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Après la liquidation de la fédération des MJC, « ne pas devenir les boutiquiers du loisir »

Depuis novembre dernier, les MJC de Rhône-Alpes n’ont plus de fédération. Elle a été liquidée, laissant derrière elle une centaine de salariés et des associations adhérentes.

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La MJC du Vieux Lyon. ©LB/Rue89Lyon

Pierre Dévrieux, animateur, était l’un de ses salariés pendant deux ans. Sur son blog, il rend compte de ce qu’il nomme la « défaite du fédéralisme ».
Nous publions des extraits de ce post (à lire ici dans sa version originale).

Alerter à ma façon

Le 8 novembre dernier, après une longue et terrible agonie, la justice a décidé d’arrêter les soins palliatifs et de débrancher les appareils qui la maintenait en vie. Elle s’est éteinte tranquillement dans la nuit, laissant derrière elle une belle histoire et quelques 200 associations plus ou moins endeuillées.

Ce qui vient de se passer n’est pas nouveau et va se reproduire de façon certaine, pour nous, pour d’autres, alors je voudrais alerter, à ma façon. Camarades et collègues des Centres Sociaux, de la FMJBF, du Réseau Contact-2103, du Scoutisme ou même de la MIETE, ceci risque de vous concerner, peut-être même plus vite que vous ne le pensez.


Quand la gauche de gouvernement nous avait à la bonne

Lors de l’Assemblée Générale Extraordinaire du 5 mars 2016, nos administrateur-ices et représentant-es ont largement voté pour un scénario du repli sur soi, mesquin et sans envergure. L’idée d’un ambitieux renouveau était donc abandonnée.

Nous avons donc choisi le morcellement, le nombrilisme local et la rétractation, en accord, finalement, avec cette société que nous prétendions transformer.

Cette situation est révélatrice d’un changement de position dans l’échelle sociale. Quand la gauche de gouvernement nous avait à la bonne et nous estimait, quand même la vieille droite gaulliste reconnaissait notre utilité dans la médiation, tout allait bien. Maintenant nous sommes trahis.

De la même manière que le PS a trahi les classes populaires, nous avons perdu sa protection. Celles et ceux d’entre nous qui rêvaient d’ascension sociale et d’embourgeoisement, qui se voyaient en patron-nes de PME en sont pour leurs frais.

À peine une génération de directeur-ices a-t-elle pu profiter de cette illusion pantouflarde : La belle maison bien lotie, la consommation et les loisirs, l’accès aux salon dorés, aux loges VIP, aux confidences des maîtres.

Et soudain, la chute. La fin du rêve.

Les plus expérimenté-es partent en retraite avec la prime au camping-car, et les autres réalisent la triste réalité qu’il leur faut désormais subir : terminée la cogestion des politiques locales, les édiles n’en veulent plus.


Deux choix se présentent à nous

Désormais il faudra choisir entre deux options.

1. Devenir boutiquiers du loisir

Devenir boutiquiers du loisir, gérer les MJC en bons pères de famille et faire fructifier le patrimoine au gré des modes et des lubies de la clientèle (badminton, zumba, manga, etc).

Je parle au futur mais cela est déjà très répandu au sein du réseau.

On me demande des exemples ? Les voici, tous pris dans la Métropole de Lyon.

Dans une Maison des (plus tout à fait) Jeunes et de la Culture de luxe, il n’y a pas d’action jeunesse car cela coûte trop cher et ne rapporte rien. Mais l’association n’a aucun scrupule à cumuler les kilos euros sur ses comptes, et les vieux grigous du conseil d’administration viennent vous expliquer à quel point ils sont fragiles.

Encore un exemple ? Cette MJC dont je tairai le nom, par pitié envers ce président qui m’expliqua qu’il était normal que le maire fasse sauter le poste de la directrice, puisque celle-ci n’était pas foutue de rentabiliser le secteur d’activité, et qu’encore une fois, une très surnuméraire énième fois, le secteur « jeunes » coûte trop cher.

2. Faire de l’éducation politique là où ça fait mal

Rester militants et faire de l’éducation politique là où ça fait mal. Désolé, je n’ai pas d’exemple. Ou plutôt si, plusieurs en réalité, de petits exemples sans envergure, discrets, sans bruit, des animateurs et des coordinatrices, des chargées d’accueil et des techniciens du spectacle, qui jour après jour font vivre, envers et contre leur conseil d’administration, les valeurs d’une éducation permanente, critique et citoyenne.

Permanente parce qu’illes s’acharnent, et qu’après toutes ces années, on reconnaît enfin la pertinence du métier, ce qui me permet au passage de rétablir une petite vérité : non, les salaires ne sont pas si bas qu’on ne le dit dans l’Animation, en tout cas pas pour les permanent-es au-delà de quelques années d’ancienneté – et après sept années reconnues, mes indemnités chômage sont encore plus élevées que le salaire d’une amie titulaire d’un doctorat et chargée de mission dans le secteur privé.

Critique parce que ce sont les véritables médiateur-trices du débat social au quotidien (« non madame, les refugié-es ne touchent pas d’allocations supérieures aux vôtres »).

Citoyenne parce qu’en organisant ces débats, en les rendant toujours plus riches et fructueux, illes en viennent ensuite à les porter dans l’espace public, ce qui constitue la base de toute action se revendiquant de la citoyenneté (porteurs de parole, wiki de quartiers, expositions communautaires, etc).

Pour la classe ouvrieuse des MJC, tout se passe en direct, au jour le jour.

Nul besoin de tartiner des pages et des pages de grands discours, c’est dans l’action qu’illes font vivre le mouvement. Dit autrement : lent et long travail pédagogique de conscientisation, tout cela n’étant pas limité à de pauvres mots sur un projet, mais concret, mis en oeuvre et porté, bien souvent par des salarié-es aux conditions plus qu’aléatoires.

Tant que nous jouons son jeu, dans un espace de liberté d’expression arrangeante, tant que nous ne sommes pas vraiment dans le camp des pauvres et que nous acceptons les subsides qu’il daigne nous octroyer, le pouvoir nous trouve amusant-es, de bonne compagnie, et même utiles, notamment pour canaliser les colères de la jeunesse révoltée.

Mais voici qu’il n’a plus besoin de nous. Nous ne l’intéressons plus car nous passons de mode. Nous nous figeons dans un monde où le changement permanent devient la norme. Nous sommes de plus en plus constitué-es, nous réclamons toujours plus d’institutions, de stabilité, de confort, à des financeurs qui sont, pour leur part, de plus en plus acquis à l’inconstance du dogme ultra libéral.

En un mot, nous demandons toujours plus à des gens qui voudraient nous donner toujours moins.

Projet associatif de la MJC de Vaugneray (Rhône). ©DR
Projet associatif de la MJC de Vaugneray (Rhône). ©DR

Assez de se cacher derrière les valeurs !

Il y a d’un côté les traditionalistes, les constant-es, les crédules oserais-je dire, qui pensent qu’à force de négociations mesurées, illes obtiendront gain de cause. Qui espèrent encore en la vieille norme qui les vit grandir il y a 20 ans ou 30 ans et se disent qu’après la crise… Après la crise ? Laquelle ? Illes sont convaincu-es que s’accrocher, tenir bon, rester fidèles à leurs principes, finira par payer, que le vent tournera et que ça repartira, tatata…

Puis il y a ceux et celles-là, ensuite, qui ont senti le vent tourner et qui ont déjà modifié leurs fonctionnements en conséquences. Illes s’adaptent, comme illes peuvent, avec plus ou moins de remords, et font du management éclairé leur projet de structure. Illes vont chercher l’argent là où il est, ne se posent pas trop de cas de conscience mais affichent tout de même quelques vagues commissions participatives et autres jardins partagés pour se démarquer de la concurrence purement commerciale.

Et il y a, enfin, tout à fait à la marge, quelques enragé-es qui refusent d’entrer dans la danse. Illes s’acharnent dans la lutte, s’opposent, résistent, et ce faisant s’épuisent, s’isolent et se découragent à mesure que leurs forces vives se délitent…

On vous apprécie de loin dans le milieu, on vous trouvent inestimables, car vous contribuez à la légende, mais on ne vous soutiendra pour rien au monde car il y aurait trop de risque à s’attirer les foudres d’un potentat local ou d’un arbitre ministériel.

La solidarité a ses limites. En attendant de vous voir abattu-es en plein vol, comme les oiseaux de passage que vous êtes, on compte ses sub’ en affichant au public de grands paravents de belles valeurs bien saines.

Assez de se cacher derrière les valeurs. Plutôt que des valeurs, si nous avions des idées ? En d’autres termes , nous devons cesser de se payer de mots là où seuls les actes parlent.


Nous sommes devenus de pauvres marionnettes

Signe des temps : je me souviens, ado, quand la MJC de Saint-Chamond ouvrait ses portes aux travailleur-euses en lutte venu-es préparer une manifestation, prêtait ses salles aux lycéen-nes en grève ayant besoin de se réunir avant une rencontre avec le Délégué Régional, aux immigré-es souhaitant accéder à l’alphabétisation…

Vingt ans plus tard, j’assistais consterné à l’Assemblée Générale de la MJC de Petitbourg-sur-Morneplaine, lors de laquelle la présidente expliquait très sérieusement qu’il ne pouvait pas y avoir d’action culturelle portée par l’association car cela n’était pas son rôle, que d’autres associations étaient déjà subventionnées pour ça et qu’il valait mieux se concentrer sur les activités rentables (céramique, gym douce et reliure).

J’imaginais André Philip, mortifié dans sa tombe, s’arrachant les phalanges distales. Pour ceux qui ne le connaisse pas le grand-père de Thierry Philip (le maire du 3ème arrondissement) était ministre à la Libération. Il fut celui qui initia la République des Jeunes en 1944, grande union des mouvements de jeunesse qui devait devenir la Fédération des MJC.

Voilà donc ce que nous sommes devenu-es ? De pauvres marionnettes sans libre arbitre dont la seule ambition serait de jouer le jeu du pouvoir ? Depuis des lustres nous sommes devenu-es les relais utiles du capitalisme : aucune réforme sociale, aussi douteuse qu’elle soit, que nous n’ayons suivi sans broncher.

La dernière fois qu’on a vu les MJC dans la rue, je veux dire, ensemble, groupées, visibles et revendicatrices, c’était pour la bataille des retraites, en 2010. Et avant, et depuis ? Que dalle, néant, le Grand Wallou. Les MJC ne manifestent pas, ne protestent jamais, elles ne sont, paraît-il, pas là pour ça.

Quand un syndicat demande une salle, on lui explique que la MJC ne fait pas de politique. Quand un groupe de jeunes demande une salle, on lui rétorque qu’il n’y en a pas de disponible. Quand une association demande une salle, on lui présente la facture…

Et quand on se retrouve entre MJC, on a plein de belles salles toutes équipées, et on se demande pourquoi la population ne veut plus les utiliser.


Marre des grand-messes

J’en ai vu de ces grand-messes, où la noblesse et le clergé des MJC se réunissaient, deux à trois fois l’an, pour se regarder le nombril tout en cherchant dans ses propres miasmes les raisons d’un tel désengouement. Il y avait dans ces rassemblements quelques parfums de lucidité, noyés sous les mantras d’une bien-pensance incapable de comprendre le désaveux populaire.

On y organisait de belles tables rondes, avec forces intervenants charismatiques, qui débouchaient ensuite sur des débats, puis des ateliers, des words-cafés, des forum ouverts… le tout condensé sous formes de minutes joliment tournées, résumés synthétiques, petits journaux humoristiques, clips vidéos, etc.

Tout ça pour redire encore et encore les mêmes âneries. Des discours parodiques, des chartes hypocrites…

Souvenez-vous, n’oubliez jamais la Convention de Strasbourg, quand 2000 jeunes de France et d’Europe se sont rassemblé-es dans le Parlement Européen. C’était fort, c’était beau, et de cette immense énergie vitale, on a fait une mauvaise blague.

À ces jeunes on a demandé de voter, sans leur expliquer, des propositions vagues et insipides. « Faisons humanité ensemble », d’accord ou pas d’accord ?

Attends, je réfléchis – Non, pas le temps, vote !

Proposition suivante: « Nous nous rapprochons de l’Éducation nationale »

– Euh, non, pas d’accord ont dit les jeunes !

– Pas grave, on s’en fout, on a déjà signé un accord pour vous permettre de vous enrôler gratuitement, d’ailleurs, voici un discours de la ministre, enregistré la semaine dernière, qui vous félicite pour la réussite de ces trois jours de construction collective.

Et puis il y a eut l’Appel de Strasbourg, et puis. Rien. De qui se moque-t-on ?

Convention de Strasbourg au Parlement européen. ©DR
Convention de Strasbourg au Parlement européen. ©DR

Malgré tout, défendre les MJC

Tout cela est bien triste, et le pire, c’est qu’il va falloir malgré tout défendre les MJC, ou tout ce qui s’en approche, pour la simple et bonne raison que ce qui nous attend derrière est bien pire. Il va falloir se battre pour sauver ces lieux d’échanges, qui font malgré tout ce qu’ils peuvent pour tenter d’exister un peu, et qui vont peut-être disparaître du fait de leur propre inertie.

Il va falloir se battre et inventer les nouveaux modèles, les nouvelles structures, celles qui feront rêver à nouveau. Sommes-nous encore capables d’inventer la formule qui réconciliera Nuit Debout, la CGT, Scicabulles et TEDx ?

Je pense que oui, que nous avons ces ressources, qu’elles existent même déjà un peu, d’une certaine manière, quand on observe le bouillonnement interculturel, le délicieux bruit des utopies qui partouzent, dans des maisons qui tiennent encore leur rôle et qui inventent demain.

Tant que nous tiendrons, il y aura de l’espoir pour tous les corps militants (syndicats, ONG, lanceurs d’alertes, scientifiques, activistes, etc), car nous sommes le liant qui les fédère. Sans nous, chacune des forces progressiste serait bien en peine pour s’unir aux autres. En tout cas, c’est comme cela que je vois notre rôle, et c’est en cela que les associations d’éducation populaire méritent un avenir.

D’ailleurs, lorsque nous avons tenter de sauver la Fédé (qu’elle repose en paix), je m’étais pris à l’exercice et avait rédigé, tout seul dans mon coin, quelques propositions.

Alors, hier une fédération s’est éteinte. Cette défaite du fédéralisme pourrait servir de leçon à tous les réseaux partenaires, aux mouvements de jeunesse qui se cherchent un horizon, aux collectifs en mal de reconnaissance, aux assos culturelles sans le sous.

Nous devrions en tirer les enseignements pour résister ailleurs, sur d’autres fronts qui ne manqueront pas d’advenir.

La MJC du Vieux Lyon. ©LB/Rue89Lyon
Photo d’illustration : la MJC du Vieux Lyon. ©LB/Rue89Lyon

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