Le kayak freestyle est généralement pratiqué en eaux vives. La discipline nécessite en effet un fort débit en eau pour y faire des figures. C’est donc loin des grosses métropoles que les athlètes se réunissent.
La dernière destination à la mode est en Ouganda. Lyon fait alors figure d’exception. Quelques irréductibles s’y rendent pour profiter du spot d’ »eaux vives » à domicile.
Alors que le kayak sera à l’honneur dans un cadre tout à fait officiel, à l’occasion de la « Lyon Kayak » qui se déroulera le week-end prochain (17 et 18 septembre), on vous raconte l’histoire de cet Hawaï sur Rhône, qui fait rêver juste avec son nom.
Parcours du combattant pour y accéder
C’est un véritable parcours du combattant pour rejoindre la vague Hawaii sur Rhône, à Lyon. Au propre comme au figuré.
Ce spot dit de rodéo est au Nord-est de Lyon, à 15 minutes du centre, en direction de Caluire, quartier Saint-Clair, et de Rilleux-la-Pape. Le spot se nomme aussi la Feyssine. Sous le pont du périphérique nord.
Voilà pour les indications géographiques. Mais pour y parvenir c’est une autre histoire. On m’avait prévenue : « tu devras soit escalader une barrière avec des pics, soit monter dans un kayak pour accéder au spot ». ça, c’est pour accéder au spot par la rive gauche du Rhône.
Mais il y a aussi une autre possibilité, sur la rive droite du Rhône : il faut se garer au bout du chemin de hallage de la rive droite et franchir la barrière.
Vide juridique et absence de compétences
Mais au fait qui s’occupe de ce spot de kayak freestyle ? La CNR (Compagnie Nationale du Rhône) ? Raté :
« La CNR s’occupe du Rhône mais hors du périmètre de l’agglomération lyonnaise. Le secteur de la Feyssine que vous évoquez ne relève donc pas de notre domaine de compétence », nous a-t-on répondu.
La police fluviale peut-être ?
« Ah non, le volet navigation, on ne le suit pas. Nous, c’est plutôt l’écologie, le développement durable… Essayez de voir avec la VNF. »
Mais contactées, les Voies Navigables de France affirment ne s’occuper que des bateaux.
Et si personne ne s’en occupait ?
Christian Bichat de la DRJSCS (direction régionale jeunesse, sports et connivence sociale) au service du soutien des politiques régionales et du sport fédéral explique :
« C’est la libre circulation. Les kayakistes pratiquent leur sport à leurs risques et périls. Il n’y a aucune interdiction de navigation. C’est un peu comme le ski hors piste, si vous voulez. »
Et d’ajouter :
« Au niveau de la navigation, il n’y a pas de péniche à cet endroit-là, ce sont les seuls utilisateurs de la vague. Pour l’instant, il n’y a pas eu d’incidents, jusqu’au jour où il y en aura, et là, on sera obligés de mettre des restrictions. »
Histoire d’un lieu hors du commun
A l’origine du lieu, une vague. Les thèses sur sa genèse divergent. Pour la plupart des kayakistes, la construction du périphérique Nord (TEO) et l’érection de son pont serait à l’origine de cette énorme vague.
Celle-ci serait générée par la chute d’eau en aval de deux mini-barages construits pour ralentir le débit du Rhône et ne pas endommager les piles du pont autoroutier.
Selon Gilles Reboisson, photographe et kayakiste, cette vague de la Feyssine attirait de nombreux professionnels de la glisse :
« Des kayakistes sont venus s’installer vers Lyon à l’époque, pour la ville et son attractivité mais aussi pour le spot. »
La vague offrait un bon moyen de s’entraîner tout en restant en ville :
« Pour les vieux qui naviguaient là-bas entre 2000 et 2008, la vague marchait tous les jours. »
Cette vague a donné l’idée aux frères Philippe et Joël Doux, journalistes spécialisés en kayak, d’y organiser un festival. Ils avaient auparavant fondé le Rabioux River Festival dans les Hautes-Alpes. Joël Doux commente :
« Il nous a paru intéressant de proposer la même chose en proximité de la ville et en exploitant la vague que nous avions baptisée « Hawaii sur Rhone » dans notre magazine Canoe Kayak Magazine. »
En juin 2003 a lieu la première édition, avec des athlètes et des juges internationaux. Le festival mêlait concerts, animations et contest de kayak freestyle durant lequel les plus grands s’affrontaient. France 2 en avait même fait un sujet pour son 20h du 14 juin 2004.
En 2006, la troisième saison a connu la plus grande affluence, en réunissant notamment le groupe Aston Villa. Près de 3000 personnes se sont rendu au festival.
Mais c’était trop peu pour trouver un modèle économique rentable. D’autant que la vague avait évolué et la pertinence du festival restait à prouver. Joël Doux raconte :
« Nous ne pouvions maîtriser le niveau d’eau et la technicité de la vague, ce qui contrastait avec le plateau que nous étions capables de réunir, les meilleurs internationaux. En clair, le spectacle que nous proposions n’était pas au niveau de l’emballage que nous mettions en place. »
Vague délaissée, site en perdition ?
« Tous les meilleurs internationaux et français venaient dès que ça marchait. Il y avait toujours du monde. Maintenant, les américains ne viennent même pas en rêve ».
Aujourd’hui la vague est délaissée, le site attire beaucoup moins de monde. Seuls quelques intrépides bravent les dangers.
« C’est probablement dû à un affaissement et une modification du lit de la rivière », explique le rédacteur en chef de Canoë Kayak Magazine.
Pour Gilles Reboisson, qui a aussi été membre de la commission nationale kayak freestyle de 2000 à 2008, pointe tout d’abord les gestionnaires des barrages en amont de Lyon :
« La gestion du débit a été modifiée, il y a moins d’eau. »
Et il ajoute une autre explication pour expliquer cette relative désertion de la part des kayakistes :
« Il existe d’autres vagues dans le sud de la France grâce au Rhône. Moins la vague marche, moins il y a de kayakistes. Depuis, il existe un nouveau spot à Millau ».
Selon Joël Doux, la vague est encore navigable. Mais elle est réservée à des kayakistes initiés avertis :
« Elle est toujours exploitable, mais beaucoup moins souvent, uniquement en période de très forte eaux et donc s’adresse à des kayakistes de très bon niveau. »
« Les Français préfèrent l’Ouganda ou le Canada »
Nouria Newman, pagayeuse française connaît bien le site de la Feyssine. Depuis son jeune âge, elle y pratique le kayak freestyle. Elle y retourne quelques fois quand le débit lui permet. Lorsqu’on l’interroge sur l’état de la vague, elle évoque une certaine déception :
« Ce qui me rend triste, c’est qu’il y a encore cette grosse vague qui fonctionne à Lyon. Le site est toujours viable. Mais le monde attire le monde. Les Français préfèrent aller à l’étranger comme en Ouganda ou au Canada. »
Quant au niveau de sécurité, elle explique :
« Il faut avoir une bonne lecture de l’eau, pour y naviguer. Mais ce n’est pas si dangereux. On peut se faire un peu brasser, mais c’est tout. »
Et conclut en plaisantant :
« Finalement, le plus risqué, ce sont les troncs d’arbres par gros débit ! Plus sérieusement, on n’est pas des inconscients, on a gilet, casque et on n’y va jamais tout seul. »
Un autre membre de cette tribu de kayakiste, Sokkhom Ao, directeur marketing chez Red Bull à la ville, reconnaît également que la vague est moins intéressante :
« Avant, à 400 m3/seconde, on pouvait faire un run. Maintenant, il faut au moins 800 m3/seconde. »
Mais il tient à relativiser :
« C’est toujours un spot international de kayak freestyle. Des Anglais, des Néerlandais, des Belges ou des Danois viennent ici. Ils s’y installent trois jours pour rider ».
Le reportage de Riding zone (une émission de France ô) réalisée il y a plusieurs mois montre ce qu’est aujourd’hui la vague de Lyon et comment elle se pratique en kayak freestyle.
Riding Zone / France ô – Vague de Lyon from Blandine BRIERE on Vimeo.
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