Le choix du nom Lumière pour l’Université Lyon 2 continue de faire débat en raison du passé des frères cinéastes. C’est d’ailleurs cette facette complexe de leur bio qui a conduit à leur éviction du billet de 200 francs, au milieu des années 1990.
Un passé qui interroge l’Université Lyon 2 Lumière
En 1986, l’Université Lyon 2 n’a pas encore de nom, contrairement aux Université Claude Bernard (Lyon 1) et Jean Moulin (Lyon 3). Il faut attendre le mois de mai de la même année pour qu’elle s’en attribue enfin un, celui de Louis et Antoine Lumière, le père des deux frères.
Ce patronyme doit être à l’image de l’université : « régional avec un esprit dynamique d’entreprise et un renom international », rapporte Le Progrès dans son édition du 31 mai de l’époque.
Dans le même article, il est dit que le terme « Rhodanienne » et que le nom de Jean-Jacques Rousseau auraient également pu être retenus. Si le patronyme final n’a été choisi qu’au milieu des années 1980, les premières discussions autour du nom datent en fait d’après mai 1968.
Dans leur livre « L’université Lyon 2 : 1973-2004 », Françoise Bayard et Bernard Comte, professeure émérite d’histoire moderne à Lyon 2 pour l’une et maître de conférence en histoire, pour l’autre, reviennent très brièvement sur le choix du nom.
Ils racontent que le problème d’un nom pour l’université avait été évoqué au moins deux fois, en 1973 et en 1979. Les responsables des unités d’enseignement et de recherche (UER) penchent pour Marc Bloch. Le directeur de l’UER des sciences de l’homme et de son environnement écrit au président de l’université en 1979 :
« Nous préférons de beaucoup le nom de Marc Bloch, autre grand résistant assassiné dans la banlieue lyonnaise. Non seulement parce que Marc Bloch est un des plus grands historiens français mais aussi et surtout parce que c’est un des premiers représentants de la pluridisciplinarité et du renouvellement des sciences humaines et sociales.
Une solution encore meilleure consisterait à associer les noms de Marc Bloch et Gilbert Dru, cet étudiant de notre ancienne faculté de lettres fusillé place Bellecour à l’emplacement du Veilleur de pierre. Ce double nom permettrait de rappeler que l’université est faite aussi pour et par les étudiants. Il symboliserait le pluralisme idéologique auquel nous sommes particulièrement attachés dans notre UER ».
Le nom de Marc Bloch suggéré, puis refusé par Lyon 2 ?
Michel Cornaton, ancien professeur de psychologie sociale à Lyon 2, à la retraite depuis 15 ans, se rappelle d’une réunion à propos du nom de l’établissement datant du début des années 1970. Selon lui, cette assemblée non-officielle réunissait une quarantaine de personnes.
Plusieurs noms y furent proposés. François Rabelais, Maurice Sève, Louise Labbé… C’est finalement Marc Bloch qui l’aurait emporté avec plus de 60 % des voix. Grand historien du XXème siècle, Marc Bloch était originaire de Lyon. Juif, il résiste durant la seconde guerre mondiale et meurt en 1944, torturé par des nazis.
Le nom a donc finalement été rejeté. Des années plus tard, en 1995, dans la revue Le Croquant qu’il a fondé, Michel Cornaton revient sur cet épisode :
« Lors de cette mémorable séance de nuit, nous avons voté sur six ou sept noms. Marc Bloch a été récusé par crainte de ternir nos relations privilégiées avec le Proche Orient. Pitoyable ! »
Le professeur de psychologie sociale rappelle que Lyon 2 avait de « vives relations » avec des universités arabes, notamment l’Université de Beyrouth au Liban. Selon lui, les opposants au nom de Marc Bloch auraient refusé ce patronyme car son origine judaïque aurait « détérioré les relations avec les établissements du monde arabe ».
Opposé au choix du nom Lumière, Michel Cornaton déclare alors que Lyon 2 « n’a rien trouvé de mieux que de choisir comme parrains (…) les frères Lumière, au passé politique plutôt louche ».
Dans son livre Les Faussaires de l’histoire, un ouvrage de 1999 sur le négationnisme à Lyon, Christian Terras, fondateur de la revue Golias, évoque lui aussi le choix de ce nom :
« Le nom est récusé au prétexte qu’il pourrait ternir des relations privilégiées avec le Moyen-Orient : démarche doublement honteuse, puisqu’elle cède à des pulsions antisémites présumées du monde arabe. Finalement, l’université, réputée de gauche, adopte le nom des frères Lumière, dont l’un fut un admirateur de Mussolini et l’autre membre de la LVF ».
« La polysémie du mot Lumière »
En 1996, la revue Le Croquant accorde un droit de réponse à Michel Cusin, président de l’université Lumière / Lyon 2 de 1986 à 1991, aujourd’hui décédé. Nous avons consulté ce numéro.
Michel Cusin y assure n’avoir aucun souvenir de la réunion du début des années 1970, puis y affirme que le nom de Marc Bloch n’a pas été refusé pour des « raisons géopolitiques ». Et se met ensuite à défendre le nom Lumière d’une manière inédite :
« C’est la polysémie du mot Lumière (…) qui a permis le consensus (…). Il s’agit ni plus ni moins de restituer à l’université sa fonction de dissiper les ténèbres et de combattre l’obscurantisme. (…) La devise (est elle) plus clairement encore référée au siècle des Lumières : Inter folia fulget »
Selon lui, « l’argument décisif » du choix n’était donc pas le nom de Louis Lumière, mais les multiples interprétations du mot, notamment la référence au siècle des Lumières.
En 2004, les auteurs du livre « L’université Lyon 2 : 1973-2004 », en se basant sur un entretien avec Michel Cusin écrivent :
« L’équipe présidentielle choisit un nom ambivalent. En ce sens le nom de Lumière convenait mieux que ceux de Jean-Jacques Rousseau, Louise Labbé, Marc Bloch et Pierre Mendès-France également proposés. Ce n’était pas seulement les frères Lumière mais les Lumières intellectuelles qui étaient célébrées ».
Pourtant ce n’est pas ce qui ressort de la presse de l’époque. Si on se réfère à l’article du Progrès du 31 mai 1986, le choix du nom a été choisi seulement en référence aux inventeurs lyonnais.
Pour l’ancien professeur de psychologie sociale, Michel Cornaton, il s’agit d’un « enfumage » :
« Le président Cusin a dit que le nom faisait référence au siècle des Lumières, mais il n’a jamais été question des Lumières de Voltaire. »
Un débat actuel mais pas de changement de nom à l’horizon
Le nom de l’Université fait toujours débat au sein des plus hautes instances de l’université, à cause du passé des deux frères.
Quelques mois après son installation en avril 2016, l’équipe présidentielle menée par la Professeure de science politique Nathalie Dompnier a lancé une réflexion sur le nom Lumière.
Les archives de l’université ont été consultées pour se replonger dans les débats de l’époque. Mais cela n’a rien donné, comme nous l’expose Yannick Chevalier, l’un des vice-présidents :
« Dans le procès verbal des délibérations du conseil d’administration du 30 mai 1986, lorsqu’a eu lieu le vote final sur le nom « Lumière », ne sont malheureusement pas retranscrits les débats, mais simplement le résultat des votes. Deux propositions étaient faites : « Auguste et Louis Lumière » et « Jean-Jacques Rousseau ». L’unanimité des voix (30 voix) s’est faite sur « Auguste et Louis Lumière ». Rien n’est dit de plus ».
On se questionne oui, mais le nom de Lyon 2 ne va pas changer demain. Pour expliquer ce statu quo nominal, la présidence met en avant les perspectives de rapprochement entre des établissements lyonnais d’enseignement supérieur.
Avec l’Université de Lyon et, surtout, le projet Idex, c’est plus la fusion des universités qui fait débat au sein des instances universitaire que le nom de Lyon 2.
Pour l’ancien professeur de Lyon 2, Michel Cornaton, les opposants au nom auraient dû profiter de l’affaire du billet de 200 francs pour orienter le débat vers le nom de Lyon 2.
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Le billet de 200 francs : un scandale à 3,5 milliards de francs
C’est peut-être la seule fois où le passé des frères Lumière a été publiquement remis en cause au niveau national. En 1995, la Banque de France prépare un nouveau billet de 200 francs, à l’effigie de Louis et Auguste.
Selon un article de Libération de l’époque, dès décembre 1994, « des organisations de résistants et de déportés de Besançon », la ville natale des deux frères, agissent pour empêcher le billet de sortir. Mais ce n’est que quelques mois plus tard que la polémique éclate.
Le 12 avril 1995, Le Canard Enchaîné sort un petit article de quelques lignes affirmant que deux « collabos », dont l’un était membre de la LVF, « une organisation activement pro-nazie », figurent sur des billets bientôt en circulation.
Le journal fait référence à Auguste et Louis Lumière, dont les actes durant l’Occupation ont été interprétés par certains comme de la collaboration. Interrogée, la Banque de France déclare alors ne pas être au courant de cette histoire.
Deux mois plus tard, en juin, 17 millions de billets, soit 3,5 milliards de Francs (l’équivalent de 700 000 euros aujourd’hui, selon le convertisseur de l’INSEE), sont jetés à la poubelle : la production du fameux billet étant stoppée net suite à la polémique.
C’est finalement Gustave Eiffel qui figurera sur le billet.
En 2012, lorsque la Monnaie de Paris édite les pièces « Les Euros de la Région » et que les frères Lumière figurent sur la pièce de 10 euros de la Région Rhône-Alpes, aucune controverse ne surgit en revanche, comme le raconte cet article de la presse locale à Lyon, à l’époque.
Les pièces sont d’ailleurs toujours achetables sur Internet.
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