« Financement par les collectivités contraire à la laïcité », « ingérence des pays étrangers dans l’islam de France » ou encore « islamisation de la France » : de la gauche à l’extrême droite, ce projet de centre culturel jouxtant la grande mosquée de Lyon a fait le plein de critiques. Fondées ? Rue89Lyon fait le point sur ce dossier, alors que le chantier a déjà démarré.
> nous republions notre article du 12 septembre dernier
1. Un lien assumé entre la mosquée et l’IFCM
L’histoire remonte au début des années 1980, quand le président de la République de l’époque, Valérie Giscard d’Estaing, alors en campagne pour sa réélection, annonce « un centre culturel pour les Français de confession islamique ». C’était le 24 avril 1981.
Les socialistes au pouvoir reprennent cette idée par la voix de Pierre Bérégovoy, secrétaire général de l’Elysée, qui envisage un centre culturel et une mosquée au même endroit.
Et en 1984, lorsque la Ville de Lyon signe un bail emphytéotique de 99 ans pour le 146 du boulevard Pinel (8ème arrondissement), on envisage toujours ces deux institutions côte à côte.
« La présence de ces deux institutions, avec une entrée commune, ne gênaient personne », se souvient Kamel Kabtane, le recteur de la Grande Mosquée de Lyon qui portait déjà à l’époque le dossier.
Mais à la fin des années 1980, les oppositions vont crescendo, essentiellement contre la mosquée et son minaret. Si bien qu’en 1992, la première pierre de la mosquée est posée par les musulmans lyonnais en l’absence des officiels.
« L’idée étaient de construire rapidement d’abord la mosquée. On verrait ensuite pour le centre culturel », poursuit Kamel Kabtane qui assume ce lien étroit entre la mosquée et le centre culturel, dont il est également le président :
« Les plus grandes mosquées ont toujours eu de grands centres universitaires. C’est la philosophie de ce lieu. Mais dans un pays laïc, il faut séparer l’enseignement religieux de la partie profane. On a fait cette part des choses ».
Et il y a encore quelques semaines, la SCI Concorde et Lumière qui détient la mosquée et dont Kamel Kabtane est le gérant, portait la construction de l’IFCM. Depuis, c’est l’IFCM directement qui est détenteur du permis de construire.
2. Hormis la formation des imams, le projet reste à finaliser
L’association « IFCM » a été créée en 1984 mais l’institut n’existe véritablement que depuis 2012, avec la formation « hors les murs » des imams. Cet enseignement universitaire, sous l’autorité de l’université Lyon 3 et de l’Université Catholique, permet la délivrance d’un certificat « Connaissance de la laïcité » et s’accompagne parfois de cours intensifs de français.
Au-delà de la formation des imams, l’IFCM se veut le pendant musulman de l’Espace Hillel pour la culture juive ou de l’Espace culturel du Christianisme (ECCLY).
Deux structures lyonnaises, également adossées à des institutions religieuses.
Dans la délibération sur la subvention, votée par les élus de la Métropole de Lyon le 11 juillet 2016, on en apprenait un peu plus sur les objectifs de ce centre culturel :
– développer les connaissances autour des arts et de la culture de l’islam ;
– contribuer au dialogue et à la médiation interculturels ;
– favoriser les échanges entre les différentes composantes de la société, à partir d’activités culturelles et artistiques et créer les conditions du « vivre-ensemble ».Sur une surface de 2 500 mètres carrés répartis sur 4 niveaux, il comprendra :
– une salle de conférence de 240 places,– un espace d’exposition de 200 mètres carrés,
– 10 salles de classe d’enseignement et 2 laboratoires de langues,
– une médiathèque, - 2 salles polyvalentes pour colloques et séminaires,
– un salon de thé-restaurant,
– une terrasse donnant sur les jardins.Dans ce cadre, l’Institut proposera au public différents services et activités :
– des ateliers d’apprentissage de l’arabe littéraire et dialectal ainsi que des formations destinées aux entreprises désireuses de former leurs salariés à des fins commerciales,
– une médiathèque thématique composée d’ouvrages sans caractère prosélyte,
– un programme annuel d’expositions temporaires,
– des colloques, débats et conférences sur les cultures de l’Islam,
– une programmation artistique et culturelle (musique, théâtre, cinéma)
Pour l’instant, il n’y a rien de plus précis sur l’orientation de la programmation culturelle. Et quand on questionne Kamel Kabtane sur les personnes qui pourraient porter ce projet, il répond qu’une liste est « en cours de constitution ».
Nous avons interrogé l’universitaire Chérif Ferjani, professeur émérite à Lyon, qui a participé à des conférences, « hors les murs », de l’IFCM :
« On ne peut pas vouloir un islam de France indépendant vis-à-vis des pays musulmans connus pour leur soutien aux expressions conservatrices radicales, voire violentes, et ne pas soutenir des initiatives et des projets dont l’objectif est de soustraire les musulmans à l’influence de ces expressions et de leurs soutiens. Les personnes que je connais et qui ont été approchées (Haouès Séniguer, Bakary Sambe) sont des universitaires qui partagent ces préoccupations ».
3. Un budget de 6,6 millions d’euros, revu à la baisse
Le projet de construction de l’IFCM a été relancé en octobre 2014, à l’occasion des 20 ans de la grande mosquée de Lyon. L’Etat, par la voix du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, s’est engagé à injecter un million d’euros.
C’est ce qui a décidé les collectivités locales à sortir le porte-monnaie. Il y a un an, toutes se disaient partantes : Ville de Lyon, Métropole, Département du Rhône et Région. Pour un budget de plus de 8 millions d’euros.
Le projet a finalement été ramené à 6,6 millions d’euros. Après le retrait de la Région et du Département, voici comment se décompose le financement (source : IFCM et Métropole de Lyon) :
- Etat : 1 million d’euros
- Métropole de Lyon : 1 million d’euros
- Ville de Lyon : 1 million d’euros
- Entreprises : 0,6 million d’euros
- Etats partenaires : 1 million d’euros
- Ressources propres de l’association : 2 millions d’euros
S’agissant des « Etats partenaires », l’IFCM compte sur l’Arabie Saoudite et l’Algérie pour un million d’euros chacun. L’argent restant servirait à acheter « du mobilier et du matériel », selon Kamel Kabtane.
L’essentiel des 2 millions d’euros de fonds propres proviennent de la redevance hallal. Il existe en effet une association de certification de produits rattachée à la mosquée, l’Association rituelle de la Grande mosquée de Lyon (ARGML).
L’entourage de Laurent Wauquiez, cité par Le Monde, a pointé un flou entourant cet autofinancement, qui serait inexplicablement passé de 886 000 euros à 2 millions d’euros.
Kamel Kabtane répond en voulant faire œuvre de transparence au sujet de l’association dont il est également le président :
« Cette association est l’une des seules structures de certification nationales à avoir un commissaire aux comptes. Quant à moi, je ne vis pas de cette association. je vis de ma retraite. Je gère la mosquée en bon père de famille, ce qui est le garant de notre indépendance ».
Kamel Kabtane se montre également optimiste pour toucher des subventions de la Fondation pour l’islam de France, récemment créée et dont il est membre du conseil d’administration.
Surtout, il compte dessus pour abonder le budget de fonctionnement qu’il évalue, a minima, à 500 000 euros par an. En dehors de cette piste et d’un financement « sur projet » par les collectivités, rien n’est « imaginé » pour financer le quotidien du lieu.
4. Les oppositions : toute la droite et une partie de la gauche
Début juillet, les élus des deux collectivités, la Ville de Lyon et la Métropole, votaient leurs subventions respectives à l’IFCM.
Comme on pouvait s’en douter, les oppositions les plus virulentes sont venues de l’extrême droite. On notait le FN et les identitaires main dans la main.
Le groupuscule radical a tenu un rassemblement devant l’hôtel de Ville, lundi 4 juillet, puis a bordélisé le vote, la semaine suivante, du conseil de Métropole.
A la tribune, Christophe Boudot du FN déroulait le discours de façade : la dénonciation de la participation aux côtés des collectivités et des fidèles musulmans de l’Arabie Saoudite et de l’Algérie.
Les opposants craignent une ingérence de ces « puissances étrangères » dans les affaires de la Grande Mosquée de Lyon et du centre culturel.
Cet argument a également été utilisé par la droite. A la Région, Laurent Wauquiez a retiré la subvention d’un million d’euros sur ce motif.
A la Ville de Lyon, le chef de l’opposition, Michel Havard, qui n’est pourtant pas dans les petits papiers du président de la Région, a également voté contre la subvention prévue, pour les mêmes raisons.
Et c’est finalement un ex-élu FN, Romain Vauban, qui a déposé un recours en annulation de ces deux subventions devant le tribunal administratif.
Le Parti de gauche a également appelé les conseillers municipaux et métropolitains à voter contre. Dans un communiqué, les partisans de Jean-Luc Mélenchon ont mis en avant un autre argument : la défense de la laïcité.
« Cet institut, sous couvert d’ouverture culturelle, concerne en réalité un culte particulier. Ses initiateurs ne cachent d’ailleurs pas qu’ils visent à compléter les « activités de la mosquée » et qu’ils ont reçu le « soutien des hautes autorités religieuses de la région ». »
Pour tous les opposants de l’IFCM, il y a confusion entre la mosquée (association loi 1905) et le centre culturel (association loi 1901). Or, une collectivité ou l’Etat ne peuvent financer une association de loi 1905.
Le président de l’IFCM et recteur de la mosquée répond surtout à Laurent Wauquiez et aux attaques concernant les financements étrangers. Dans une lettre ouverte, il a détaillé son projet et affirmé :
“Depuis le permis de construire de la Mosquée accordé en février 1984 par la ville de Lyon […] et depuis l’inauguration de la mosquée le 30 septembre 1994 en présence de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite, la confiance qui nous a été accordée par les autorités n’a jamais été prise à défaut. Comme cela s’est fait pour diverses institutions parisiennes, en particulier pour la construction et le fonctionnement de l’Institut du monde arabe, les financements partiels que certains États étrangers ont bien voulu nous accorder n’ont jamais affecté de quelque manière que ce soit notre indépendance. Nous vous assurons qu’il en sera de même à l’avenir”.
Interrogé par Rue89Lyon, il soutient que l’islam doit « s’adapter à la République » :
« L’Arabie Saoudite a financé la mosquée mais je n’ai jamais vu un imam salafiste ou wahabite prêcher ici. »
L’Arabie Saoudite a contribué pour 19 millions de francs (sur les 24 millions de francs), soit 80% du budget de la Grande Mosquée de Lyon.
5. Un centre culturel musulman sous surveillance
L’argument historique (« l’Arabie Saoudite ne s’est jamais immiscée dans la vie de la mosquée » et la mise en avant de sa personne (« je suis l’un des meilleurs représentant de l’islam de la République ») n’ont pas suffi.
Pour emporter l’adhésion d’une majorité d’élus au conseil de la Métropole de Lyon, Kamel Kabtane a dû accepter la modification des statuts de l’IFCM.
Lors du vote du conseil de Métropole du 11 juillet 2016, il a été annoncé la création d’un « conseil de surveillance » et d’un second collège au sein du conseil d’administration. Les deux instances doivent regrouper les représentants des collectivités, de l’Etat et de l’Université de Lyon, comme le décline la délibération :
« Cette gouvernance doit notamment permettre d’arrêter les orientations stratégiques du projet, éléments qui structureront sa programmation. C’est pourquoi les collectivités locales souhaitent être associées. […] Le conseil d’orientation et de surveillance […] aura droit de regard sur les orientations de la programmation et sur les embauches du personnel de l’IFCM. »
Idem, la composition du « Comité scientifique » se fera en « concertation » entre l’association et les partenaires institutionnels.
Enfin, Kamel Kabtane a également accepté que les fonds externes (dont ceux provenant des Etats) soient placés « sous le pilotage et le contrôle du Ministère de l’Intérieur avec le concours de la Caisse des Dépôts et Consignations ».
« Ça ne nous a pas gênés puisque cela permet de rassurer et donner des gages de transparence. Je comprends que la situation actuelle inquiète ».
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