Les amateurs de vin le connaissent sans le savoir. Le village de Viré offre un vin blanc fameux sous l’appellation Viré-Clessé.
La carte postale est magnifique : des vignes qui s’enchevêtrent avec les maisons. Mais ce n’est pas sans poser problème.
En juin 2015, à l’heure de la récréation dans les écoles, un viticulteur de la commune de Viré traite pour la deuxième fois ses vignes contre le mildiou. Rien ne le lui interdit même si les vignes collent à la clôture de la cour d’école. Du produit chimique atteint des enfants.
C’est la goutte de pesticide de trop. Tollé dans l’établissement scolaire.
Marine Pasquier, l’une des parents d’élèves, alerte le député du coin, le célèbre Thomas Thévenoud. Dès le début de l’année scolaire suivante, elle va voir le maire et lui annonce la création d’un collectif contre les pesticides dans le Mâconnais.
« Jusque là, en conseil d’école, on évoquait ce viticulteur qui traitait à n’importe quelle heure mais rien ne bougeait. En créant ce collectif, on savait qu’on serait davantage entendu ».
La simple annonce de la création de ce Collectif Mâconnais Pesticides et Santé (CMPS) a un effet immédiat.
Dès le mois de novembre suivant, le maire de Viré (sans étiquette) réunit profs, parents d’élèves et les huit exploitants de la parcelle.
En fin de réunion, Patrick Desroches scelle un accord :
« Sous mon autorité, on a formalisé un texte qui divise les deux hectares de vigne en deux zones, explique aujourd’hui le maire de Viré. Pour la zone la plus proche de l’école, le traitement ne peut se faire que le soir, de 18h30 à 20h30. »
Les viticulteurs veulent éteindre l’incendie
En avril 2016, un journaliste du quotidien local, le Journal de Saône-et-Loire (le « JSL » pour les habitués) contacte la présidente du collectif anti-pesticides. Il en fait un article qui relate l’histoire de l’école de Viré et la création du collectif.
L’article est monté en « Une » et des affiches sont placardées dans tous les points presse du Mâconnais. C’est le branle-bas de combat dans la profession viticole de Sâone-et-Loire.
Dès la parution de l’article, la présidente est contactée. Marine Pasquier raconte :
« Ils voulaient éteindre l’incendie. Ils avaient surtout peur de la mauvaise image et des effets sur les ventes ».
Suite à l’article du « JSL », le maire de Viré revient à la charge. Cette fois, il annonce que les vignes seront arrachées à proximité de l’école. Victoire totale pour les anti-pesticides qui ne l’avaient même pas demandé. Eux demandent le passage à des traitements en bio.
Aujourd’hui, le maire précise que cet arrachage n’est pas lié aux traitements :
« Le premier facteur est la volonté d’implanter un Ephad (une maison de retraite, ndlr) sur la commune. Nous avons revu notre projet pour racheter les vignes à proximité de l’école, les arracher puis y construire l’établissement. En échange, nous donnons un terrain d’un hectare sur lequel nous allons planter des vignes ».
Les dernières vendanges auront lieu en 2018 puis les vignes disparaîtront.
Fin de la polémique à Viré d’autant que pour la campagne de 2016 de traitement, le viticulteur incriminé a respecté les engagements de l’accord.
Une pression nationale anti-pesticides
La Bourgogne est la deuxième région viticole où la pression est la plus forte contre les pesticides.
C’est dans le Bordelais que le mouvement est le plus fort (lire les articles de Rue89 Bordeaux à ce sujet). Des émissions télé comme Cash investigation en février dernier ont largement relayé les combats de personnes qui se disent malades des traitements de la vigne.
Les images de Cash investigation ont eu un tel effet qu’une semaine après, une manifestation a rassemblé un millier de personnes. Parallèlement, les études s’accumulent (notamment un dernier rapport de l’Anses daté de juillet) sur les dangers des pesticides et sur les liens entre exposition aux pesticides et le déclenchement de maladies, surtout des cancers.
En Bourgogne, c’est le traitement contre la flavescence dorée qui a fait polémique et a commencé à braquer les projecteurs sur les pesticides dans le vin.
Ce traitement insecticide est obligatoire. Moralité, les viticulteurs bio comme les conventionnels doivent traiter sous peine d’être hors la loi. Et le cas d’Emmanuel Giboulot, le viticulteur bio de Côte-d’Or qui refusait de traiter ses vignes a fait grand bruit.
Dans ce contexte, l’État a demandé aux préfets des régions viticoles de prendre des arrêtés encadrant l’usage des pesticides, ces produits de synthèse, que les viticulteurs préfèrent appeler produits phytosanitaires ou phytopharmaceutiques.
En avril 2016, le préfet de Gironde a pondu un arrêté qui accroît les contraintes aux abords des établissements accueillant une population dite « vulnérables ».
Une cartouche de fusil pour le président des vins de Bourgogne
En Bourgogne, en dehors du cas de Viré, le question des pesticides ne remuait pas comme dans le Bordelais. Dans ce contexte, les viticulteurs ont obtenu au printemps, plutôt qu’un arrêté comme en Gironde, le principe d’une charte, moins contraignante.
Les discussions s’étiraient mollement quand le président de l’Union des producteurs de vins de Mâcon (UPVM), Jérôme Chevalier, a reçu un courrier anonyme avec une cartouche de fusil. En substance, le texte disait « s’il n’y a pas de réaction, alors il y aura des victimes chez les viticulteurs ». C’était le 18 mai.
Passé le choc de cette menace de mort, Jérôme Chevalier décidait de réagir fortement. Le 31 mai, il convoquait une conférence de presse. À la tribune, on trouvait tous les représentants de la profession mais aussi le préfet, le président du conseil départemental et plusieurs maires du Mâconnais.
Quelques mois après, en pleines vendanges, nous l’avons rencontré chez lui à Charnay-les-Macons. Il revient sur sa démarche :
« Le monde viticole est dans le viseur. A cette conférence de presse, on voulait dire qu’on est les premiers exposés et qu’on a fait énormément d’efforts. On a réduit les produits phytosanitaires. Oui, il y a des brebis galeuses comme dans toutes les professions. Mais on va les remettre dans le droit chemin ».
L’usage des pesticides : la profession brise un tabou
En communiquant sur le sujet des pesticides, Jérôme Chevalier ne s’est pas fait que des amis chez ses confrères viticulteurs.
« Au début, certains avaient peur que ça détériore notre image ».
Finalement, tous les représentants de la professions ont suivi. Jean-Michel Aubinel, le président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB), également interviewé la veille des vendanges dans son exploitation de Prissé tient le même discours :
« Ça fait trois/quatre ans qu’on entend de plus en plus parler de ça. Il y a une prise de conscience écologique. On le voit à la montée des incidents. Par exemple, quand on traite le long de la voie verte où les gens font du vélo ou du jogging, on se fait engueuler et accuser d’être des pollueurs. »
Depuis ce printemps, Jérôme Chevalier et les techniciens de la CAVB voient régulièrement le collectif anti-pesticides du Mâconnais. Le mot qui revient le plus chez les représentants des viticulteurs est « dialogue » puis « bien vivre ensemble ».
Alors que les incidents avec les riverains restaient au fond des parcelles, les viticulteurs téléphonent à Jérôme Chevalier sur le sujet et des réunions sont organisées dans les mairies. Au moins quatre depuis la fin de ce printemps.
Une charte de « bonnes pratiques » jugées insuffisante par les anti-pesticides
Signée en juillet à la cave de Prissé, la charte ne règle pas le problème des pesticides dans le Mâconnais. Les représentants des viticulteurs en conviennent. Jérôme Chevalier, de l’UPVM :
« Ce n’est pas une charte pour tout. Elle ne porte que sur les lieux sensibles, comme les écoles, et elle place les maires en médiateurs des conflits. »
A l’exception du rôle des maires, cette charte reprend les termes de l’arrêté de Gironde. Avec notamment ce paragraphe pour les établissements scolaires, centres aérés et centres de loisirs :
Les traitements ne devront pas être réalisés :
« – pendant les vingt minutes qui précèdent et qui suivent le début et la fin des activités scolaires et périscolaires le matin et l’après-midi,
– au moment des récréations et pendant toute la durée des activités scolaires et périscolaires se déroulant dans les espaces de plein air de ces établissements. »
– ainsi qu’en cas de présence des enfants et élèves dans les espaces extérieurs de l’établissement.
Mais n’étant pas un arrêté, le texte bourguignon est moins contraignant.
Charte des bonnes pratiques agricoles et viticoles en Saône-et-Loire by
La charte est aussi moins disante que l’accord signé à Viré puisqu’elle permet les traitements le matin à proximité des écoles.
Enfin, on est loin d’un accord qui a pu être signé pour une école de Listrac-Médoc http://infomedocpesticides.fr/2016/03/10/charte-protegeant-des-pesticides-les-eleves-de-la-maternelle-a-listrac-medoc/. Depuis 2015, sous la pression du collectif local anti-pesticide (l’un des premiers du genre), le traitement des vignes qui jouxtent la maternelle doit être fait qu’avec des « produits agréés pour l’agriculture biologique ».
Moralité : le collectif anti-pesticides mâconnais, par la voix de sa fondatrice, Marine Pasquier, juge « largement insuffisant » cette charte. Elle pointe également l’absence de prise en compte des riverains.
Pour ces habitants qui subissent les pesticides, les viticulteurs en appellent au « bon sens », comme l’affirme Jérôme Chevalier :
« Tous les viticulteurs de Bourgogne ont reçu la charte. On leur a demandé également de prévenir les voisins quand ils vont traiter. Un coup de téléphone, un mail, un texto. Peu importe ».
Du côté des représentants de la profession (CAVB comme UPVM), le message est « faites nous confiance, on va faire la police en interne ». Et pour clore la discussion, plusieurs arguments sont repris, notamment par Jérôme Chevalier et Jean-Michel Aubinel :
- « chez les viticulteurs, les brebis galeuses sont minoritaires »
- « on est obligé de traiter si on veut avoir de la vigne »
- « les gens savaient qu’on traitait en venant habiter ici »
« Les viticulteurs sulfatent par grand vent »
En face, le collectif anti-pesticides du Mâconnais voit ses rangs grossir alors qu’aucune action n’a encore été organisée.
Une soixantaine de personnes ont déjà adhéré. Elles se sont retrouvées pour la première fois à la fin du mois d’août.
« Ce sont des personnes qui avaient déjà, de manière isolée, alerté sur des problèmes les concernant, explique Marine Pasquier, la fondatrice. »
Parmi ces riverains excédés, Robert Dutronc, 82 ans, qui habite un petit hameau de la commune viticole d’Hurigny.
Fils de vigneron, il vit dans l’ancienne ferme familiale depuis plus de trente ans. Des vignes ont été plantées après son arrivée, à l’ouest de sa maison.
Sa femme est décédée des suites d’un cancer il y a six ans. Lui-même a eu un cancer de la prostate et vient d’être opéré d’un mélanome à l’oreille.
Il assène que sa femme comme « cinq voisins » sont morts de cancers causés par le traitement de la vigne. Une affirmation impossible à vérifier.
Deux parcelles dominent sa maison. Pour l’une, il ne se plaint pas du viticulteur.
« Je m’entends très bien avec le viticulteur. Dès qu’il y a un vent d’ouest, il ne traite pas ».
Pour l’autre, ce n’est pas la même histoire :
« Un arrêté interdit normalement de traiter quand un vent dépasse les 19 km/h. Mais lui s’en fout ».
L’année dernière, il a écrit au maire et fait signer une pétition par tous ses voisins. La préfecture de Saône-et-Loire lui a répondu « si le problème est récurrent, vous avez la possibilité de porter plainte et si possible vous ferez constater les faits par huissier ».
Dans son courrier, la préfecture rappelait que l’arrêté de septembre 2006 n’impose aucune distance minimale de traitement à respecter par rapport aux habitations.
Malgré cette fin officielle de non recevoir, son activisme a eu un effet : cette année, les « sulfatage » intempestifs se seraient calmés.
A Clessé, deux couples ont acheté leur maison au milieu des vignes. Idem, ils se plaignent de l’usage du « canon » et, parfois, par jour de grand vent. Conséquence : ils disent retrouver des pesticides jusque dans leur cour et même à l’intérieur de leur maison.
Une réunion s’est tenue à Clessé, en présence du maire et des représentants des viticulteurs mais rien n’en est sorti.
Robert Dutronc, d’Hurigny, assène de nouveau :
« il faudrait au moins que les viticulteurs changent leur outil de pulvérisation ».
Il s’agirait d’équiper les tracteurs enjambeurs de « rampes » plutôt que de « canons », beaucoup moins précis. Cet outil de pulvérisation coûte environ 30 000 euros à l’achat. La profession serait en cours d’équipement selon le représentant des vins de Mâcon, Jérôme Chevalier.
« Jusque-là, chacun faisait son traitement dans son coin »
En Bourgogne, ce n’est pas le big bang de la viticulture. Mais il y aura un avant et un après 2016. Jérôme Chevalier, de l’UPVM, le reconnaît :
« Jusque-là, chacun traitait ses vignes comme il l’entendait. On n’allait pas dire « on va sulfater » et les riverains s’alarmaient moins. Maintenant, il faut appliquer la charte. On sait que si on ne l’applique pas, ce sera un arrêté. »
Les représentants des viticulteurs bourguignons veulent gérer leurs « extrêmes » car ils souhaitent, par-dessus tout, une « communication positive » autour de leurs vins.
« On a bien conscience que la charte ne règle pas tout et que de nombreux riverains ne se sont pas calmés. On va transmettre le message à nos adhérents : vous avez intérêt à communiquer sur vos heures de traitement, à discuter plutôt qu’à vous braquer ».
Échanger sur les produits phytosanitaires et de leurs nuisances avec des anti-pesticides est aussi un fait nouveau.
La fondatrice du collectif, Marine Pasquier, et le représentants des viticulteurs du Mâconnais, Jérôme Chevalier, s’accordent sur une estime mutuelle et sur la nécessité du « dialogue ». Même si les problèmes s’accumulent, selon Marine Pasquier :
« La création du collectif a fait ressortir de nombreux problèmes. Beaucoup de gens n’osaient pas parler par peur de se fâcher avec les voisins, dans des villages où tout le monde se connaît ».
Car le constat de désaccord est profond. D’un côté, dans un futur proche, les viticulteurs conventionnels ne veulent pas réduire drastiquement l’usage des pesticides. Ils misent, à long terme, sur la recherche scientifique pour créer des vignes plus résistantes aux maladies.
De l’autre, les anti-pesticides vont continuer à demander des vignes en bio à côté des écoles et des maisons. Ils entendent également dénoncer les effets de ces produits de synthèse.
La fin des frictions est loin d’être actée.
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