Nous republions notre enquête où sont analysés les raisons du malaise qui règne depuis cet été à la SEPR.
> Article initialement mis en ligne le 6 septembre 2016
Alors que le projet de loi travail a fait descendre les Français dans la rue, il a fallu attendre son examen au Sénat pour que la question de l’apprentissage soit abordée. Étonnant quand on sait que les pouvoirs publics ne cessent de vanter cette voie dans la lutte contre le chômage.
La SEPR, plus important CFA (centre de formation des apprentis) d’Auvergne-Rhône-Alpes, illustre bien les difficultés du secteur. En septembre, la rentrée a eu lieu dans une atmosphère morose.
Tandis que le nouvel exécutif régional a très officiellement réaffirmé « faire de l’apprentissage sa priorité », les tensions sont multiples dans l’établissement. La volonté « d’adapter l’offre » a abouti à faire tomber les accords d’entreprise le 31 juillet.
Avant cela, on a assisté à une drôle de coïncidence ce 11 janvier 2016. Tandis que Manuel Valls recevait les principaux leaders syndicaux et patronaux afin de parler notamment de « l’effort » pour l’apprentissage annoncé par François Hollande lors de ses voeux, quelque 150 salariés de la SEPR manifestaient devant le siège de la Région.
Avec plus de 2 600 apprentis, la Société d’enseignement professionnel du Rhône (mais qui utilise encore le nom intégral ?) est le premier CFA (centre de formation des apprentis) d’Auvergne-Rhône-Alpes voire de France. En comptant les élèves du lycée professionnel et ceux des autres formations, l’effectif dépasse les 3 300 apprenants. Mais il est en baisse. On frôlait les 4 000 élèves en 2007-2008. L’essentiel de ce fléchissement se situe chez les apprentis.
Et les premiers chiffres de la rentrée confirme cette désaffection de l’établissement.
Véronique Furlan mise plus que jamais sur l’amplitude de l’offre de la SEPR (une cinquantaine de métiers) et la diversité des publics accueillis :
« La guerre des effectifs entre CFA et lycées professionnels est ridicule. Il ne faut pas opposer les dispositifs ou les cloisonner mais les associer. C’est la raison pour laquelle nous parlons ici de campus professionnel. Il y a un lycée, de l’apprentissage, des contrats pro, des personnes à temps plein et des salariés en alternance ainsi que tous types de publics, des jeunes, des personnes plus âgées, des personnes handicapées… »
Et de lancer :
« Outre le travail de valorisation, nous devons poursuivre la diversification de notre offre malgré les problèmes rencontrés avec les dogmatiques de l’alternance ou ceux du temps plein. C’est difficile de s’opposer à tout changement et ensuite de se prétendre écarté lorsque des évolutions se produisent. Il n’y a pas différentes catégories au sein de l’établissement. Tout le monde est salarié de la SEPR ».
Les syndicats apprécieront.
Ce que « prof de CFA » signifie
Reste que malgré toutes les attentions dont l’apprentissage fait l’objet, au moins dans les discours, les profs du CFA sont inquiets pour leur avenir. Derrière la dénonciation, en décembre 2014, des accords d’entreprise qui les régissaient depuis 1990, l’intersyndicale CGT-CFDT-Unsa voit « la destruction du coeur de métier d’enseignant de CFA ».
Celui-ci possède la particularité de mêler visites en entreprise pour suivre l’apprenti et face-à-face pédagogique. Ils s’estiment donc à la fois enseignant et formateur. La remise en cause des temps de préparation de cours et l’obligation de présence dans l’établissement risque, selon eux, de les reléguer au « simple » rang de formateur.
Ce qui ne serait pas sans conséquence sur la qualité de l’enseignement dispensé à les entendre. Ainsi que sur l’emploi. Ils craignent de perdre une dizaine de postes tandis que le nombre de cadres ne cesse d’augmenter à la SEPR.
L’Unsa a par ailleurs quitté l’intersyndicale le 10 mars pour signer le volet protection sociale complémentaire de l’accord au grand dam des deux autres organisations qui estiment que cela ferme la porte à des recours individuels. CGT et CFDT, majoritaires, ont donc fait valoir leur droit d’opposition, empêchant la mise en oeuvre du texte.
Au conseil régional, l’entretien avec Stéphanie Pernod-Beaudon a été « courtois et politique ». La nouvelle vice-présidente en charge de l’apprentissage n’a pas manqué de rappeler qu’elle « n’a pas à intervenir dans le dialogue social des entreprises » pour ne pas être accusée de gestion de fait.
Elle se voulait d’ailleurs rassurante quelques temps plus tard :
« J’ai écouté les syndicats qui ont exprimé des inquiétudes. J’ai également eu un échange avec la direction. Les choses se décantent. Chacun va faire un effort pour que de nouveaux accords soient signés. Sinon, c’est le Code du travail qui s’applique et comme aujourd’hui les salariés travaillent beaucoup moins que ce que demande celui-ci, il faut que les syndicats signent ces accords. Le malaise va se résorber ».
Peine perdue. Rien n’a été signé à part… une prorogation des accords existants, jusqu’au 31 juillet 2016. Voilà qui a au moins évité à la direction d’en revenir au Code du Travail durant les examens de fin d’année scolaire. Reste que le 23 mars, la directrice générale, Véronique Furlan, a adressé un courrier à l’ensemble des salariés de la SEPR. Faute d’accord valable sur la protection sociale complémentaire, l’employeur va mettre en oeuvre des décisions unilatérales.
Quant au projet d’accord concernant les autres thèmes dénoncés (rémunération, temps de travail, etc.), obtenu après plus d’un an de négociations et soumis sans succès à signature, la direction le retire purement et simplement dans un contexte où les recours contentieux risquent de se multiplier. Elle a néanmoins d’ores et déjà averti qu’à compter du 1er août, les salariés redescendent à 35 jours ouvrés de congés payés annuels.
Après quelques bisbilles autour de ces congés juste avant les vacances, la rentrée s’est effectuée dans un climat pesant, la directrice refusant de répondre en réunion aux questions des enseignants qui voient leur temps de face-à-face pédagogique augmenter au détriment du temps de préparation.
« Diversifier les ressources » et « recadrer les enseignants »
La direction pourra-t-elle compter longtemps sur le soutien de la Région ? En 2015, Auvergne et Rhône-Alpes avaient au total consacré 603,8 millions d’euros à l’apprentissage. La nouvelle majorité a voté en avril un budget de 604 millions pour ce poste. Ce qui n’empêche pas Stéphanie Pernod-Beaudon de réfléchir à l’évolution des critères d’attribution des subventions:
« Nous avons mis en place une charte ou on essaye de rentrer dans le qualitatif. Cela passe par des recommandations ou des appels à projets. Sans impact sur la subvention toutefois. Le CFA qui fait de réels progrès envers l’accueil des jeunes n’a pas de plus-value. La politique actuelle c’est de subventionner un établissement qui en a besoin : celui qui recueille beaucoup de taxe d’apprentissage ou qui bénéficie d’un mécénat, on baisse la subvention. Moi j’entends changer ça. Car dans certains établissements très minoritaires, c’est la prime au mauvais gestionnaire.
La vice-présidente se voit déjà modifier tout un fonctionnement :
« Je pense qu’il faut qu’on essaie de favoriser le mérite. Un CFA bien pourvu en taxe d’apprentissage, ce n’est pas le hasard. Il est allé la chercher. On ne peut pas le pénaliser de la subvention régionale parce qu’il a fait un bon boulot. Il ne faut pas tomber dans cet effet pervers ».
Il s’agira de voir à l’usage comment se traduisent dans les faits ces déclarations pour une équipe arrivée il y a seulement neuf mois. À l’instar de Laurent Wauquiez, Stéphanie Pernod-Beaudon a déjà montré qu’elle n’avait rien contre le développement des coûteuses formations hors contrat. Ce qui est un discours auquel ne nous avait pas habitué l’ancienne majorité régionale.
Stéphanie Pernod-Beaudon était là le jour de la rentrée, même si elle s’est fait discrète vis-à-vis des salariés. La vice-présidente assure :
« La SEPR fait de vrais efforts. Ils ont un volet sur la mobilité internationale des apprentis qui nous intéresse. Permettre une ouverture culturelle, montrer d’autres métiers, permettre la montée en compétences des apprentis ça nous intéresse aussi. Il ne faut pas que par manque d’argent ils arrêtent ces différents projets ».
Malgré la baisse du nombre d’apprentis, la collectivité a d’ailleurs conservé une subvention étalée. La SEPR touche près de 12 millions d’euros de subventions de la Région et de l’Etat. En ajoutant les « subventions en personnel » de l’Education nationale (81 professeurs pour le lycée), l’ensemble représente 78% du budget. Selon la vice-présidente, ni l’emploi (il y a aujourd’hui 180 profs salariés de la SEPR), ni la qualité de l’enseignement ne sont en cause :
« Vous avez aujourd’hui des enseignants qui travaillent trois jours et demi par semaine et qui ont du temps de recherche chez eux mais qui en profitent aussi pour faire un autre métier à côté. À un moment donné, il va falloir faire un choix car ils sont payés sur un temps plein. Les accords ne vont pas diminuer le personnel mais les gens vont avoir à choisir entre un investissement plus important comme c’est le cas dans d’autres CFA ou un départ. Je pense qu’il faut que tous soient intelligents pour que les choses rentrent dans l’ordre ».
Sans mettre cet argument en avant, l’estimant sans doute marginal, Véronique Furlan, la directrice générale, l’assure :
« Derrière la renégociation des accords, c’est la question de la pérennité de la SEPR qui se pose. Ce sont des activités fragiles en termes de financement. Nous cherchons également à diversifier nos ressources. Mais ça aussi, certains n’en veulent pas ».
Un centre de formation reconnu d’utilité publique… ou pas
Face à l’univers mouvant de la formation et « à des activités fragiles en terme de financement », la directrice de la SEPR insiste sur la nécessité de remettre à plat le fonctionnement de l’établissement pour en assurer la pérennité et diversifier les ressources. Elle n’hésite pas à envisager un financement à parité entre public et privé là où les subventions représentent aujourd’hui près de 80% du budget.
Outre les formations privées, un fonds de dotation a été créé. Une politique de mécénat avec trois axes: l’accompagnement social des jeunes, les projets de mobilité internationale (entreprise, humanitaire) et les bourses d’études.
Avec tous ces changements, la vénérable SEPR ne risque-t-elle pas de perdre sa reconnaissance d’utilité publique, obtenue en 1878, comme le dénoncent les syndicats ? C’est une éventualité reconnaît Véronique Furlan, qui trouverait cela dommage, tout en notant que cette reconnaissance a aujourd’hui essentiellement une valeur symbolique. Le fonds de dotation ayant les mêmes avantages fiscaux.
En 2014, le Saia (Service académique d’inspection de l’apprentissage) réalise un audit au sein de la SEPR à la demande de la Région et du Rectorat. Il s’agit de se pencher sur la baisse des effectifs et des résultats. Une cinquantaine d’enseignants sont inspectés. Si leur bonne volonté est remarquée, des problèmes de formation et de (non) demandes d’autorisation d’enseigner auprès du rectorat sont relevés. Sans parler des soucis organisationnels pointés. Le directeur pédagogique en fera les frais. Les syndicats voient dans tout cela le résultat de l’externalisation de la formation, du recrutement d’auto-entrepreneurs, etc.
Véronique Furlan note que seules 2% des heures sont confiées à des personnes extérieures à la SEPR, un pourcentage stable. Sans nier les problèmes, Stéphanie Pernod-Beaudon note un côté positif dans l’audit :
« Il a permis de hiérarchiser les points sur lesquels il fallait très vite se pencher comme la professionnalisation des formateurs et l’organisation car c’est une très grosse maison. La SEPR a fait de gros efforts. Si rien n’est fait on peut très bien suspendre notre subvention voire, dans des cas extrêmes, dénoncer la convention ».
Des formations à 5 000 euros par an
L’institution multiplie en effet les formations, certaines étant totalement privées comme le BTS coiffure ouvert en septembre dernier à 5 000 euros par an. Ou un BTS design produit à 6 000 euros. On est loin des formations en CFA qui affichent des tarifs annuels compris entre 170 euros et 410 euros.
Derrière ces couteux diplômes hors contrat, les syndicats voient non seulement une utilisation du matériel financé par la subvention régionale pour l’apprentissage mais également une remise en cause du caractère social et de l’esprit saint-simonien de la SEPR.
Là encore, pas de quoi choquer Stéphanie Pernod-Beaudon, même si la Région a pour le moment refusé de valider cette ouverture :
« Sur le principe on a aucun a priori. Les CFA le font pour tester des ouvertures de formation. C’est complètement indépendant de la subvention régionale. L’établissement met à profit le matériel et ça forme des gens qui ne bénéficient pas de programme de formation. S’ils ont les moyens de se payer ça, qu’ils le fassent. Après il faut que ce soit équilibré mais là c’est le cas. »
Là où la vice-présidente et les syndicats peuvent se retrouver, c’est dans le regret que le terme « apprentissage » ait fini par totalement disparaitre de la communication pour les journées portes ouvertes de la SEPR que l’on trouve dans la presse ou dans les transports en commun. « Ils me rétorquent qu’ils n’ont pas besoin de faire de la publicité pour que ces formations soient complètes », assure l’élue.
Véronique Furlan assume ce choix :
« Nous devons mettre en avant la cinquantaine de métiers que nous proposons avant de penser au dispositif de formation. Il ne faut pas les opposer entre eux. On a trop l’habitude de fonctionner en tuyaux d’orgues étanches. Ce qui est important c’est la formation professionnelle, qu’elle passe par le lycée, l’apprentissage ou un contrat pro est secondaire. C’est pourquoi nous avons choisi l’intitulé de l’école des métiers ».
Quant aux origines saint-simoniennes de l’établissement, elle assure :
« Nous n’excluons personne. On ne trie pas les jeunes. Le saint-simonisme c’est la non exclusion plutôt que la vocation sociale. Les valeurs de la SEPR c’est donc aussi de dire à ces jeunes que l’on peut les emmener en licence pro et de savoir comment on y arrive, comment on organise un système de sas avec l’entreprise. Ce n’est pas parce qu’on ouvre des BTS qu’on se désintéresse des CAP ».
Qui fera évoluer les métiers (marionnettistes compris) ?
Ces préoccupations rejoignent celles de Michel Forissier. Le sénateur-maire Les Républicains de Meyzieu, titulaire d’un brevet d’enseignement industriel, portait une proposition de loi visant à « développer l’apprentissage comme voix de réussite ».
Il a été nommé co-rapporteur du projet de loi travail pour introduire ses propositions sous forme d’amendements dans le texte porté par Myriam El Khomri.
Il prône une « révolution législative » avec un cadrage national et un pilotage régional :
« L’apprentissage a baissé de 11% entre 2012 et 2014. On est en dessous des 300 000 apprentis alors que l’on peut progressivement tendre vers les 500 000. 9 milliards d’euros y sont consacrés, ce n’est donc pas un problème d’argent. Pour travailler sur l’insertion professionnelle, je propose un pacte national, inexistant aujourd’hui, engageant l’Etat, les régions, les CCI et les branches professionnelles. A chaque Région ensuite de le décliner puisqu’elle aura fait auparavant état de ses besoins ».
Pour Michel Forissier les choses sont claires :
« La Région doit piloter seule la carte des formations en informant le rectorat. Et non l’inverse. La collectivité proposera des noms pour les chefs d’établissement des lycées professionnels, c’est elle qui aura la responsabilité des CIO (centre d’information et d’orientation) et de la coordination de l’inspection de l’apprentissage. Ce sera une compétence pleinement exercée ».
Voilà qui satisferait Stéphanie Pernod-Beaudon, la vice-présidente de la Région en charge de l’apprentissage:
« Nous voulons adapter les formations au marché de l’emploi et aux métiers en tension. On ne peut plus se permettre en 2016 de former pour former. On a lancé une consultation des chambres consulaires, des entreprises et des branches pour savoir où il y a une forte demande et pas de candidats. Notre rôle est de mettre en face des formations et d’expliquer aux jeunes leur intérêt dans cette filière: trouver un boulot. A nous d’être responsables dans les enveloppes de formations que l’on ouvre. Doit-on persister dans les métiers de l’audiovisuel alors que le taux d’insertion est de 13% ? J’ai un vrai problème philosophique à ouvrir de telles formations sans débouchés même si c’est plus sexy que maçon ».
Voilà qui n’est pas sans rappeler les propos de campagne de Laurent Wauquiez qui voulait « fermer les formations fantaisistes comme celles des métiers du cirque et des marionnettistes », et « ouvrir des formations débouchant sur des vrais jobs ».
Dans l’esprit du sénateur-maire de Meyzieu, pas question pour autant de passer d’un système administré à un autre. Ceux qui veulent ouvrir un CFA qui ne rentre pas dans les priorités de la Région, comme une école d’entreprise, pourront le créer… exclusivement sur fonds privés. Michel Forissier insiste sur une nécessité:
« Les diplômes doivent être co-construits par l’Etat et les branches professionnelles afin de mieux tenir compte des avancées technologiques pour les former aux métiers de demain et non d’hier. La meilleure association du maître d’apprentissage au jury peut permettre d’attester de ce que l’élève sait faire et prendre en compte les acquis validés en entreprise. Un peu comme un contrôle continu. Je suis également pour que les enseignants, les chefs d’établissements et les inspecteurs acquièrent une expérience de l’entreprise par un stage. Ce sont eux qui le demandent. »
Outre l’obligation d’information de chaque élève sur les statistiques de réussite et d’insertion professionnelle de la filière qu’il convoite, l’élu Les Républicains voudrait voir les apprentis considérés comme des « étudiants des métiers » en bénéficiant des oeuvres universitaires (carte de réduction, logement…). Reste que le consensus qu’il appelait de ses voeux ne s’est pas produit lors de l’examen de la loi El Khomri, droite et gauche restant campés dans leurs rôles.
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