Cette météo favorable ne doit pas faire oublier que le réchauffement climatique va durablement limiter la pratique du ski alpin. C’est le sens du dernier rapport annuel de la Cour des comptes qui insiste sur la nécessaire diversification du modèle économique de ces stations de sports d’hiver.
A cela, l’Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) répond au micro de Rue89Lyon qu’« il faut développer la neige de culture », autrement dit il faudrait plus de canons à neige pour lutter contre la hausse des températures.
Les rapports se suivent et se ressemblent. Le réchauffement climatique va considérablement limiter l’enneigement des stations de montagne. Et les conséquences financières pour les collectivités seront très lourdes.
Pour les rédacteurs de la Cour des comptes, il y a urgence à changer un modèle économique qui repose sur le ski. Ils l’ont écrit avec force. Les mêmes recommandations avaient en effet été rédigées en 2011. Sept ans plus tard, rien n’a bougé.
Dans ce rapport 2018, tout est dit dans le titre :
« Les stations de ski des Alpes du nord face au réchauffement climatique : une vulnérabilité croissante, le besoin d’un nouveau modèle de développement ».
Et toutes les stations sont concernées :
« Le réchauffement climatique affecte toutes les stations. Mais celles de moyenne et surtout de basse montagne sont davantage fragilisées. »
Pour ces « stations de basse montagne » (en prenant l’exemple de Saint-Pierre-de-Chartreuse), cette reconversion est « dès à présent nécessaire ».
Pour les autres, dans un contexte de concurrence accrue, la Cour des comptes annonce que seules les grandes stations d’altitude (au-delà de 1 800 m, type Tignes), « en capacité d’investir, d’améliorer la qualité d’accueil, de transport et de s’adapter aux aléas climatiques, gagneront en attractivité en concentrant la clientèle des sports de neige ».
Et même pour ces stations de sports d’hiver, La Cour des comptes relève que le recul des glaciers « remet en cause la pratique du ski d’été.
Conclusion du rapport, il faut diversifier dès à présent l’offre de loisirs.
« Plus de neige de culture »
Rue89Lyon a cherché à savoir comment les représentants des communes de montagne réagissaient à ce rapport de la Cour des comptes et quelles mesures étaient préconisées pour s’adapter au réchauffement climatique.
Le maire de Valloire (en Savoie), Jean Pierre Rougeaux, nous a répondu au nom de l’Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM).
Lui qui est président de la Commission aménagement du territoire et développement durable de cette association de communes a vertement reçu ce rapport.
« Il ne suffit de sauter comme un cabri en répétant « diversification, diversification ». Le produit phare reste le ski qu’il faut soutenir et encourager, tout en permettant aux communes de conserver leurs moyens pour poursuivre leurs politiques de développement de nouveaux services et activités hiver comme été ».
L’ANMSM distingue « changement climatique et l’aléa climatique ». Pour faire face « aux variations annuelles et sécuriser l’exploitation », la « neige de culture » est, pour l’association de communes, « incontournable ». Autrement dit, il faut développer les canons à neige, même si le représentant de l’association des communes de montagne préfère parler d’ »enneigeurs ».
« L’eau est prise en amont pour être rendu dans le même bassin versant. En dix ans, on a considérablement amélioré l’efficacité des enneigeurs. On fait des pistes en prairie douce pour que la neige de culture fasse une sous couche. Aujourd’hui, avec 30 à 40 cm, on peut skier tranquille. Avec tout ce travail, on obtient des résultats extraordinaires qui en cas de défaillance d’enneigement nous permettent d’y pallier, ce qui est loin d’être le cas cette année. »
Et d’ajouter prophétique :
« On va skier encore longtemps, si on a de l’eau et du froid ».
« Des expédients coûteux difficilement soutenables »
La Cour des comptes est bien moins enthousiaste que le maire de Valloire.
Toujours sous un angle économique, le rapport 2018 souligne que l’objectif de garantir un enneigement suffisant « conduit à recourir à des expédients coûteux qui seront difficilement soutenables : aménagement de nouveaux espaces skiables, déplacement en altitude, remodelage des pistes, apports de neige artificielle ».
Actuellement, le taux d’équipement des stations de ski française est de 32 % (contre près de 70% en Autriche et en Italie selon le rapport de la Cour des comptes). Au passage, la Cour des comptes tacle gentiment les « politiques publiques facilitatrices », comme celles mises en place par la Région Auvergne-Rhône-Alpes :
« La production de neige nécessite cependant des températures suffisamment basses, désormais moins fréquentes en début et en fin de saison, mais aussi une ressource en eau dont la production, le stockage et le transport incombent souvent aux collectivités publiques ».
« Stoppons la fuite en avant »
Contrairement à l’association des communes de montagnes, l’association Mountain Wilderness a accueilli « avec satisfaction » l’alerte de la Cour des comptes.
« Depuis des années, les pouvoirs publics parlent de la nécessaire « diversification » des stations de ski. Nous constatons cependant à regret que cette considération s’apparente sur le terrain à du « green washing » et non à un changement de paradigme touristique ».
Contacté, un porte-parole de Mountain Wilderness, Vincent Neirinck, souligne les conséquences environnementales des canons à neige :
« C’est surtout une question de ressource en eau. On utilise beaucoup trop d’eau pour les canons à neige. L’évaporation est très importante dans les retenues collinaires construites pour alimenter les canons et, lorsqu’elle est damnée, cette neige se sublime plus rapidement ».
Il pointe également une consommation électrique de « l’ordre des remontées mécaniques » pour faire tourner ces enneigeurs. Enfin, l’impact sur le milieu est lourd :
« Ça change la physionomie de la montagne. On a construit des retenus collinaires dans le Vercors, un massif karstique normalement dépourvu de lac. Pour faire des pistes en pente douce, on crée des boulevards à coups de bulldozers et d’explosifs. Ce sont de véritables autoroutes sans goudron. Dans certaines stations, comme à l’Alpe d’Huez, ils ont même utilisé comme engrais des boues de stations d’épurations contenant des myriades de morceaux de plastique ».
Et de conclure :
« Il faut stopper cette fuite en avant ».
« Plan montagne » contre « changement de paradigme »
Une chose est sure, les élus de l’Association des communes de montagne et les militants écologistes de Mountain Wilderness ne passeront pas leurs vacances aux sports d’hiver ensemble.
Jean Pierre Rougeaux, l’ANMSM, plaide pour un grand « plan montagne » d’investissements pour « redonner du goût à la montagne » et lutter contre la baisse de fréquentation par les plus jeunes relevée par la Cour des comptes.
Sur le plan local, le maire de Valloire prend l’exemple de sa commune à qui en cinq ans l’Etat a « retiré » près d’un million d’euros de fonctionnement.
« Ma dotation globale de fonctionnement est passé de 786 000 euros en 2013 à 218 000 euros en 2018 tandis que nous avons dû verser au fonds de péréquation intercommunal 400 000 euros (contre 40 000 euros). L’Etat doit nous soutenir davantage ».
Du côté de Mountain Wilderness, on surfe sur les recommandations de la Cour des comptes. Vincent Neirinck propose ainsi un « changement de paradigme » :
« L’économie de la montagne est fondée sur un mythe. En réalité, ce n’est pas le ski alpin qui rapporte le plus. 56% du chiffre d’affaires touristique est réalisé en dehors des stations. Et s’agissant des sports d’hiver, ce sont surtout les acteurs privés qui empochent l’argent et les communes s’endettent ».
Pour lui, « l’enjeu est donc de « vendre le territoire » et non des activités (le ski ou le VTT) que l’on peut faire partout.
« Les stations de ski sont en concurrence permanente. C’est la course au domaine le plus haut, le plus grand, et tous les ans ont aménage toujours plus. En développant la découverte du territoire, on crée un modèle d’activité basé sur des spécificités uniques, non délocalisables. Le tourisme, c’est l’altérité, pas reproduire les mêmes aménagements partout, pas reconstruire la ville à la montagne ! ».
Chargement des commentaires…