Au 41 rue Professeur Sisley, dans le quartier de Monplaisir, difficile de croire que nous sommes à quelques pas du métro Sans Souci. Après avoir franchi les hauts murs, on est plongé dans un bain de verdure, accueilli par des chants d’oiseaux.
Un jardin anglais parsemé d’arbres imposants domine l’extérieur de la villa. Platanes, érables, vergers ou lierres se mélangent pour composer un parc unique en son genre.
Composé d’un garage, d’une chapelle et d’une maison secondaire, ce terrain de plus de 5000 m2, classé « espace boisé« , entoure une maison cossue de 450 m2. La villa, aux trois niveaux habitables, compte une quinzaine de pièces.
Construit en pierre, le bâtiment correspond typiquement aux maisons bourgeoises du XIXe siècle.
Une impression frappe d’entrée : la symétrie parfaite de l’ensemble, où des parties factices de fenêtre ont été ajoutées sur les côtés de la villa pour renforcer cette perception géométrique. Composé de tuiles, le toit supporte plusieurs œils-de-bœuf de part et d’autre de la structure.
Il n’est possible de visiter que l’extérieur du domicile, précise bien l’arrière-petite fille de Monoyer, Elizabeth Juvet, aujourd’hui propriétaire des lieux. Celle-ci a notamment refusé que je prenne des photos à l’intérieur de la villa. Tous les clichés ont donc été reproduits à l’extérieur.
Une villa intergénérationnelle
Jusqu’à leurs disparitions en 2011, la mère et la tante d’Elizabeth Juvet ont vécu dans la demeure. Depuis, l’héritière y habite à temps partiel.
Mais elle se rappelle que la villa, forte de son espace et son ambiance conviviale, a abrité un clan familial entier :
« Comme mon père était militaire, il était souvent en garnison ailleurs. La villa était notre camp de base, on vivait en tribu avec les grands parents, les oncles, les grandes tantes. »
Aujourd’hui Elizabeth Juvet, qui admet que la villa « est un gouffre financier », ne vit pas seule dans cette demeure. Elle loge actuellement deux étudiants de l’association Le Pari Solidaire Lyon. Une démarche qui la tient à cœur :
« Si ma tante et ma mère vieillissantes ont pu rester, c’est parce que des étudiants étaient logés gratuitement contre une présence le soir. Je passe toujours par cette association et maintenant, je les fais payer mais ce sont des loyers très faibles. »
Rachetée par l’inventeur du test optique
En 2017, louer une chambre dans un logement au passé si riche a de quoi attirer.
On doit la construction de cette villa, en 1835, à Marie-Vital Henry, maire de la Guillotière de la première partie du XIXe siècle.
Guy Borgé raconte dans Histoire de Monplaisir (éd. Bellier, 2008) que Marie-Vital Henry n’est autre que le baron de la famille des Tournelles, dynastie à l’origine du quartier de Monplaisir où il y construisit sa maison.
Plus de 65 ans après la construction de la villa, le médecin Ferdinand Monoyer loue cette habitation qu’il considère comme sa maison de campagne. Il en profite pour construire un parc, qui a gardé toutes ses spécificités et n’a pas bougé depuis plus d’un siècle.
La villa est toujours restée dans le cercle familial.
Hommage de Google à « l’échelle Monoyer »
Le 9 mai dernier pour l’anniversaire de Ferdinand Monoyer, Google lui a rendu hommage à travers une animation. Mais pour quelle raison ? Reconnu internationalement par la profession, ce physicien, médecin et ophtalmologue est l’inventeur des tests d’acuité visuelle et de la dioptrie.
Tout le monde a déjà pu lire chez son médecin une série de petites lettres pour évaluer sa vue. Peu néanmoins savent que l’auteur de ce test, appelé « échelle Monoyer », est né sur le plateau de la Croix-Rousse le 9 mai 1836.
Fondateur de la faculté de médecin de Lyon, le scientifique a inscrit son nom de famille sur le test qu’il a créé. En remontant de bas en haut sur la ligne verticale gauche, vous pourrez l’apercevoir.
Il est mort en 1912 sans avoir revu son Alsace natale. A ses funérailles, plusieurs de ses proches collaborateurs lui ont adressé des hommages élogieux, soulignant son « esprit original ».
« Empêcher qu’il y ait un immeuble de dix étages construit à la place. »
Elizabeth Juvet veut faire perdurer l’ADN scientifique de la résidence. Elle a créé en janvier 2015 l’association « Villa Monoyer ».
Reconnue d’intérêt général depuis plus d’un an, cette association regroupe plus de 160 personnes. Son but, selon Elizabeth Juvet, Dynamiser le quartier, mettre en valeur cette propriété mais surtout « empêcher qu’il y ait un immeuble de dix étages construit à la place. »
Mais le désir de l’héritière Monoyer va plus loin. Aidée notamment par le conservateur du musée Latarjet d’anatomie et d’Histoire naturelle médicale, celle-ci espère, à long terme, concevoir un musée d’histoire de la médecine lyonnaise :
« Nous aimerions montrer les spécificités du XIXe siècle, ses grandes découvertes et ses inventeurs. Puis on ferait un bond dans le temps en sautant un siècle pour faire un parallèle avec les spécificités actuelles et contemporaines. Tout en gardant l’idée de la médecine. On a imaginé trois départements à explorer : le corps saint, le corps malade et le corps mort. »
Ce musée verrait le jour dans la villa, tandis que d’autres activités (coworking, location de salles de séminaires pour la prestation de service) prendraient place dans les dépendances extérieures (garage, maison de l’ancien gardien).
La présidente de l’association précise :
« Ce projet pérenne et moderne serait monté sans subvention, avec des expositions temporaires pour inciter les gens à revenir, et auto-financé par d’autres activités car le musée sera déficitaire ».
Le silence de la mairie du 3ème arrondissement
Pour la réalisation d’un tel projet, le soutien de la mairie paraît indispensable. Un facteur qui se transforme en obstacle pour Elizabeth Juvet :
« On n’a pas de contact avec la mairie du 3ème. J’ai demandé un entretien mais je ne l’ai jamais eu. Le maire comprend bien l’idée du projet, mais ça s’arrête là. Ils ont terriblement peur qu’on leur demande des subventions, alors que ce n’est pas ce qu’on souhaite. Nous, on veut juste un assouplissement du PLU (Plan Local d’Urbanisme, ndlr). »
Cet « assouplissement » pourrait lui permettre de construire un ascenseur, une colonne sanitaire ou bien prolonger certaines parties de la maison déjà existantes.
Un pique-nique organisé dans un « havre de paix »
Durant les mois de juin et juillet derniers, plusieurs animations ont vu le jour pour faire découvrir aux Lyonnais une résidence vieille d’un peu moins de deux siècles.
Par exemple, Elizabeth Juvet accorde une grande importance à accueillir chaque année depuis quatre ans le Pari Solidaire Lyon pour leurs portes-ouvertes. En mettant en place des cohabitations intergénérationnelles, cette association permet à plusieurs personnes âgées de se maintenir à domicile.
En ce jour de pique-nique de juin dernier, les averses puissantes succèdent à une chaleur étouffante. Âgée en moyenne d’une cinquantaine d’années, une trentaine de personnes se sont rassemblées autour de tartes, quiches et autres charcuteries lyonnaises pour échanger.
Avant le pique-nique débuté à 19h, atelier de chicon et initiation au tango étaient au programme cet après-midi. Marie Gourion, coordinatrice au sein de l’association, est également tombée sous le charme de la maison :
« Avant je ne connaissais ni la villa, ni le professeur Monoyer. Mais c’est un lieu fédérateur pour le quartier, une parenthèse dans la ville. On a un havre de paix qui nous permet d’être ensemble, de se parler. C’est précieux pour des temps associatifs. »
Le 16 septembre à l’occasion des Journées du patrimoine, le parc ouvre à nouveau ses portes de 15h à 18h. Des ateliers (maquillage, lecture) pour enfants seront notamment organisés.
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