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La loi renforçant la lutte contre le terrorisme, ou l’état d’urgence permanent

Le 30 octobre 2017, « la loi renforçant la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme » est entrée en vigueur. Dans la foulée, la France est sortie de l’état d’urgence, cet aménagement exceptionnel des droits et des libertés, défini par la loi du 3 avril 1955.

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"Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit" CC Frédéric Voisin-Démery/Flickr

Mais les deux textes se ressemblent trop pour acter la fin véritable de l’état d’urgence français. Explications avec Karine Roudier, maître de conférences en droit public à l’IEP de Lyon.

 

La nouvelle loi portée par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb poursuit le même objectif que l’état d’urgence : la pérennité de l’Etat, de l’ordre public, et la protection des citoyens. Mais la différence de statut des deux textes est capitale. L’état d’urgence est un régime d’exception, délibérément liberticide.

Il est légitime car temporaire et servant un impératif d’intérêt général. La loi de lutte contre le terrorisme nouvellement promulguée est, quant à elle, une loi ordinaire, de droit commun. Ses dispositions sont donc permanentes.

Cette nouvelle loi permet à l’administration, comme sous l’état d’urgence, de décider d’assignations à résidence, de détentions provisoires, de perquisitions administratives, de fermetures de lieux de culte.

Autant de mesures qui, sans contrôle judiciaire a priori, peuvent être l’occasion pour l‘administration de bafouer les droits. Selon Karine Roudier, maître de conférences en droit public à l’IEP de Lyon, ce déséquilibre des pouvoirs en faveur de l’administration pourrait être source d’abus :

« C’est une vraie révision du pouvoir du juge et de l’organisation de l’Etat. Mais on peut espérer que les gens soient vertueux. Une circulaire a été faite pour essayer d’encadrer l’application des premiers articles de cette loi, où ils rappellent l’intérêt du respect des droits. En revanche, il y aura forcément des erreurs ou des abus, c’est assez évident, c’est la pratique qui veut cela. La question est de savoir où place-t-on la limite de ce qui est acceptable. »

Des mesures propres à l’état d’urgence désormais permanentes

Dans un Etat de droit, les droits ne peuvent pas tous être exercés pleinement, en permanence, par tous. Mais la promulgation de la loi du 30 octobre 2017 témoigne d’un basculement vers plus de tolérance envers les mesures liberticides, sous couvert d’impératifs de sécurité intérieure.

L’article 4 de la loi ajoute un chapitre au Code de sécurité intérieure intitulé « Visites et saisies ». Le texte de l’article reprend quasiment mots pour mot l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, article qui décrit les règles de perquisitions administratives.

L’entrée de mesures d’exception dans le droit commun et la tolérance face au caractère désormais pérenne de ces mesures est assumée par le gouvernement. Sur le site officiel Vie Publique, cette intégration est un moyen de « doter l’État de nouveaux instruments de lutte contre le terrorisme afin de pouvoir mettre fin au régime dérogatoire de l’état d’urgence ».

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit CC Frédéric Voisin-Démery/Flickr
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit CC Frédéric Voisin-Démery/Flickr

« Dès que le juge intervient a posteriori, c’est toujours inquiétant »

Cependant, les « visites et saisies » sont soumises à l’accord préalable du Juge des Libertés et de la Détention (JLD). C’est là l’argument majeur des défenseurs de cette nouvelle loi. Mais une loi antérieure, du 3 juin 2016, prévoit déjà, dans le Code de procédure pénale, que les perquisitions dans le cadre de la lutte contre le terrorisme peuvent avoir lieu de jour comme de nuit.

La loi de 2017 pose donc une règle là où une autre existait déjà. Pour Karine Roudier, « cela donne un sentiment de brouillage de piste » :

« On place le juge dans le texte en l’affichant de manière importante. Certes, ce JLD va autoriser la procédure, mais on est déjà dans quelque chose qui était possible. »

L’intervention préalable du JLD ressemble alors à un pur affichage politique. En effet, concernant les autres mesures décrites dans cette loi d’octobre 2017 (assignations à résidence, fermeture des lieux de cultes, collectes de données personnelles, etc.), le juge administratif n’intervient que pour un éventuel recours, a posteriori, de l’action de l’administration.

L’assignation à résidence par exemple, est toujours décidée par le ministre de l’intérieur, sans accord préalable du juge. Cette disposition est la même que sous l’état d’urgence, tel que décrit dans l’article 6 de la loi du 3 avril 1955. Karine Roudier :

« Dès que le juge intervient a posteriori, c’est toujours inquiétant. Car c’est lui qui est censé avoir toute l’impartialité et toute l’indépendance pour juger que la mesure est ou va être efficace.

L’intervention a posteriori peut s’entendre dans des situations exceptionnelles. Or dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, on a considéré que l’intervention a posteriori était nécessaire. C’est ce qu’on appelle le principe de précaution. Et on inonde toute la société de cette crainte. »

« Les lois ont été adoptées dans l’urgence et dans l’émotion »

Cette crainte, c’est celle de laisser en liberté un futur criminel. A l’heure où la « religion des droits de l’Homme » s’étend selon certains, le débat que cette « religion » devrait engendrer est étouffé par la demande de sécurité.

« Les discussions et les lois n’ont été adoptées que lorsqu’il y a eu des attentats, expose Karine Roudier. Et c’est dans l’urgence, dans l’émotion, à chaque fois, qu’on réagit. Nous ne sommes pas en train d’avoir un vrai débat de fond sur les causes profondes des événements et la manière d’y faire face. »

Si cette demande de sécurité est tout à fait justifiable, il est important d’avoir conscience qu’elle peut mener à une restriction des droits fondamentaux. Karine Roudier :

« La seule solution, aujourd’hui, qui nous garantirait de pas aller droit dans le mur, c’est que chacun puisse au moins s’interroger sur le bien-fondé des choses. Ce n’est pas forcément être naïf que de dire « ce n’est pas bien ce que nous sommes train de faire ». C’est juste se poser la question : est-ce que cette loi va vraiment nous aider ? »

Le terrorisme est loin d’être nouveau. Les plus jeunes générations sont habituées à la fouille des sacs et la présence de policiers et militaires dans les lieux publics, elles n’ont connu que ça. Mais auparavant, le terrorisme se gérait différemment. Et selon Karine Roudier, il est important de s’en rappeler :

« C’est l’idée de dire « il y a autre chose qui est possible ». Sans aucun doute. Mais quoi exactement, cela reste complètement à définir. Est-ce qu’avec cette loi, on est sûr de gagner ce combat ? Je n’en suis vraiment pas sûre. Est-ce qu’on n’a pas plus à perdre, nous, en termes de défense de notre identité, de nos valeurs ? C’est quand même fort possible. »

Par Sarah Calamand, étudiante en journalisme à Sciences-Po Lyon

>> Un article à retrouver sur Villa Voice.

>> Le programme de La Chose Publique est ici.


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