Le 2 mars dernier, le préfet présentait un bilan de la politique du logement et de l’hébergement. Cela se faisait devant le Comité régional de l’habitat et de l’hébergement, une grand-messe réunissant une centaine de personnes du secteur.
A propos de l’hébergement en période hivernale, les services de l’Etat mettent en avant le nombre de « 56 personnes à la rue » sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes en semaine 7, soit du 12 au 18 février.
Le slide du PowerPoint est titré ainsi : « la forte mobilisation de l’Etat, des acteurs de la veille sociale et de l’hébergement a permis de diminuer le nombre de personnes à la rue ». La courbe représentée est encore plus impressionnante puisque l’on passe de seulement 328 personnes la première semaine de janvier à seulement 56 à mi-février.
Un nombre de sans-abri « très largement sous-estimé »
Comment les services déconcentrés de l’Etat parviennent-ils à des chiffres aussi faibles ?
Les gymnases et les squats
A la suite de la publication de cet l’article, la préfecture de région a tenu à préciser que ce chiffre était « à contextualiser ». La porte-parole de la préfecture explique : « D’une part, nous étions, mi-février. Le plan grand froid était activé et des gymnases étaient ouverts notamment dans le Rhône. D’autre part, les personnes vivant en squat ne sont pas comptabilisées ».
La première explication, comme nous l’exposions dans un précédent article, tient à une nouvelle manière de comptabiliser les sans-abri sur le plan national qui a cours depuis le mois de janvier.
Désormais, les sans-abri sont les personnes « avérées » à la rue, c’est à dire vues sur le trottoir par les maraudes, essentiellement le Samu social.
A Paris, la maire PS Anne Hidalgo a remis en question ces chiffres et a organisé une grande opération de comptage. Ce recensement réalisé en une nuit de février a abouti au résultat de 2952 personnes à la rue alors que le ministre de la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, en évoquait « une cinquantaine ».
Dans la région de Lyon, seuls les professionnels de l’urgence sociale se sont émus de cette nouvelle manière de comptabiliser les sans-abri et donc, in fine, d’héberger ou pas des personnes.
Au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue ce mercredi soir, le Collectif des Associations Unies (regroupant notamment la Fondation Abbé Pierre, la Fédération des acteurs de la solidarité, la Cimade et Médecins du Monde), a tenu à contester ces « 56 personnes à la rue » en Auvergne-Rhône-Alpes.
Un nombre « très largement sous-estimé » :
« Cette même semaine sur Lyon, 2257 personnes ont appelé le 115 pour avoir une place d’hébergement, 1949 personnes déclaraient avoir dormi à la rue la veille. 1725 demandes n’ont pas pu être pourvues (chiffres fin février/début mars, ndlr). A Grenoble, pour le mois de Mars, 708 personnes dont 222 mineurs ont sollicité le 115, parmi elles 512 personnes dont 159 mineurs n’ont pas eu de solutions d’hébergement d’urgence. Ces chiffres ne prennent pas en compte toutes les situations, celles des autres villes de la région, celles des mineurs non accompagnés non éligibles au 115, et celles des personnes épuisées d’appeler quotidiennement sans espoir de solution d’hébergement. »
Fin janvier, nous avions demandé au préfet à l’égalité des chances, Emmmanuel Aubry pourquoi il ne prenait pas en compte ces « sans solution » du 115 comme indicateur du nombre de sans-abri. Il nous avait répondu que, pour la préfecture, ce ne sont pas des gens « dans la rue », comme dirait Emmanuel Macron.
« Ces personnes peuvent être dans un squat ou hébergées chez des gens. »
« Faire disparaître les plus visibles de l’espace public »
« Jamais sans toit » (et les autres associations et collectifs) demandent que l’Etat applique la loi et que les familles ne soient pas remises à la rue.
Jeudi, « Médecins du Monde » organise dans toute la France une journée d’action nationale « pour sensibiliser le grand public et interpeller les décideurs sur les conséquences du mal-logement sur la santé ». A Lyon, elle a lieu place des Terreaux dès 9h30.
Le collectif formé autour du squat « Amphi Z » à Villeurbanne appelle à une manifestation samedi « contre toutes les expulsions ». Départ à 10h30 au métro Charpennes pour marcher jusqu’à Cusset, jusqu’au bâtiment qui continue d’être occupé malgré un incendie.
Deuxième explication possible de ces faibles chiffres officiels de sans-abri en Auvergne-Rhône-Alpes : l’application des critères de priorité.
Pascale Blanchetière, déléguée régionale de la Fédération des acteurs de la solidarité (qui regroupe les associations qui gèrent les structures d’hébergement d’urgence et le Samu social), reconnaît que l’Etat en région Auvergne-Rhône-Alpes a fait d’importants efforts, notamment pour le plan froid avec la mobilisation de 4206 places contre 2878 l’année dernière. Mais elle ajoute :
« Les critères de priorisation et d’accès à l’hébergement (enfants de moins de trois ans dans les départements les plus sous tension), s’adaptent aux moyens financiers et matériels, et non aux besoins réels. Cette priorisation a pour conséquence une invisibilité des personnes dites « non prioritaires », dans la gestion des données officielles ».
Au cours de cette même conférence de presse, les professionnels de l’urgence sociale et le représentant de « Jamais sans toit » (le collectif de parents d’élèves et d’enseignants) ont pointé cette volonté de « faire disparaître des statistiques plutôt que de tenir la promesse d’Emmanuel Macron de zéro SDF ».
Dans son communiqué, le Collectif des associations unies demande prioritairement « aux autorités » le recensement de toutes les personnes à la rue.
Plus globalement, toutes les associations et les collectifs citoyens redoutent, comme chaque année, la remise à la rue des personnes hébergées dans le cadre du plan froid. Il s’agit de plus de 3000 personnes en Auvergne-Rhône-Alpes.
Le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, a annoncé le 30 mars que 5 000 places allaient être pérennisées sur le plan national.
La préfecture de région communiquera sur le sujet le 3 avril.

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