Les « beer geeks » peuvent-ils remplacer les avis d’experts ?
Il existe sur les Internets des sites dédiés uniquement à la critique de la bière. On peut en retenir les deux principaux : Ratebeer et Untappd.
Tout deux permettent aux internautes de poster leur remarques à la manière d’un forum. Parfois en tant qu’amateur (éclairé ou pas), parfois aussi en tant que fin connaisseur. Tous les types de bières y passent, des plus répandues aux cuvées exceptionnelles en édition limitée.
Un système pratique pour connaitre rapidement quelles bières font sensation. Des informations utiles voire pratiques pour les consommateurs (pour savoir quoi offrir, pour comparer son avis avec d’autres, etc.) mais qui est aussi utilisé par les cavistes et les revendeurs (pour savoir quels produits commander aux fournisseurs).
D’après Michael Novo, de la Brasserie du Mont Salève, ces sites sont des sources rapides et pratiques :
« Untappd est le système le plus instantané, il est intéressant car il peut servir de carnet de dégustation, bien qu’il aboutisse à un classement des brasseries. Ces réseaux sont très suivis par les cavistes car quand on ne connaît pas une production, on a vite fait d’aller sur les forums et sur le web pour se renseigner un peu. »
David Hubert, directeur industriel de Ninkasi et délégué général du SNBI (Syndicat National des Brasseurs Indépendants) nous livre quant à lui son point de vue sur l’influence des notes donnés par les internautes :
« Généralement les notations sont faites par ce qu’on appelle les « beer geek ». Il faut comprendre qu’ils ne sont pas nécessairement représentatifs de la majorité des consommateurs. Disons que l’on prend les choses avec humour et recul. »
Avant de confirmer l’influence de ces notations :
« Cependant, je sais que certains cavistes sélectionnent leur bières d’après les notes de certains sites. Ces notes peuvent faire la différence surtout avec la multiplication des bières françaises. »
Comment fonctionnent Ratebeer et Untappd ?
Avant de poster un commentaire, il faut se créer un compte sur le réseau en question. Un pseudonyme, une photo et le tour est joué. La grande majorité des commentaires sont en anglais et peuvent être plus ou moins longs (d’une simple phrase jusqu’à des paragraphes entiers).
Chaque « rater » (personne ayant un compte sur Ratebeer) dispose de son classement et du nombre de ses commentaires publiés. Parfois un compte peut cumuler plusieurs milliers, voir plusieurs dizaines de milliers de commentaires. Ce qui peut vite donner le tournis.
Serious business donc, la preuve avec certains commentaires digne de jurés lors des concours. Le BJCP (Programme de Certification de Juges de la Bière) permet par exemple de suivre le même process que les jurys officiels et de noter de façon rigoureuse sa bière avant de poster la critique. Parmi les critères : l’apparence, l’arôme, la saveur et la texture en bouche. Tous étant bien distincts.
Ce qui donne lieu à une fiche de score très détaillée. Une méthode pour gagner en objectivité.
Au hasard nous avons pris pour exemple des critiques de la « Chouffe Bière du Soleil » (commentaires publiés sur Ratebeer.com)
Michael Novo, dont les bières du Mont Salève sont largement saluées par la profession, nous partage son avis sur la question de la pertinence de certain commentaire :
« Pour ma part je trouve ça un peu brouillon. Je n’ai pas grande confiance dans ce qui est raconté sur ces sites et ces forums, les gens ne sont pas forcément très techniques. »
Il fait part d’un exemple :
« Un jour, j’y ai vu quelqu’un noter de façon très sévère une bière légère, la critiquant beaucoup. Avant de, à la fin, expliquer que les bières légères ne sont vraiment pas son truc. Je ne vois pas trop à quel moment son avis peut être utile… »
Le site Ratebeer racheté par un géant de la bière industrielle
Les sites de notations, comme Ratebeer, sont riches en data et permettent d’établir les tendances des consommateurs.
C’est ainsi qu’en octobre 2016, le géant industriel AB InBev a racheté (une minorité) des parts de Ratebeer, dans le but notamment d’accéder à cette gigantesque base de donnée.
La transaction est restée secrète jusqu’en juin 2017, à l’insu des utilisateurs du site. C’est un autre site de critique de la bière, Good Beer Hunting, qui à l’époque avait sorti l’affaire.
L’autre question soulevée est évidemment l’indépendance des opinions et des classements mis en avant sur Ratebeer, une fois racheté en partie par un grand groupe. Le site Happy beer time soulève la différence de classement de AB InBev avant et après le rachat des parts dans le site :
« D’après les données du système d’archive Wayback Machine, la note d’AB InBev était de 74% au départ. Aujourd’hui, elle est de 90%. Une hausse qui ne peut pas s’expliquer par les 1,4% de notes supplémentaires recueillies depuis septembre 2016. »
La question reste entière :
« Comment la note du géant brassicole, désormais propriétaire de la plateforme communautaire a-t-elle pu progresser de 21,6% ? »
Dans la catégorie des bonnes questions, on retranscrit celle de Michael Novo, de la Brasserie du Mont Salève :
« Est-ce que cela va aboutir à ce que l’on fasse des bières qui plaisent et soient bien notées sur ces réseaux ? Comme faire du vin pour le guide Parker ? Je ne veux pas être trop sombre et négatif sur ces moyens d’échanger sur les bières, mais j’avoue que j’accorde plus de valeur aux articles qui racontent davantage les histoires des brasseurs, les projets, etc. »
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