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Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

« Laissons les femmes diriger des lieux et être libres de leur programmation »

La place des femmes dans les milieux culturels a été questionnée vivement lors d’États généraux organisés par le collectif HF Auvergne-Rhône-Alpes, ce 17 octobre à Lyon. Et les débats ont largement débordé sur celle qu’elles ont plus largement dans l’espace public et dans les autres sphères professionnelles.

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« Laissons les femmes diriger des lieux et être libres de leur programmation »

L’idée reçue d’un monde artistique plus accueillant et moins discriminant a été battue en brèche, les participant.e.s aux tables rondes s’indignant chacun.e à leur tour des inégalités objectivées par des témoignages mais aussi des chiffres consternants.

Au moment même où, à Lyon, on discutait avec force du thème, l’Assemblée nationale lançait une consultation citoyenne en ligne, pour savoir quels effets a eu la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Au regard des inégalités mises au jour par les débatteurs, on peut d’ores et déjà estimer, et sans attendre le résultat de cette évaluation de la loi, qu’il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour les combattre tout à fait.

Dans l’invisibilité

Dix ans après le rapport de Reine Prat, les lignes semblent avoir (trop) peu bougé. La chargée de mission auprès du ministère de la Culture révélait en 2006, dans un document circonstancié, des chiffres qui avaient alors fait l’effet d’une bombe : 92% des théâtres consacrés à la création dramatique étaient dirigés par des hommes ; 89% des institutions musicales et 86% des établissements d’enseignement, etc.

Sophie Deschamps, vice-présidente de la SACD (société des auteurs et compositeurs dramatiques), a à son tour sorti de sa besace un très intéressant bilan actualisé pour 2016, qui n’a eu en revanche rien de réjouissant. Après cinq années de comptabilité méthodique menée par la SACD, elle peut affirmer que :

« Les femmes représentent 52% des étudiant.e.s en spectacle vivant. Et seulement 1% des compositrices, 21% des autrices, 37% des chorégraphes. »

Ou encore :

« Seuls 11% des Maisons d’Opéra ont des femmes à leur tête, c’est 28% pour les scènes nationales ; 12% pour les théâtres nationaux ».

Autant de structures subventionnées par de l’argent public. Dans l’audiovisuel, pas plus de 36% de femmes dans les comités de direction en 2016. Elles sont seulement 12% de réalisatrices de fictions télé et le taux monte à 20% pour les films de cinéma.

Pour Sophie Deschamps l’heure est à la protestation mais également aux exigences concrètes :

« On est à chaque fois en-dessous du seuil que Reine Prat avait évoqué et qui veut qu’à moins de 30% de présence, on est tombe dans l’invisibilité. C’est la preuve par A + B du machisme d’État. Il faut obliger nos politiques à prendre des mesures. Par exemple en leur demandant une augmentation de 5% par an d’intégration de femmes dans les écoles d’art. C’est le minimum vital pour les femmes. »

Quota, budgétisation genrée et autres (bonnes) pratiques pour la culture

L’amorce de changements viendra-t-il d’initiatives territoriales et des collectivités publiques ? Oui, croit Gaëlle Abily, vice-présidente à l’égalité Femmes Hommes en région Bretagne, et adjointe à Brest. Parmi les nombreuses initiatives lancées dans sa ville, elle prône notamment « la budgétisation genrée », entre autres moyens de faire bouger les lignes :

« Depuis deux années de budget, il y a un regard systématique sur l’attribution des subventions, avec l’idée qu’il y ait la même chose attribuée aux compagnies menées par des hommes qu’à celles menées par des femmes, par exemple. Nous sommes dans une période assez terrible, où l’on doit faire des choix et où l’on risque de produire une politique encore plus inégalitaire. »

Difficile de donner ses contours à une lutte qui parfois se heurte à « l’implicite de l’exclusion », selon les mots sonnants de la philosophe Geneviève Fraisse, à qui a été confiée la mission de clore ces États généraux de Lyon. Pour elle, « il faut restituer les espaces ».

L’un des moyens évoqués à de nombreuses reprises au fil de la journée est celui des quotas. Sophie Deschamps a lancé dans un quasi-cri :

« Laissons les femmes diriger des lieux, être libres de leur programmation et donner leur point de vue sur le monde. C’est là qu’est le nœud du programme. « 

Le quota est apparu comme un véritable outil à mettre en place pour à peu près tous les participants au colloque. Carole Thibaut, directrice du CDN de Montluçon n’a pas davantage fait dans la demi-mesure :

 « Les quotas, je ne crois qu’en ça. Je crois que nos esprits sont formatés sur ce modèle à suivre de l’homme blanc, qui appartient en plus à une certaine caste socio-culturelle. Les quotas, ça interroge tout le reste et la démocratie en particulier ».

Pour Gaël Octavia, mathématicienne et artiste, il incombe également aux femmes de se « coopter », d’être dans une forme de solidarité. Les réseaux pour accéder aux postes de direction sont masculins, ont constaté les invité.e.s des débats, devant lesquels il est urgent d’en créer d’autres.

Frédérique Joly, l’une des cofondatrices d’Arty Farty, a notamment évoqué le collectif new-yorkais activiste Discwoman qui, dans un milieu de l’électro très masculin, font un travail de booking important en plus d’un travail artistique, c’est-à-dire qu’elles programment et font tourner des artistes femmes. Il s’agit du « technofeminism ».

« Il faut se méfier de nous, à tous les endroits »

C’est dans une lutte globale contre les discriminations que se sont lancé.e.s les invité.e.s du colloque. Dans ce sens, Carole Thibaut, directrice depuis un peu plus d’un an d’une structure nationale, a fait mouche avec un propos appuyé et applaudi :

« Il y a un problème totalement mortifère, on [les directeurs de structures culturelles] se partage nos propres référents, dans une même classe dominante, avec des créations sur les plateaux qui sont toujours les mêmes, dans un espace très bourgeois. On est dans un entre-soi alors qu’on a le sentiment d’être dans un milieu de gauche révolutionnaire. Mais on est à l’inverse absolu de ce qui fait l’artistique ».

Pour elle, il est urgent, « pas uniquement sur le plan politique mais aussi sur le plan artistique », d’aller voir ce qui se passe dans le monde autour et de « mettre ça sur les plateaux ». Elle n’a épargné personne, allant franchement dans une forme d’autocritique.

« Il faut se méfier de nous, à tous les endroits, parce qu’on est tout le temps rattrapé par une forme de paresse créative ou intellectuelle. Il y a une paresse des programmateurs à ne pas aller chercher des femmes, car on ne les trouve pas facilement, puisqu’elles ne sont pas programmées sur les grandes scènes ».

À Delphine Naudier de démonter dans la foulée cette « fabrique de la légitimité » ou encore « de la consécration ». La sociologue, chargée de recherche au CNRS, a évoqué le regard que pose notamment la presse sur les femmes romancières. Les journaux se demandant régulièrement si les femmes écrivent comme les hommes, s’il y a une « littérature féminine » -et autres dossiers spéciaux de la rentrée littéraire.

La présence des femmes n’est donc pas ignorée dans l’espace médiatique, au contraire.

« Elle n’est ni anodine ni indifférenciée, précise Delhine Naudier. Mais les hommes, eux, ne sont pas atteints par la sexualisation de leur production, ils accèdent tout de suite à la neutralité et à l’universalité. En regardant les anthologies littéraires, on constate qu’il y a souvent tout un chapitre dédié aux femmes. C’est une procédure de marquage, d’identification, ce n’est donc pas les considérer par le prisme du genre littéraire (poésie, roman), mais par leur sexe. »

Cerveau élastique et bonnes résolutions

La disqualification des femmes, du fait de leur marquage, est automatique. Pas de prix prestigieux, ni de bourses haut de gamme ou très rarement. Comment les auteures (ou autrices, pour reprendre un terme usé par la plupart des intervenantes) se « démarquent »-elles donc ?

« Elles mettent en place des stratégies pour échapper à cette assignation, qui voudrait qu’elles ne font que dans l’autobiographique par exemple, mettre en place des narrateurs masculins pour montrer qu’elles sont techniciennes de l’écriture, comme une preuve de leur compétence d’écrivain », explique Delphine Naudier.

C’est Catherine Vidal qui, dans un propos introductif, a tenu à dire haut et fort qu’il n’y avait pas de fatalité.

« Nous sommes d’abord et avant tout des êtres sociaux, pas des êtres soumis et conditionnés par nos hormones », a rappelé la neurobiologiste.

Pour elle, l’enjeu est de combattre l’idée que les cerveaux seraient programmés depuis la naissance et que leurs circuits seraient figés, un postulat très partagé mais « en contradiction avec ce que l’on sait de nos recherches en neurosciences ».

« Dans le milieu scientifique, on s’imagine parfois qu’il y aurait moins d’idéologie, ce qui est faux. On trouve des personnes qui véhiculent les arguments d’un déterminisme génétique et hormonal, contrairement à d’autres qui mettent en avant la plasticité cérébrale, quelque chose de modulé grâce aux interactions avec l’environnement », estime Catherine Vidal.

Après des échanges roboratifs, une charte a été signée par les représentants des pouvoirs publics (État avec la direction des affaires culturelles, la Région Auvergne-Rhône-Alpes, la Métropole, la Ville de Lyon, la Ville de Villeurbanne et la Ville de Clermont-Ferrand).

Une déclaration d’intention qui propose, notamment, de doter chaque exécutif politique d’un « référent égalité femme/homme ». Pour démarrer. Le contenu de cette charte est audible ci-après, dans le film (seconde partie) de la journée.


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