent tirer parti de ce rejet en exportant toujours plus de leurs productions aux États-Unis.

« Dans le secteur gastronomique, il y a clairement une prise de conscience quant au potentiel de la bière artisanale »

Diriez-vous que la bière artisanale s’est hissée au rang d’incontournable de la cuisine, voire de la culture, américaine ?

Dans le secteur gastronomique, il y a clairement une prise de conscience quant au potentiel de la bière artisanale à s’accorder avec une grande quantité de mets, que ce soit de façon complémentaire, réfléchissante ou contrastante (contrairement au vin qui ne détient pas cette dernière capacité). Un nombre croissant de restaurants propose des accords avec des plats spécifiques.

Comment définissez-vous une brasserie artisanale ? De ce que vous avez pu observer, la définition américaine diffère-t-elle de la définition française (ou, plus largement, européenne) ?

Une brasserie artisanale américaine doit répondre à trois critères fixés par la Brewers Association : une production annuelle limitée (à un seuil de 7 millions d’hectolitres), l’indépendance juridique (avec maximum un quart du capital possédé par une firme) et l’application des méthodes traditionnelles de fabrication.

En ce qui concerne la France et les autres pays européens, je vois de plus en plus ces mêmes critères apparaître dans les définitions officielles.

C’est, d’après moi, la bonne direction à emprunter car les grands groupes industriels possèdent des avantages, en termes d’accès aux marchés et aux matières premières, que n’ont pas les brasseries artisanales. Je considère comme très positif le fait que les petits brasseurs cherchent à se démarquer.

Par exemple, je suis satisfait de voir que la Society of Independent Brewers a déployé son label certifiant l’origine artisanale des bières au Royaume-Uni et qu’une bonne partie des brasseurs indépendants irlandais l’a ensuite réutilisé. Il s’agit d’un outil efficace pour renseigner les consommateurs sur la provenance des bières, en toute transparence. Ce label nous a conforté dans la décision de se servir de celui de notre association comme d’un moyen de distinction.

« Près de 55% des buveurs de bière américains estiment que l’indépendance des brasseries représente un enjeu crucial »

Quel regard portez-vous, plus exactement, sur la problématique de l’indépendance des brasseries ? Et quelles sont les autres valeurs fondamentales défendues par les brasseurs artisanaux aux États-Unis ?

L’indépendance est sans aucun doute le facteur de différenciation le plus important qu’un brasseur artisanal puisse mettre en avant. Selon les récentes statistiques réalisées par la Brewers Association, près de 55% des buveurs de bière américains estiment que l’indépendance des brasseries représente un enjeu crucial. Nous avons donc pour mission de les aider à savoir quelles brasseries sont effectivement indépendantes, et dans quelles mesures.

On entend souvent dire « ce qui compte, c’est ce qui arrive dans le verre ». Mais la seule qualité du produit ne suffit pas.

Boire de la bière artisanale, c’est aussi soutenir une économie locale, une culture de l’inclusion, des pratiques éthiques et une communauté qui s’efforce de placer l’humain avant le profit.

« Le modèle de la micro-brasserie avec bar domine désormais »

Au sujet des brasseurs américains, qu’avez-vous pu constater concernant leur profil social ? Les brasseries artisanales étant d’abord apparues dans les quartiers gentrifiés, diriez-vous que cette activité s’est démocratisée ?

De nos jours, ce phénomène de ségrégation socio-spatiale a disparu. On trouve des brasseries dans les zones urbaines, les zones rurales et les banlieues.

Le modèle de la micro-brasserie avec bar domine désormais, ce qui signifie que les brasseurs ne rencontrent pas de difficultés pour remplir leurs bars, peu importe l’emplacement géographique de l’établissement concerné.

Par ailleurs, les grandes brasseries artisanales se concentrent davantage dans les campagnes et les zones industrielles. Les brewpubs, quant à eux, se situent en ville car ils doivent être à proximité de la clientèle pour pouvoir fonctionner.

« Chez nous, le monde de la bière artisanale tente d’œuvrer dans le sens du progrès. Mais il nous reste un long chemin à parcourir »

Au sujet des consommateurs de bière américains, qu’avez-vous pu constater concernant leur profil social ? En France, la proportion de femmes continue de grimper. Y a-t-il une évolution similaire chez vous ?

Parmi les buveurs et les producteurs, nous voyons également beaucoup plus de femmes qu’il y a dix ans. La Pink Boots Society contribue, par exemple, à structurer un réseau de femmes passionnées de bière. Cette organisation a pour objectif de déconstruire le stéréotype masculin de l’amateur de bière et d’aider les femmes à s’insérer dans le secteur brassicole sans se décourager.

Chez nous, le monde de la bière artisanale tente d’œuvrer dans le sens du progrès. Mais il nous reste, malgré tout, un long chemin à parcourir avant d’atteindre une situation idéale en termes d’inclusion et de représentation.

« Le groupe parlementaire de la Chambre des Représentants dédié à la brasserie artisanale est actuellement le plus grand à Washington DC »

Ces dernières années, les États-Unis ont été traversés par des changements socio-politiques majeurs. Avez-vous remarqué un impact concret de ces changements sur le secteur de la bière artisanale en lui-même ?

Politiquement parlant, le secteur de la bière artisanale dépasse le cadre des partis, des opinions et des rivalités. Le groupe parlementaire de la Chambre des Représentants dédié à la brasserie artisanale est actuellement le plus grand groupe parlementaire à Washington DC, avec 304 représentants sur 435.

Je pense que cette popularité peut s’expliquer par deux raisons. En premier lieu, presque tout le monde apprécie les petits commerces et souhaite voir le tissu entrepreneurial se développer à l’échelle locale.

En second lieu, dans une société plus tendue et divisée que jamais, les américains cherchent à s’écarter des pressions et à se détendre autour d’une bonne bière autant que possible. Aux États-Unis, les « craft beers » ont encore de beaux jours devant elles.


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Capture d'écran du site RateBeer.
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