Ce n’est pas précisément ce qu’on peut appeler une surprise.
On se doutait bien que le très droitier député de la Haute-Loire, soutien affirmé et inconditionnel de La Manif Pour Tous, n’aurait rien de plus pressé que supprimer les subventions que la région versait jusqu’alors aux associations LGBT.
En dépit de leur aspect culturel (et non uniquement militant), celles qui organisent des festivals de cinéma LGBT ont été touchées dès cette année.
Une riposte commune en vue ?
Le festival stéphanois Face à Face a ainsi appris à la rentrée de septembre qu’il perdait la subvention annuelle de 5 000 euros que la région lui versait depuis sa création.
Sa douzième édition a néanmoins pu avoir lieu sans bouleversement majeur le mois dernier, car la subvention avait été reconduite fin 2015 par la majorité sortante.
Mais l’édition 2017 risque d’être plus compliquée à boucler, en dépit des aides de la Ville de Saint-Étienne (3 000 euros) du département de la Loire (500 euros) et du député socialiste de la deuxième circonscription de la Loire, le «réformateur» Jean-Louis Gagnaire (700 euros pris sur sa réserve parlementaire).
Dominique Thévenot, nouveau président du festival, pour qui l’édition 2016 était la première, pense déjà à l’année prochaine :
« Si on n’arrive pas à compenser ces 5 000 euros, il est possible qu’on soit obligés en 2017 de réduire le festival d’une journée.
Mais pour qu’il garde toute son ampleur, on va essayer de développer les partenariats avec d’autres institutions culturelles de Saint-Étienne, comme la Comédie, et de demander l’aide d’autres collectivités locales, comme Saint-Étienne Métropole. On n’exclut pas non plus une riposte commune avec les autres festivals de cinéma LGBT de la région.»
Des rendez-vous mensuels plutôt qu’un festival annuel
Car à Grenoble, Vues d’en face aussi s’attend à voir sauter sa traditionnelle subvention de la région, d’un montant de 3 000€. Les équipes organisatrices du festival attendent une réponse en mai 2017, sans grand espoir.
L’an dernier, le département de l’Isère avait lui aussi diminué son aide au festival et la Ville de Grenoble cherche à en faire de même, tout en compensant cette baisse par des avantages en nature (mise à disposition de lieux, etc.).
« On va certainement devoir réduire la voilure», pronostique Lauriane Leroy, la trésorière de l’association organisatrice.
Depuis octobre, l’équipe du festival organise chaque quatrième mardi du mois au cinéma Le Club une «séance d’en face», un rendez-vous mensuel qui lui permet d’occuper le terrain (prochaine projection mardi 20 décembre).
Mais l’édition 2017 de Vues d’en face, en avril, sera forcément plus courte que les précédentes et ne comprendra qu’un seul week-end (contre deux actuellement) détaille Lauriane Leroy :
« Le festival se déroulera probablement du vendredi au mardi ou au mercredi suivants et il n’y aura plus de soirée officielle toute la nuit. Et on cherche toujours d’autres financements. On a par exemple lancé sur notre site une campagne de dons via la plateforme HelloAsso. »
Des coûts importants
Car l’organisation des festivals de cinéma LGBT (ou non-LGBT, d’ailleurs) coûte cher. Sur son site, Vues d’en face rappelle ainsi que :
« 20 euros correspond au coût de deux minutes de traduction et de sous-titrage d’un court-métrage, 50 euros au coût des droits de diffusion d’un court-métrage, 100 euros au coût de 300 programmes papier du festival. »
Moins d’argent, cela signifie aussi moins d’invités (réalisateurs et réalisatrices, notamment). Ivan Mitifiot, directeur du festival Écrans Mixtes à Lyon, en sait quelque chose :
« Sur notre budget de 12 000€, 900 sont consacrés au transport des films, 2 000 aux frais de TGV. À quoi il faut ajouter 1 000 euros d’hôtels et 1 000 euros en restaurants pour les invité-e-s. »
Le 24 novembre, il a été informé par courrier qu’Écrans Mixtes perdrait à son tour sa subvention de 3 000 euros, « en raison des critères d’éligibilité et du nombre de demandes proposées ».
Pas question de baisser les bras
«La région soutenait Écrans Mixtes depuis le début (en 2011, NdlR), le festival répond donc parfaitement aux critères d’éligibilité», soupire son directeur. Malgré ces coupes franches, la septième édition d’Écrans Mixtes aura bien lieu du 8 au 14 mars 2017. Ivan Mitifiot confirme:
« On est des cinéphiles mais aussi des militants et rien ne nous empêchera de faire ce qu’on a à faire. On a une réputation, un public, des soutiens et des partenaires et on va continuer. »
Le directeur du festival Écrans Mixtes à Lyon poursuit :
« Le festival ne sera pas réduit, durera toujours une semaine comme les années précédentes et il comprendra peut-être même plus de séances, réparties dans seize lieux de la Métropole de Lyon. Ce n’est pas à la Région, mais au public de décider de la mort ou de la vie d’Écrans Mixtes et des festivals de cinéma LGBT.
Le nôtre ne cesse d’augmenter d’année en année et le festival n’est donc pas près de s’arrêter. Nous le ferons à l’avenir avec moins d’argent mais avec encore plus de volonté et avec le soutien de nos partenaires historiques, institutionnels et privés, notamment de la Ville de Lyon qui est à nos côtés depuis le début. »
Ivan Mitifiot le garantit :
« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Laurent Wauquiez tente de nous invisibiliser mais nous allons être plus visibles que jamais ! C’est une mauvaise stratégie pour celles et ceux qui souhaitent nous voir disparaître. Nous sommes encore plus motivé-e-s pour faire un festival qui aura encore plus de gueule !
Nous sommes bien sûr totalement solidaires des autres festivals qui se sont vus sucrer également leurs subventions de la région. Cela nous encouragera à être encore plus soudé-e-s les un-e-s les autres. En 2017, nous donnerons ainsi carte blanche à Face à Face pour un programme de court-métrages. Et ce n’est que le début ! »
Trouver des solutions
Malgré ces propos bravaches, le directeur d’Écrans Mixtes sait qu’il lui faudra consentir des sacrifices (réduire le nombre d’invité-e-s et la communication en diminuant le tirage et le grammage du catalogue du festival et en coupant drastiquement dans le nombre d’encarts publicitaires dans la presse) et aussi trouver d’autres partenaires, privés mais aussi publics – une demande de subvention a ainsi été déposée auprès de la Métropole de Lyon.
Faire un festival de cinéma LGBT sans un centime d’argent public, c’est pourtant possible, comme le montre l’exemple de Transposition. La première édition de ce nouveau rendez-vous a eu lieu en mai dernier dans trois cinémas de la région annécienne (la MJC Novel d’Annecy, l’Auditorium de Seynod et la Turbine à Cran-Gevrier).
La contrepartie ? Peu de nouveautés dans la programmation et peu d’invité-e-s, ce qui n’a pas empêché la réussite de ce festival qui a permis au public annécien de découvrir des films qui n’étaient, pour certains, pas sortis en Haute-Savoie. Les organisateurs (des organisatrices pour l’essentiel, en fait) savaient depuis le départ à quoi s’en tenir, avec une municipalité, une communauté d’agglomération, un département (et désormais une région) tous acquis à la droite…
La lutte contre les discriminations abandonnée
Les festivals de cinéma LGBT ne sont pas les seules victimes des coupes claires effectuées par la nouvelle majorité régionale dans le domaine de l’égalité entre les citoyen-ne-s.
Les interventions en milieu scolaire du délégué régional du Défenseur des droits, qui visaient à sensibiliser les élèves à la question des discriminations, ne sont ainsi plus financées par la région.
Quant à la délégation régionale à la lutte contre les discriminations, elle a été purement et simplement supprimée dès le début du nouveau mandat, tout comme la Quinzaine de l’égalité femmes-hommes (une manifestation annuelle organisée au mois d’octobre entre 2011 et 2015), suspectée de promouvoir la prétendue «théorie du genre».
Toutes les associations LGBT sont touchées par cette nouvelle politique, et pas uniquement celles qui organisent des festivals de cinéma LGBT.
Ainsi, si la Lesbian and Gay Pride (LGP) de Lyon a fini par toucher il y a quelques semaines, après une âpre bataille, la seconde partie d’une subvention de 4 000 euros votée en 2014 et que la région rechignait à lui verser depuis le changement de majorité, elle attend toujours une réponse pour sa demande de subvention 2016… sans nourrir trop d’espoir.
«On n’a plus de véritable interlocuteur», se désole Olivier Borel, porte-parole de la LGP :
« Sous Laurent Wauquiez, les vice-président-e-s ne pèsent pas grand-chose et n’ont que très peu de marges de manœuvre : toutes les demandes remontent directement auprès du cabinet du président, qui s’est démesurément agrandi. »
Mais ce n’est visiblement pas parce que son équipe s’est élargie que Laurent Wauquiez a désormais plus de temps pour se rendre au cinéma…
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