« Il a fallu du temps quand même, il faut bien le reconnaître. On aurait aimé que ça aille un peu plus vite. »
Au milieu de tout le tralala, des discours d’usage avec coupure de ruban, le maire de Lyon, Georges Képénékian, a eu le mérite d’un court instant de franchise. Histoire de rappeler qu’il ne s’agissait pas, avec le lancement de la marque territoriale « République Grolée-Carnot » ce vendredi 30 mars, d’un démarrage en trombe.
Et pour cause, ce secteur de la Presqu’île, autour des rues Grolée et Carnot, fait figure de quartier fantôme depuis quasiment le premier mandat de Gérard Collomb. Ce dernier l’a vendu à des investisseurs privés. Il s’est retrouvé au centre de montages immobiliers et de gros sous. Laissant la municipalité impuissante à dynamiser le secteur.
Retour sur un feuilleton, qui n’est pas terminé.
En 2004, Gérard Collomb vend un important patrimoine immobilier
Il appartient en grande partie à l’Émirat d’Abu Dhabi via le fonds souverain Abu Dhabi Investment Authority. Avant cela, il aura fallu quelques montages immobiliers et passages par les paradis fiscaux.
En 2004, la Ville de Lyon vend un fantastique patrimoine immobilier : une dizaine d’immeubles de la rue Grolée, directement connectée à la rue de la République. Des biens qui comprennent également les rez-de-chaussée commerciaux. La vente à la découpe démarre.
L’acheteur, le fonds d’investissement américain Cargill, revend ces pieds d’immeubles, conservant le reste des bâtiments. Cédés pour près de 87 millions d’euros, ces seuls locaux sont revendus pour 103 millions d’euros deux ans plus tard à peine. La plus-value est énorme.
L’acheteur est une société répondant au nom de « Les docks lyonnais ». Après avoir appartenu à un fonds américain, une bonne partie du quartier passe entre les mains de la banque suisse UBS via sa filiale Boca SARL, immatriculée au Luxembourg et gérée via des sociétés domiciliés sur l’île de Jersey.
Le quartier Grolée est un tableau de l’optimisation fiscale immobilière à travers les paradis fiscaux.
Le flop de l’opération « Up in Lyon »
À cette époque, un prestataire est désigné pour commercialiser les pieds d’immeuble vides. C’est la société Shaftesbury qui est choisie. Souvenez-vous, c’est alors l’opération Up in Lyon, autre tentative de marketing territorial du quartier. Les murs et vitrines des locaux commerciaux sont placardées du nom de cette campagne de commercialisation.
Pourtant, jusqu’en 2012, on ne verra aucune enseigne ou presque s’installer.
Cette année là, la société Les Docks Lyonnais résilie le contrat avec la société chargée de commercialiser le quartier. Cette dernière accuse le directeur des Docks Lyonnais de vol de matériel, ces derniers portent plainte à leur tour pour dénonciation calomnieuse. Elle réclame surtout près de 50 millions d’euros au titre d’une rupture abusive de contrat.
On est en 2012. Les commerces du quartier ont été vendus par la ville depuis 8 ans, des entreprises et fonds d’investissements ont déjà réalisé des plus-values importantes et rien ou presque n’a vu le jour.
Les Docks Lyonnais, société gérée par la banque suisse UBS, et son directeur Christophe Fournage n’ont pas voulu de l’implantation de certaines enseignes afin de privilégier un recentrage « moyen de gamme », selon le mensuel Lyon Capitale.
Pour l’heure, le quartier reste quasiment vide.
« Un entremetteur qui prend une gratte au passage »
Alors que le quartier est encore la propriété d’UBS, il passe finalement sous pavillon émirati et du fonds souverain Abu Dhabi Investment Authority fin 2013. Montant de la transaction : environ 89 millions d’euros.
Selon un expert immobilier, cité par Lyon Capitale, l’ensemble immobilier avait été estimé à près de 117 millions euros. Selon lui, le patron des Docks Lyonnais Christophe Fournage « est un entremetteur qui prend une gratte au passage ».
Christophe Fournage reste, via la société Firce Capital, le gestionnaire des biens commerciaux du quartier. C’est lui, ce vendredi 30 mars, qui a une nouvelle fois lancé le énième branding du quartier. Les pavillons changent mais le monsieur demeure.
Aujourd’hui, la commercialisation semble enfin fonctionner.
Hema, Uniqlo, Dr Martens, La Redoute Intérieurs ont ouvert leurs boutiques. L’Oréal, Sostrene Grene devraient normalement suivre prochainement pour remplir enfin les vitrines.
Pour l’ouverture d’Uniqlo, les élus de Lyon, dont le maire lui-même, portent des kimonos de la marque et font quasi les hommes-sandwiches.
Grolée en concurrence avec le Grand Hôtel Dieu ?
Le 22 mars dernier, la Ville de Lyon annonçait son plan de renouvellement urbain de la Presqu’île. 27 millions d’euros vont être investis pour rénover certaines artères et places du 2e arrondissement. Les différents travaux s’étaleront jusqu’en 2020.
La rue Victor Hugo, reliant la place Carnot à la place Bellecour, va être rénovée. Son revêtement sera refait et le mobilier remplacé. La place Ampère devrait connaître un important lifting avec de nombreux arbres incorporés sur la place et un « miroir d’eau ».
La rue de la République va elle aussi être retouchée. Là aussi, il s’agit essentiellement du revêtement et du dallage, refaits. La place de la Comédie (entre l’hôtel de ville et l’Opéra de Lyon), va elle aussi voir son dallage remplacé. La place des Terreaux va être refaite dans la foulée de la fontaine Bartholdi. Oeuvre de l’artiste Daniel Buren, elle devrait retrouver des fontaines fonctionnelles et sur une seule rangée cette fois, plus recentrées. Le dallage sera là aussi refait pour un place « plus claire ».
Après Up in Lyon, et inspirée peut-être par la marque « Rue de la République », l’opération « République Grolée-Carnot » a donc été lancée. À coup de distribution de flyers, de publicités dans toute la ville pour afficher le message : on peut aller shopper à Grolée.
Il aura donc fallu attendre près de 15 ans pour voir les commerces s’ouvrir sur l’ensemble de ce quartier. Les élus ont évidemment accompagné le lancement. Sans flonflon ni trop de trompettes cette fois.
Le maire Georges Képénékian semble faire profil bas au regard de cette longue phase de no man’s land.
Au micro, c’est un autre pôle de commerces qui a finalement été davantage évoqué : le Grand Hôtel Dieu. Et pour cause, à la différence de Grolée, c’est un projet porté par la Métropole de Lyon bien que confié au privé là aussi. Georges Képénékian mais surtout Michel Le Faou, adjoint au maire et vice-président de la Métropole en charge de l’urbanisme, ont largement insisté sur la future ouverture de l’ancien hôpital reconverti en commerces, en Cité de la gastronomie et en bureaux (on ne parlera pas des quelques renoncements).
Un nouveau pôle à quelques pas à peine du quartier Grolée. Une concurrence à venir, au coeur de la Presqu’île, pour cette zone commerçante renaissante ?

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