>> Une enquête en trois volets
Retrouvez : « C’est tout le système qui est à revoir »
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Dans un complexe industriel de La Tronche, petite ville de la banlieue grenobloise, en bord de route, seul le ballet incessant des camions attire l’attention. Leur précieux butin ? Des ordures ménagères.
Direction la grande usine de tôles blanches d’Athanor, le centre de tri des déchets ménagers de la métropole grenobloise. Trois traitements les attendent en fonction de leur composition :
- le recyclage, qui comprend le compostage pour la matière organique ;
- l’incinération, qui permet d’alimenter le chauffage urbain ;
- le stockage, appelé aussi enfouissement ou mise en décharge.
À l’entrée du site, une quinzaine de personnes attend la guide. Des curieux qui sont venus voir ce qu’il advient de nos ordures.
Les deux salariées chargées de la visite tentent de faire le point sur les bonnes pratiques. Mais très vite, cela se complique.
« Ça parle à tout le monde les poubelles grise et verte ? demande l’une d’elles. Dans certains endroits c’est le bleu. Ou le jaune. On peut avoir uniquement le couvercle jaune aussi. »
Pas de véritable uniformisation. Et les visiteurs présents, pourtant a priori intéressés par le sujet, ont parfois du mal à suivre.
« Vous triez sur le campus ? » demande la guide à un groupe d’étudiants qui planchent sur le développement durable.
« Non », affirme catégoriquement l’un d’eux.
« Mais bien sûr que si ! » le contredit un autre.
Cette confusion se retrouve dans les poubelles : un tiers d’erreur de tri, selon les estimations.
Le carton de pizza : recyclable ou pas ? Non, enfin ça dépend…
Les deux guides tentent d’expliquer ce qui se recycle ou non. Alors, le carton de pizza, poubelle verte ? Réponse automatique de la première :
« Non, les papiers gras ne peuvent pas être recyclés. »
La deuxième la contredit :
« Si, ici on peut le faire. Enfin, il ne faut pas que le carton se décompose dans les mains.»
Toutes les ordures, recyclables ou non, arrivent au centre de tri d’Athanor. Les poubelles de recyclage sont triées par catégorie : papier, métal, plastique… Les déchets sont séparés en fonction de leur taille et de leur composition pour ensuite passer dans la presse.
Des balles de chaque matière sont ainsi créées et revendues à des usines de recyclage. Un salarié du site rectifie les erreurs de tri.
Et là, premier constat : le recyclage d’un matériau ne dépend pas (uniquement) de la faisabilité technique. Il faut que ce soit rentable économiquement.
Pour preuve, la valorisation des plastiques mous (barquette de jambon, pot de yaourt…) existait il y a 20 ans, mais elle a été stoppée car le centre de tri ne trouvait pas de débouchés : la masse n’était pas suffisante pour que ce soit rentable, du point de vue d’un industriel.
Autre constat surprenant : l’objectif principal n’est pas de réduire la consommation d’énergie.
« Valoriser la matière est un choix politique. On ne regarde pas les bilans énergétiques même s’ils sont mauvais », indique Georges Oudjaoudi, vice-président de Grenoble-Alpes Métropole (la Métro) en charge de la gestion des déchets.
Le point faible du système actuel : le transport par camions. Certains déchets sont expédiés jusqu’en Espagne, même si la Métro essaie de les revendre le plus près possible.
« Le problème c’est que le transport ne coûte rien même si le bilan carbone s’en ressent. Mais, personnellement, pour la planète, je pense que c’est toujours mieux de valoriser la matière que de l’incinérer même si ça pollue plus, car les ressources ne sont pas infinies », précise Philippe Glasser, chef du service déchets à la Métro.
Quant aux ordures des poubelles non recyclables – les grises –, la majeure partie est incinérée.
Si la Métro se targue d’alimenter, grâce à ce procédé, « le tiers des besoins des 90 000 équivalents-logements connectés au réseau de chauffage urbain de l’agglomération grenobloise », les opposants ne sont pas ravis. Dominique Tatur, présidente de l’Union de quartier de La Petite Tronche, pointe du doigt le rejet de dioxines :
« Il y a des recombinaisons possibles, et surtout inconnues, dues à l’incinération de certains plastiques, dont on ne connaît pas la dangerosité. De plus, les villes à incinérateurs ont aussi tendance à moins trier. »
Madeleine Charrel, présidente de l’association Objectif zéro déchet (OZD), confirme :
« L’incinération c’est mieux que de ne rien faire mais c’est un piège. Comment continuer à alimenter la compagnie de chauffage et réduire en même temps les déchets à la source ? »
« Les Allemands sont scandalisés par notre compost »
Selon Philippe Glasser :
« On pourrait réduire la part de l’incinération à 30%. En dessous, ce serait difficile, cela nécessiterait une révolution de la société ».
Si la Métro n’en est pas là, le responsable des déchets confirme que le schéma directeur prévoit de redimensionner les structures. Pour Vincent Fristot, adjoint municipal grenoblois écologiste en charge de l’habitat, et conseiller métropolitain, c’est pourtant dans cette direction qu’il faut aller :
« Le poids de l’incinération n’est plus du tout adapté aux enjeux du XXIe siècle. La priorité est de recycler au maximum les matériaux. Il y a une très grande marge de progrès possible. Il faudrait diviser par deux, voire par quatre, la capacité d’incinération. »
Enfin, une petite partie des déchets des poubelles grises est transformée en… compost. La Métro a fait le choix de valoriser les 30% de matière organique qui se trouvent dans celles-ci.
Pour cela, direction le centre de compostage, dans la plaine de Murianette, à l’écart des habitations pour éviter les odeurs nauséabondes.
Sur place, les machines trient le contenu pour ne garder que la matière qui sera ensuite fermentée pendant plusieurs jours.
« Les Allemands sont scandalisés par notre compost fait à partir de poubelles grises mais on a la technique pour le faire ! » se défend Jacques Pufferra, assistant technique du site.
Redorer le blason d’un compost longtemps mauvais
Il admet que pendant longtemps, le compost était de mauvaise qualité mais depuis la mise en place de la norme NFU 44051, en 2012, qui définit sa qualité, les choses ont changé. Les salariés ont eux-mêmes modifié les machines pour les rendre plus efficaces. Un laboratoire indépendant analyse chaque tas de compost créé.
« Depuis 2014, nous sommes certifiés. Mais les paysans du coin pensent encore qu’il est mauvais donc notre objectif maintenant est de redorer notre blason », précise Jacques Pufferra.
Installée juste derrière le centre de compostage, Agathe Basset, maraîchère, explique avoir arrêté d’utiliser le compost de la Métro depuis environ trois ans.
« Il était trop pénible à labourer, nous n’avons pas le tracteur adapté pour. Et puis, il y avait aussi beaucoup de verre et de cotons-tiges dedans. »
Pourquoi ne pas collecter les biodéchets directement chez les habitants ? La Métro y songe. Des expérimentations ont été lancées pour évaluer la faisabilité. Le problème : le centre de compostage n’est pas adapté pour recevoir ce type de déchets trop « purs ».
« Ils seraient trop denses et passeraient à travers nos machines », explique Jacques Pufferra.
Il faudrait donc entièrement repenser le centre de compostage, voire le reconstruire ailleurs. Avant d’investir, la Métro préfère la prudence et expérimente plusieurs projets pour évaluer la rentabilité économique.
Aude David et Gaëlle Ydalini
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