La Fondation Abbé Pierre présente ce jeudi le zoom régional de son 22ème rapport sur le mal logement.
Devant la multiplication des alertes locales reçues à l’agence d’Auvergne-Rhône-Alpes, la directrice régionale, Véronique Gilet, prend la plume pour interpeller autour de la dégradation des situations des personnes les plus fragiles. Elle le fait à travers le prisme de l’hébergement et de la réponse aux situations de détresse à l’échelle des territoires.
Les constats : 40 000 ménages demandeurs d’hébergement en région Auvergne Rhône-Alpes
L’agence a mené en 2016 une série d’explorations sur ce sujet. Notamment :
- une étude des parcours de demandeurs d’hébergement confié à l’Observatoire du non-recours aux droits et services (l’Odenore ).
- une enquête-flash sur les publics sans hébergement auprès des accueils des personnes et accueils de jour en région
- un recueil de parcours de ménages mal logés réunis en comité à l’agence régionale.
Cela nous permet de formuler trois constats.
1. La force des angles morts
Nous connaissons mal les volumes concernés, mais également des parcours de demandeurs d’un toit en urgence et de ce qui fait obstacle dans l’accès à l’habitat.
En matière d’urgence sociale comme en matière d’habitat, nous faisons face à des publics diversifiés (jeune, salarié, demandeur de logement social, migrant), qui sollicitent l’hébergement ou l’hébergement d’urgence en raison d’une nécessité ponctuelle liée à un évènement ou du fait d’urgences plus chroniques.
La pression est telle que l’on ne sait plus pour qui l’on cherche une place : pour la personne qui arrive à Lyon suite à une mobilité professionnelle ? pour le demandeur de logement social en attente depuis deux ans ? pour le réfugié de dernière minute ? etc.
2. Des dispositifs trop complexes
En matière d’hébergement et d’hébergement d’urgence, nous nous trouvons en présence de personnes avec des questions simples (où dormir, manger, se doucher, permettre à ses enfants d’être en sécurité, comment démarrer un projet) qui font face à des abstractions, incarnées par dispositifs-forteresses qui répondent par filières, silo, éligibilité et priorités d’accès.
Les personnes se trouvent prises dans un système d’hébergement qui recouvre in fine une pluralité de dispositifs, sur lequel elles n’arrivent pas à avoir de prise, sur lequel ils ne parviennent pas à se raccorder.
Dans le système actuel, seuls les ménages connus, signalés peuvent être « priorisés » et espérer accéder à un hébergement. En bout de chaîne, les personnes qui ne demandent plus rien ou ne sont pas connus d’un travailleur social, d’une association ou d’une/e élu/e, risquent de devenir totalement invisibles des dispositifs publics.
3. Des ménages qui s’enlisent dans la rue
Face à des attentes comptables pour les personnes, en mois voire années pour certaines (2 à 3 ans sur l’urgence dans le Rhône quand l’on n’est pas « priorisé » par le SIAO), nous nous trouvons face à deux effets non vertueux :
- Des ménages qui tombent à la rue, qui s’enlisent dehors faute de pouvoir démarrer tout de suite un projet pour repartir et qui risquent de dévisser. En observant une dizaine de parcours de ménages à la rue à Lyon sur l’agglomération lyonnaise, on a pu repérer que les parcours d’attente des personnes étaient tous marqués par une rupture initiale (séparation, problème de santé, déclassement, départ du pays d’origine etc) mais également par des ruptures institutionnelles (des prises en charge qui s’arrêtent en fin d’hiver sans que les personnes n’aient pu démarrer quelque chose d’autres).
- Des ménages qui pallient dans l’attente comme ils le peuvent et recourent à des refuges précaires en villes comme dans des territoires aux portes de grandes agglomérations ou en zones rurales (dans de l’habitat indigne, chez des marchands de sommeil, dans les bois dans les zones rurales mais aussi en porte d’agglomération comme le note le CCAS de Tarare).
Nous devons retrouver un service immédiat d’accueil et de logements dignes.
Nous ne parvenons plus à penser la situation des personnes
En matière d’urgence sociale, nous nous trouvons devant un sujet devenu « trop gros » autant du point de vue du volume de réponses d’hébergement mises en œuvre, que du volume des situations de personnes contraintes de les solliciter, à un moment donné de leur vie.
La déconnexion croissante entre besoins des personnes et leur prise en compte immédiate conduit à laisser des situations dans des zones d’attente de plus en plus longues, comptables en mois voire en années. Les effets sont terribles. Les situations d’attente, de rue ou de dénuement que rencontrent les personnes sont extrêmes. Les espaces de réponses constitués par les dispositifs se trouvent débordés. La pénurie de solutions « déborde » également sur l’espace public, avec des phénomènes d’hostilités autant que de solidarités manifestés par la société civile, vis-à-vis de l’accueil de populations vulnérables.
La répétition des plans froid démontre que nous savons agir et mettre en oeuvre des solutions et le plus souvent rapidement, même si ces solutions ne s’avèrent pas toujours durables. En revanche, nous ne parvenons plus à penser la situation des personnes, entendre les parcours et ajuster les réponses.
Pour garantir une cohésion, nous allons avoir besoin de ré-ouvrir des perspectives pour les personnes les plus fragilisées par le système tel qu’il fonctionne actuellement.
Pour éviter le repli, nous sommes également invités à trouver ensemble une manière de retrouver de l’air, une respiration collective sur ces sujets, afin que les mouvements que rencontrent les personnes privés de toits (faits de rupture familiale, professionnelle, géographique, de logement), parviennent à atteindre, retrouver une destination.
Les propositions de la Fondation Abbé Pierre
A la Fondation Abbé Pierre, nous pensons qu’il faut, en premier lieu, développer le logement d’abord à partir de la mobilisation du parc privé et en remobilisant du conventionnement de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah).
Ensuite, il s’agit d’appuyer les initiatives citoyennes qui viennent en aide aux personnes à la rue. C’est un enjeu important pour l’action publique de venir reconnaître ces mobilisations-là parce que l’action sociale n’appartient pas qu’aux travailleurs sociaux et qu’à un moment donné c’est avec toutes les forces qu’il faudra composer pour en sortir. Un coup d’envoi national a été donné via l’appel à projet de la DHUP sur l’appui aux bénévoles dans l’accueil des migrants mais il s’agit d’aller plus loin et de porter les choses localement.
Il faut également avancer sur l’observation des besoins qui reposeraient sur l’expression de tous, à partir des parcours de départ des personnes dehors ou manifestant un besoin en urgence, de les qualifier à partir de l’identification de ce qui coince (est-ce la situation familiale ? la situation habitat ? la santé ? etc).
Nous avons besoin de repartir des parcours des personnes et construire à partir de là et sortir de la logique « il nous faut du budget supplémentaire pour obtenir des places supplémentaires ».
Dans ce processus, la Fondation a toute sa place. Sa fonction est d’alerter mais également de participer à la recherche collective de solutions et d’éclairer, à partir de l’expérience des acteurs, les périmètres et contraintes dans lesquels se situent les ménages oubliés, ceux qui font les frais de la pénurie ou du coût des logements, des dispositifs saturés et également du repli politique.
La FAP n’attend pas un nouveau diagnostic des difficultés, pas une nouvelle loi mais de fixer le cap avec un plan à cinq ans qui repose bien entendu sur la base d’un budget logement qui doit être maintenu et rationnalisé en actionnant les bons leviers, mais également sur la base d’objectifs qui tiennent compte des outils de l’action sociale à actualiser, de la recomposition du pouvoir de régulation sur les territoires et de la capacité budgétaire des ménages modestes et défavorisés.
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