Son avocat invoque la liberté d’expression et une « tentative de sabotage juridique ».
« Ce que fait le procureur, c’est la police de la pensée ».
Hervé Banbanaste, avocat lyonnais de Karima Souid, s’est engouffré dans la brèche de la liberté d’expression. Sa cliente venait quelques instants auparavant d’entendre des remontrances, en forme de leçon de morale, de la part de la procureure.
« Qui est Madame Souid pour nous faire la leçon et nous expliquer comment doit fonctionner la police ? Oui, il y a un débat politique à avoir. La question du travail de la police est particulièrement tendue dans la société. Mais ses propos sont de nature à mettre le feu aux poudres et à être repris par des gens qui ont moins de conscience politique qu’elle ».
La procureure s’est montrée particulièrement solidaire des forces de police qualifiant les conditions de travail du commissariat de Vénissieux « d’atroces ». Elle s’est ainsi placée dans la lignée de l’avocate de la commissaire Vanessa Mazière, particulièrement visée dans les propos de Karima Souid.
Présente à l’audience, la commissaire a tenu à défendre son cas mais aussi son travail. Vanessa Mazière a ainsi mis en avant les chiffres d’interventions et d’élucidations de trafics de stupéfiants de ses agents. Son avocate, Me Solenn Riou, a jugé les propos de l’accusée « écoeurants » et « lâches ».
Lettre ouverte au député Yves Blein
La commissaire et ses agents avaient été mis cause par Karima Souid en juillet 2017. Quelques jours auparavant, elle s’était présentée au commissariat pour déposer plainte suite à sa prise en charge défaillante à l’hôpital Edouard Herriot. Les fonctionnaires lui ont indiqué qu’en l’absence d’infraction pénale, ils ne pouvaient recevoir sa plainte. Karima Souid soutient avoir été agressée « physiquement et verbalement ».
Elle avait alors publié sur son compte Facebook une lettre ouverte à Yves Blein, députée de la 14e circonscription du Rhône, pour dénoncer son traitement. Dans ce texte, elle évoquait plus largement une gestion défaillante du trafic de drogue dans le quartier par la police et encore au-delà, par la municipalité et sa maire communiste Michèle Picard. Les propos étaient virulents. Si elle les assume, on n’en trouve plus trace sur son profil Facebook.
Elle jugeait dans son texte que la commissaire était « démissionnaire » et « incompétente ». Mais aussi :
« Des agents de police qui vous manquent de respect et qui vous violentent quand vous êtes victime alors que vous venez pour déposer plainte. On en a ras le bol. Des agents de police français qui ne maîtrisent pas la langue de Molière. Offrez leur aussi une bibliothèque pour qu’ils relisent le droit pénal et civil, pour qu’ils puissent enrichir leur vocabulaire et s adresser au citoyen avec respect et non pas avec un langage que même un voyou n utiliserait pas. »
« Cette liberté c’est la mienne, monsieur le Président »
À l’audience, elle s’est étonnée que sa demande de visionnage des caméras de surveillance du commissariat, qu’elle assure être présentes, et qu’elle avait sollicitées, n’ait pas été possible.
« On m’a répondu qu’il n’y avait pas de caméras. Alors qu’avec elles, il aurait été très simple de confronter les versions de chacun ».
Mais les débats n’ont pas réellement concerné le travail de la police. La liberté d’expression, de pensée et de polémiquer ont perlé dans les propos, de chaque côté de la barre. Au juge qui l’interrogeait, Karima Souid a assuré que malgré le respect pour le corps de police, ses propos relevaient de la liberté d’expression « chèrement acquise par des gens qui sont morts en France ou en Tunisie. Cette liberté c’est la mienne, monsieur le Président ».
« On peut comprendre que Madame la commissaire soit vexée »
Son avocat, Hervé Banbanaste, a alors ré-orienté les débats. En faisant dire à sa cliente que cette lettre ouverte relevait aussi et surtout d’une « contribution au débat public » plutôt qu’au registre de l’invective. Son objectif est juridique : poursuivie pour outrage, sa cliente ne peut l’être selon le code pénal que si les propos sont de nature non publiques.
Il a alors joué sur du velours, s’amusant de l’accusation des parties civiles et de la procureure poursuivant Karima Souid pour « la phrase finalement la plus anodine et la moins virulente de son texte ».
« Moi, dans ce dossier je poursuis plutôt pour le passage où elle demande aux fonctionnaires de retourner à la bibliothèque ! Là, on fait de la politique, pas du droit. Il fallait aller sur le terrain de la diffamation. Mais elle relève du droit de la presse, mais il est bien plus protecteur ! On assiste à un détournement de la loi. »
Et d’enfoncer le clou :
« On peut comprendre que Madame la commissaire soit vexée par ces propos. Mais la question de son incompétence, ce n’est pas le débat. Si on n’a pas le droit de dire en France qu’un agent de police est incompétent, alors on a changé de pays. J’ai le droit de le penser et de le dire. »
Pour lui, la relaxe s’impose.
Le jugement a été mis en délibéré au 6 avril.
Edit du 6 avril 2018 : Karima Souid a été relaxée de la procédure pour outrage engagée à son encontre par la commissaire Vanessa Maziere du commissariat de Vénissieux. Le juge a estimé que l’outrage ne pouvait être retenu à son encontre.
L’avocat de l’ancienne députée de l’Assemblée Constituante tunisienne de 2013 avait notamment insisté sur le caractère privé que doit revêtir un propos pour être qualifié d’outrage. Le juge n’a pas retenu cette disposition de l’article 433-5 du code pénal. Il a estimé que les propos incriminés n’avaient pas pour « finalité première d’atteindre directement ou indirectement une victime » mais de « s’adresser au public lui-même pour son information ».
Les propos de Karima Souid entrent selon lui dans le cadre de la loi sur la presse de 1881. Ils ne peuvent alors être poursuivis que pour diffamation ou injure et non pour outrage au préjudice de personnes dépositaires de l’autorité publique.
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