Petit Bulletin : Qu’est-ce qui vous a amené à parler du vin et de la transmission aujourd’hui ?
Cédric Klapisch : C’est toujours compliqué de savoir pourquoi l’on fait un film. C’est sûr que le vin m’intéresse, pas seulement parce que je l’aime. Mais parce que c’est un produit qui contient du temps. Je voulais terminer par quelqu’un qui boit un verre de vin contenant tout ce que l’on a vu dans le film, mais j’ai placé ce plan assez tôt. Les personnages boivent le vin de leur grand-père, de leur père…
On sent que dans le verre, il y a une personne qui s’est exprimée. Au-delà de ça, le film raconte que le vin est à la fois un savoir-faire que l’on apprend par ses parents, un terroir, tellement de choses qui n’existent dans aucun autre produit. Le vin a quelque chose de mythologique, avec des dieux (Dionysos, Bacchus) très signifiants, qui mélangent la raison et le côté irrationnel. Bref, des choses assez complexes.
Étrangement, le vin a été peu exploité sur grand écran…
C’est un sujet inépuisable, et il a été pour moi une des raisons de faire ce film : ce produit est associé à l’image de notre pays, à de beaux paysages. Il questionne aussi notre identité : il y a quelque chose de la tradition française en plein mouvement, des choses archaïques qu’on garde et des choses de la modernité qu’on intègre. Or j’avais envie de parler de ce que l’on garde de la tradition et de ce qui évolue.
Pourquoi particulièrement en Bourgogne ?
J’ai connu le vin par la Bourgogne : depuis toujours, mon père n’achète que du bourgogne. À partir du moment où j’ai eu 18 ans, on a eu cette espèce de rituel d’y aller ensemble. C’est donc la région que je connais le mieux. J’ai vécu ensuite dix ans avec une femme dont le père ne buvait que du bordeaux — donc j’ai découvert d’autres endroits, puis d’autres pays.
Ce qui est beau dans le vin, c’est la diversité. En Bourgogne, on sent bien quelque chose de millénaire, le vécu, le terroir, le côté “Histoire”, avec les abbayes… Et la modernité : j’ai été étonné de voir que la Bourgogne est un monde en mutation. J’ai parlé avec des vigneronnes qui ont commencé à faire du vin il y a vingt ans. À l’époque, c’était très bizarre qu’une femme reprenne le vin dans la maison ; aujourd’hui, plus du tout.
Ce film sur un héritage immatériel se trouve “pollué” par les questions d’héritage…
C’était une question intéressante. Il se passe quelque chose de très particulier dans les régions viticoles : en dix ans, le prix de la terre a doublé en Bourgogne. Et ça s’accélère encore plus, car la spéculation est forcément exponentielle. On m’a rapporté que Bouygues a proposé 200 fois le prix d’un terrain cette année. Cela crée quelque chose de totalement irrationnel, comme le dit le notaire dans le film : si l’on vend tout son vin pendant 40 ans, on atteint à peine 1% du prix de la terre.
Finalement, le vrai héritage n’est pas chez le notaire : c’est le vécu, ce qu’on hérite de ses parents au sens presque psychanalytique.

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