L’irruption au sein de la compétition politique du candidat « hors parti » Emmanuel Macron et sa victoire à l’élection hautement symbolique des présidentielles a laissé suggérer un bouleversement au sein du système partisan. Mais le champ politique a une forte propension conservatrice et il n’est pas simple d’en remettre en cause le fonctionnement.
En Marche, l’anticorps du système partisan
Loin de régénérer la démocratie, En Marche procède de l’accélération de sa sclérose. L’innovation du mouvement réside dans sa communication et non dans son organisation. Du lancement du mouvement à l’annonce des investitures de ses candidats, le récit qui a été construit fut celui d’une opposition radicale au système des partis : le mouvement La République En Marche a des statuts, des élus, un programme, un slogan, des commissions d’investitures, des militants, bientôt un financement d’Etat…
Mais on vous l’assure, cela n’aurait rien à voir avec un parti politique. Réclamant 340 000 adhérents, il voudrait se revendiquer comme un mouvement de masse. En réalité, c’est le prototype nouveau d’un parti de cadre, syndicat d’élus dont le Grand Lyon est l’une des bases modèles.
Pour qu’il puisse s’affirmer comme un vecteur de subversion de l’ordre politique, il faudrait qu’il conteste effectivement les monopoles de l’espace représentatif et mette à mal la reproduction des élites. L’officialisation des investitures le 11 mai, déjà abondamment commentée, a définitivement achevé l’illusion du renouvellement comme celle de la transformation des pratiques politiques.
Le mouvement En marche n’a ouvert aucun espace de médiation entre gouvernants et gouvernés. Sa réussite réside dans le fait d’avoir au contraire distingué de la manière la plus hermétique qui soit d’une part les comités de volontaires en charge du militantisme traditionnel et d’autre part les fonctions stratégiques dévolues à des cadres rompus aux règles de la compétition électorale et cumulant les ressources propres au champ politique.
L’illusion de la mobilité
Cette division du travail, tout à fait classique dans les partis politiques, a atteint son paroxysme au sein du mouvement En Marche. C’est le modèle de « la tête et les jambes ». Le principe est de laisser une large autonomie aux militants sur les éléments de propagande afin de profiter des logiques de réseaux suivant l’exemple des campagnes américaines mais de les couper des aspects stratégiques.
Si cela facilite les initiatives locales, cela n’est rendu possible que parce que le cadre de leurs responsabilités et de leurs prérogatives est strictement limité.
À cela s’ajoute le caractère récent du mouvement qui a donné l’illusion de mobilité au sein du mouvement puisque la structure pyramidale s’est constituée au fil de la campagne à mesure des ralliements.
Pendant que les militants s’activaient, la « tête » du parti se concentrait sur les éléments programmatiques, les stratégies médiatiques, les négociations politiques électorales et la sélection des candidats. La stricte dichotomie entre la tête du mouvement et sa base en a accentué sa fluidité mais certainement pas la démocratie interne.
On ne peut saisir le mouvement en marche sans saisir l’ambivalence de sa structuration interne : forte décentralisation des comités, mais fonctionnement vertical et hyper centralisé (un cercle restreint de cadres autour d’un homme) du véritable appareil.
On voit dans les processus de désignation des candidats que les logiques propres aux partis ont été très largement plagiées et systématisées. Mais plus encore, du fait du manque de l’inexpérience des militants et de la fragilité de comités locaux, le poids des « barons » a été encore plus décisif que dans les partis traditionnels.
Perdre avec le PS et gagner avec En Marche
En effet, dans les partis politiques, les sections locales et les courants assurent collectivement la régulation des rapports de force et assument le rôle de contrepouvoirs internes. Rien de tel dans les comités En Marche, dont le fonctionnement atomisé et la diversité des membres (et de leurs trajectoires et de leurs aspirations) empêchaient la véritable constitution de forces collectives locales. Les comités n’étaient que des courroies de transmission.
Au mieux, certains membres (souvent des élus locaux) ont pu peser plus fortement au sein de ces comités en ayant fait venir avec eux des soutiens (souvent des militants de leurs partis).
Toutes les conditions étaient réunies pour verrouiller la « société civile ». Déjà certains volontaires du Mouvement s’étonnent que certaines décisions furent prises en coulisses plutôt que dans le respect des modalités prévues par les statuts. D’autres regrettent que les personnalités sélectionnées ne reflètent pas tout à fait l’ambition de renouvellement ni même du dépassement du clivage gauche-droite.
En la matière, Lyon fait figure de modèle avec trois candidats issus du Parti socialiste sur les quatre investitures (et un autre appartenant à la branche collombiste du Modem lyonnais). Quatre candidats dont on pressentait qu’ils se présenteraient bien avant qu’il fut question de candidature En Marche. Les trois premiers avaient même déjà obtenu l’investiture socialiste en décembre dernier.
Ce qu’il y a de remarquable est que ces trois candidats auraient eu toutes les peines du monde à remporter leur circonscription sous l’étiquette socialiste. Tandis que le quatrième, non soutenu par un parti politique, aurait eu besoin de tout le soutien de Gérard Collomb pour espérer ne serait-ce qu’exister lors de la campagne.
Or, le succès d’Emmanuel Macron et l’obtention de l’étiquette En Marche change radicalement la donne.
Ils font aujourd’hui tous les quatre figures de favori. Cela est révélateur de la capacité du système partisan à se régénérer en s’appropriant les démarches critiques. Dans la 14ème circonscription, En Marche ne s’embarrasse pas de l’ambigüité que pourrait causer l’investiture d’Yves Blein qui était le référent de la primaire pour la fédération socialiste en décembre, dont le vainqueur n’avait atteint que 6 points à la présidentielle, mettant en péril l’avenir des députés de son parti.
Le flou idéologique d’En Marche savamment entretenu
C’est une logique que l’on observe avec la rhétorique participative : les partis soucieux de changer leur image s’efforcent de s’ouvrir, mettent en place des démarches horizontales, systématisent les primaires ; les élus s’engagent dans la voie de la concertation. Et ce faisant, ils se renforcent et retardent l’essoufflement du modèle représentatif.
De la même manière, le mouvement En Marche s’est alimenté de la critique « antisystème ».
Le champ politique génère ses propres mécanismes de défense et parvient à intégrer en son sein les éléments subversifs susceptibles de le fragiliser. C’est ainsi que de nombreux mouvements contestataires se conforment en s’institutionnalisant ou restent exclus de la compétition politique (on peut évoquer par exemple l’impossible éclosion du Parti pirate en France).
Avec En Marche, la fonction du parti est alors exclusivement « compétitive ». Le parti doit permettre de remporter l’élection et pour ce faire d’assurer dans les meilleures conditions la conquête de suffrages la plus large possible. En cela, le flou idéologique d’En Marche répond à une stratégie électorale qui ne doit rien au hasard. Dans chaque circonscription se façonnent alors des castings pour lesquels les critères d’orientation idéologiques comptent moins que la capacité à faire des voix.
On trouve alors deux cas typiques : dans les circonscriptions gagnables : le maintien des élites. Dans les circonscriptions difficiles : l’image du renouvellement (des femmes, des jeunes, des membres de la « société civile »).
Bien sûr le parti présente quelques non élus dans des circonscriptions gagnables. Mais dans ce cas, ce sont des individus bien identifiés, fortement dotés en ressources médiatiques (Cédric Villani titulaire de la médaille Fields, le juge Eric Halphen), ou très fortement ancré dans le champ politique (Gaspard Gantzer, énarque, chef du pôle communication de l’Elysée sous François Hollande, qui a finalement renoncé).
Innovation communicationnelle
À Villeurbanne, on notera comme un symbole l’investiture de Bruno Bonnel, qui avait repris le rôle de Donald Trump dans l’adaptation française de l’émission The Apprentice -dans laquelle des candidats s’affrontent autour de défis censés supposés représenté « le monde des affaires » pour convaincre un chef d’entreprise de les embaucher.
L’importation de techniques de management (casting des candidats à la manière d’un entretien d’embauche et coaching) et d’optimisation des outils de propagande (big data et profiling des électeurs devenus des prospects pour adapter les argumentaires) accentue d’autant plus ce processus de dépolitisation.
L’innovation n’est pas fonctionnelle mais communicationnelle. Ce n’est pas la régénération de la démocratie à laquelle on assiste évidemment, mais à la régénération du champ politique. Les acteurs traditionnels retrouvent des forces en se travestissant.
En Marche est l’exemple d’une illusion subversive générée par le système lui-même. Un candidat du sérail (on ne revient pas sur le profil du candidat), entouré de leaders locaux s’approprie un discours critique à l’égard des élites.
Aux élus de toujours, confirmés dans leurs investitures sous de nouvelles couleurs, se rajoutent des professionnels de la communication, des chefs d’entreprise et des hauts fonctionnaires. C’est l’alliance des élites politico-administratives et économiques qui est En marche.
À l’instar d’une sclérose, l’apparition d’En Marche constitue le durcissement pathologique de la démocratie représentative, une rigidification du champ politique face aux critiques dont il est la cible.
On peut estimer qu’il s’agit ici d’un impondérable de l’élection présidentielle. Pour remporter la compétition, il a fallu en accepter les règles et donc reproduire les pratiques établies mais que l’ambition de renouvellement des pratiques se concrétise au cours du mandat… À suivre ?
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