Portée en France par des militants lyonnais, l’association antispéciste milite pour l’arrêt de toute exploitation animale, y compris les animaux de compagnie, et prône la désobéissance civile, pour s’illustrer dans la galaxie des assos pro-animaux. « Casser les codes » au risque, peut-être, de desservir son propos ?
En cette soirée automnale, ils se sont donné rendez-vous devant les abattoirs Sicarev de La Talaudière (Loire). Une trentaine d’activistes de « 269Life Libération animale » respirent pendant des heures les effluves nauséabondes qui émanent des bâtiments d’usine.
De noir vêtu pour la plupart, dans une ambiance de deuil scénarisée, ils restent debout sur le bitume de la zone industrielle, brandissant pancartes de soutien aux animaux ou allumant des lignes de bougies.
Tout le temps que dure l’action, c’est à dire la nuit, les visages des militants restent graves, affectés. Faisant face aux abattoirs, une jeune fille reste adossée contre un panneau pendant une grande partie de la soirée.
269, le chiffre d’un veau
Le rassemblement à La Talaudière (mais aussi devant les abattoirs de Corbas), ce mardi 26 septembre fait écho à plusieurs dizaines d’autres organisés simultanément en France dont un à Corbas (Rhône) et même à l’étranger.
L’action a été intitulée les “Nuits Debout devant les abattoirs”, s’appropriant au passage la marque à succès Nuit Debout, ce mouvement citoyen contre la loi travail de 2016, les manifestations silencieuses devaient permettre de rallier 1 500 personnes et déplacer volontairement le regard vers les lieux d’abattage.
“La population a l’habitude de se détourner rapidement des abattoirs parce que c’est loin des villes, ça sent mauvais et que ce n’est pas agréable de voir des animaux qui pleurent devant. À nous, ça pose problème que ces lieux existent. »
Les mots de Tiphaine Lagarde, co-présidente de l’association, sont incisifs. La trentenaire, juriste et attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’université Lyon 3 a, depuis deux ans, remodelé l’image de l’association pour incorporer les notions de désobéissance civile au coeur de ses actions.
Jusqu’alors confidentielle, elle n’était qu’une antenne parmi tant d’autres d’un mouvement international né en 2012 en Israël.
Le nombre 269 faisant référence au numéro attribué à un veau qui fut extrait le premier des abattoirs.
“La société se moque et nous traite de terroristes”
L’opération “Nuits Debout devant les abattoirs” a été montée comme une opération légale, sans occupation des bâtiments ; pour autant l’association a fondé sa réputation sur des actions coup de poing, d’intrusion dans les abattoirs et d’exfiltration d’animaux vers des sanctuaires dont les adresses restent secrètes.
Du vol donc.
“Sauver des dizaines d’animaux sur des millions, c’est rien. Mais au moins on les remet au cœur du débat”, insiste Tiphaine Lagarde.
Les activistes s’invitent également dans les sièges sociaux des groupes agroalimentaires, auprès de l’association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) et même dernièrement à la Fête du Cochon, raout organisé chaque année par le maire FN de Hayange.
De l’action directe qui vaut régulièrement à 269Life des assignations en justice.
Entre septembre et octobre, “nous sommes convoqués sept fois pour sept blocages d’abattoir” reconnaît Tiphaine Lagarde.
Une stratégie assumée, selon la porte-parole qui déroule un discours bien rôdé et ne craint pas le micro ni les caméras. Au contraire.
“Bien sûr la société se moque, elle va même nous traiter de terroristes. Les gens sont très critiques mais c’est tout à fait normal. Pour tous les mouvements sociaux, c’est pareil. L’opinion publique n’est jamais en phase au début avec la cause que l’on défend”, défend la coprésidente.
En revanche, l’association ne verse que rarement dans la violence à la différence d’autres organisations comme le Front de libération des animaux, partisan de dégradations de bâtiments à l’image des vitrines détérioriées de plusieurs commerces à Lyon, dont une fromagerie en mars dernier.
Sa ligne de communication lui a permis d’attirer toujours plus de militants, avides d’actions directes (350 adhérents désormais selon l’association). Mises en scène sanguinolentes, vidéos au plus près des animaux, images d’évacuation par les forces de l’ordre viennent nourrir les discussions sur la page Facebook de l’organisation et ses 50 000 “likes”.
Objectif zéro abattoir
Les profils sont divers, de 18 à 68 ans. Des étudiants, des enseignants, des ouvriers, des infirmiers. Si les activistes les plus engagés ne sont pas plus d’une centaine à travers la France, ils sont ponctuellement rejoints sur des actions ciblées par des centaines d’autres antispécistes, prêts à poser des jours de congés pour certains et à prendre le risque d’une garde à vue ou d’une mention au casier judiciaire.
Annie, la trentaine et vegan depuis plus de trois ans ne s’imagine pas militer dans une autre organisation. Chez 269Life, elle partage cette vision d’un changement radical de la société.
“Nous ne sommes pas favorable aux petites mesures d’amélioration du bien-être animal, appelé le “welfarisme”. Nous souhaitons simplement la fin de l’exploitation animale puisqu’il n’y a pas d’exploitation sans souffrance.”
Un argument martelé par la co-présidente de l’association pour qui aucun compromis n’est possible.
“Les industriels et leurs services marketing très organisés cherchent à récupérer cette préoccupation animale et faire croire aux consommateurs qu’il est possible de manger une viande éthique, avec des abattoirs où les animaux ne sont pas stressés. C’est pour ça qu’il faut rester dans la confrontation et ne pas céder à ces appels du pied.”
Dans ce domaine, difficile de ne pas comparer 269Life avec L214, autre association originaire de Lyon et beaucoup plus visible aujourd’hui dans les débats.
Cette dernière s’est faite connaître ces dernières années par la diffusion de vidéos tournées dans les abattoirs, dans lesquels l’activité menée met au jour une maltraitance animale. L214 assume elle aussi le discours antispéciste (soit la lutte contre les discriminations en fonction de l’espèce).
Si les objectifs semblent les mêmes, les deux organisations s’opposent sur la stratégie à mettre en place pour « rallier les consciences ».
“Je suis reconnaissante du travail engagé par L214 mais je leur reproche un manque d’ambition. Leurs vidéos ne remettent pas en cause l’exploitation animale. C’est dommage qu’ils ne se soient pas engagés dans la désobéissance civile. Ils restent peu offensifs”, juge Tiphaine Lagarde.
Pour autant, L214 obtient des résultats. L’association a grossi au point de s’être professionnalisée, sa méthode marketing qui s’appuie sur des personnalités connues du grand public et ses vidéos ont permis de faire émerger la question de la place des animaux dans de la société et avaient même poussé le gouvernement de François Hollande à lancer une mission sur la souffrance animale.
Et Brigitte Bardot, dans tout ça ?
Brigitte Gothière, cofondatrice et porte-parole de L214 rappelle les démêlés de son association avec la justice. Tout en reconnaissant le “courage” et la “détermination” des militants de 269Life, elle ne partage pas toutes les analyses faites par la jeune association.
“Nos actions sont différentes mais notre objectif final reste le même. Nous n’allons pas cracher sur des améliorations des conditions d’élevage. Et ceci n’empêche pas de poursuivre la réflexion sur l’appropriation des animaux. Les professionnels de l’alimentation ont bien cerné que nous ne militons pas pour le bien-être animal mais bien pour la fin de l’exploitation.”
Les mots de Tiphaine Lagarde ne sont en revanche pas tendres au sujet des autres associations animales, dont la fondation Brigitte Bardot qu’elle trouve “très limitée et sans raisonnement”.
La juriste discourt sur son combat en n’hésitant pas à convoquer des figures telles que Hannah Arendt, Malcolm X ou Yves Bonnardel, fondateur des Cahiers antispécistes. Elle s’en réfère également à l’histoire des luttes d’émancipation comme celle des noirs aux Etats-Unis ou bien les luttes des femmes pour actualiser ce nouveau combat aux côtés de l’antiracisme et l’antisexisme.
“On ne peut pas combattre une oppression et en cautionner une autre. C’est une vraie lutte pour l’égalité”, estime-t-elle.
Il reste difficile d’évaluer le poids de l’organisation dans l’émergence de la mouvance vegan. À ce sujet, la coprésidente de 269Life se lance dans un rappel à l’ordre immédiat :
“Attention véganisme et antispécisme sont très différents : nous parlons d’abord des animaux, du système qui les oppriment. Le véganisme concerne les humains. Les végans ont leur magazine, leur salon (VeggieWorld) mais au final les animaux sont sortis du débat. C’est devenu un mouvement consumériste.”
Ci-après, une vidéo de 269Life tournée dans un abattoir cet été :
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