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Phia Ménard : « Comme beaucoup de transsexuels j’ai eu ce fantasme de la métamorphose de Kafka »

Jongleuse, danseuse, performeuse, militante trans, Phia Ménard travaille depuis 2008 sur les imaginaires de la transformation et de l’érosion au travers des matériaux naturels. Elle présente en juin deux de ses «pièces du vent» au TNG : Vortex et L’Après-midi d’un foehn.

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Phia Ménard : « Comme beaucoup de transsexuels j’ai eu ce fantasme de la métamorphose de Kafka »

Rencontre sur une terrasse ensoleillée.

Phia Ménard
Phia Ménard. DR

Hétéroclite : L’Après-midi d’un foehn est présenté comme un spectacle jeune public. L’avez-vous conçu de la sorte ?

Phia Ménard : À l’origine, il s’agissait d’une commande pour le Musée d’Histoire Naturelle de Paris, qui devait entrer en dialogue avec la Grande Galerie de l’Évolution.

Mais ce musée, en fait, c’est un cimetière où l’être humain collectionne les trophées de ce qu’il a dominé ; c’est odieux.

L’être humain, c’est aussi celui qui invente, qui crée. J’ai donc eu envie de redonner vie à quelque chose et j’ai commencé par un sac plastique. C’est quand j’ai présenté la performance que les gens m’ont dit que c’était un spectacle incroyable pour les enfants. Je me suis prêtée au jeu et j’en ai fait un ballet, un conte chorégraphié et cruel. À la fin, il y a un triste retour à la réalité, à la pollution. Mais cette pollution est belle, ce qui est paradoxal.

« Je ne cherche pas à déranger, je cherche sans arrêt à rappeler le spectateur au vivant, à le sortir d’un monde de consommation »

Quels principes vous ont guidé dans cette création ?

J’ai passé mon temps à essayer de défaire les codes. Par exemple, on voit un personnage faire une marionnette à partir d’un sac plastique. Cette marionnette est rose, couleur chair ; mais je me suis rendue compte que si la deuxième marionnette était bleue, cela faisait garçon/fille, stéréotypes de la Manif pour tous, le truc impossible, quoi.

Décoder, c’est choisir une deuxième marionnette jaune, ou verte. Les enfants ne voient plus un garçon et une fille mais ils créent des personnages, ils leur donnent des noms et, d’un seul coup, il y a une possibilité de création. Ce travail m’a permis de comprendre que si je voulais laisser une grande liberté aux enfants, je devais décoder.

Ne pensez-vous pas que ce travail de décodage s’adresse également aux adultes ?

Oui, même moi, quand je vois cette petite marionnette se mettre à bouger, à respirer et quand le vent se met dedans et que d’un seul coup elle commence, hésitante, à se redresser, puis à se mettre à quatre pattes, puis d’un seul coup elle lève un bras.

Là, vous avez oublié le monde. C’est une naissance. Comme quand on se dit : je recommencerai bien à zéro.

Phia ménard
Phia Ménard pendant son spectacle: Vortex présenté au TNG

Est-ce que cette idée de repartir de zéro fait écho à votre parcours en tant qu’artiste trans ?

Peut-être. Pendant toute la période où je me posais la question de savoir comment j’allais m’en sortir, j’avais, comme beaucoup de transsexuels, ce fantasme de la métamorphose de Kafka, d’être enfin dans le corps dans lequel j’ai toujours voulu être.

Mais on sait que c’est impossible et qu’il s’agit plutôt d’une transformation. Or, on retrouve cette idée de la possibilité d’une transformation dans L’Après-midi d’un foehn et dans Vortex. On se dit souvent : «c’est trop tard». Mais j’ai l’impression que jusqu’au dernier moment, on peut encore changer.

Il est évident que nous passons notre temps à nous transformer et c’est le thème de toutes mes pièces.

« On ne peut pas dire que la société soit faite de gens qui se sentent bien et libres d’être eux-mêmes »

Dans Vortex, vous interprétez un personnage aux prises avec différentes couches dont il tente de se débarrasser. À quoi cela renvoie-t-il ?

Dans cette pièce, je parle à votre peau, je vous mets dans une position où vous êtes obligé-e d’avoir de l’empathie. Vous vous demandez : comment fait-elle pour respirer ? Vous voyez une personne dans une position dont vous ne savez pas si elle est volontaire ou subie.

Je ne cherche pas à déranger, je cherche sans arrêt à rappeler le spectateur au vivant, à le sortir d’un monde de consommation. Je propose aux spectateurs de ne pas consommer mon spectacle mais de le vivre. Étant donné qu’il n’y a pas de magie, pas de vidéo, qu’il n’y a rien, c’est du réel.

Je dis très souvent aux interprètes avec qui je travaille : vous devez prêter votre corps au spectateur pour qu’il puisse vivre une expérience qu’il n’oserait pas vivre par lui-même. C’est comme cela qu’on crée de l’émotion et une forme d’humanité.

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Phia Ménard durant son spectacle l’après midi d’un Foehn présenté au TNG

 

Ce que vous appelez l’absence de «magie» ou de virtuel vous permet donc d’établir un rapport direct avec votre public.

Bien sûr. Je m’aperçois qu’aujourd’hui, je n’ai plus du tout le désir d’utiliser de l’image, de la vidéo. Quand j’ai écrit Vortex, je l’ai fait en me disant : entre le moment où nous sommes sorti-e-s du sexe de notre mère et aujourd’hui, nous avons été pris-es en main par la société et, quelque part, on s’est conformé-e-s, on s’est adapté-e-s à des codes. Est-ce que ces codes sont réellement «nous» ? Il est difficile de répondre à cette question, mais on ne peut pas dire que la société soit faite de gens qui se sentent bien et libres d’être eux-mêmes.

Comme on ne choisit pas de naître, on ne choisit pas sa couleur ou son sexe, on ne choisit pas d’être hétéro ou homo, on ne choisit rien de tout cela. On est face à une interrogation : est-ce que je suis capable d’assumer ma propre identité et de la partager avec la société ? On aimerait bien, mais la société ne partage pas ; elle a plutôt tendance à cliver et à encadrer. Il y a des éléments qui sont déterminés et on va finalement s’adapter plus ou moins bien à une enveloppe qu’on nous propose.

 » Je n’ai toujours pas de papiers et je peux être mise sous tutelle, mais le reste de la communauté s’en contrefiche »

Vous considérez-vous comme une artiste militante ?

Je suis cataloguée comme une militante car je pose des questions sur l’identité auxquelles on n’échappe pas. Dans une société comme la nôtre, la transformation est évidente. Hier, en interview, on m’a demandé si j’étais féministe. Mais je n’ai pas d’autre choix que d’être féministe.

Dans une société patriarcale, être femme est un acte de féminisme. Je crois que c’est la force du théâtre d’avoir des lieux qui proposent à des artistes comme nous de pouvoir rencontrer des publics pour qu’ils se posent des questions. Dans Vortex, on voit quelqu’un qui se défait de ses peaux pour essayer de retrouver l’origine ou, en tout cas, de retrouver ce qu’elle est.

C’est au moment où on comprend ce que c’est que la société qu’on commence à chercher ce que nous sommes. Aujourd’hui, quand je vais place de la République à Paris pour voir Nuit Debout, je vois des centaines de personnes qui se posent la question de ce qu’est la société, de ce qu’elles sont dans la société et de comment elles peuvent participer ensemble à une autre société.

Donc c’est une question très présente et on ne peut pas l’escamoter ou en faire une sorte de poussée d’acné d’adolescence. Non, c’est quelque chose qui est là.

À propos de Nuit Debout, il y a eu dernièrement une polémique autour de la question des réunions non-mixtes, décriées par certains membres de la communauté gay. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Je crois qu’il faut parfois resserrer le cercle pour que les choses se disent. Et je pense que dans ces réunions non-mixtes, il s’agit d’essayer de re-synthétiser, sans avoir à se perdre dans d’autres considérations. Quand j’étais jeune artiste, quand j’étais encore « travestie » en homme, j’avais une vie nocturne énorme : je pouvais marcher la nuit, sortir…

Aujourd’hui, je m’aperçois que ma vie nocturne m’amène à me poser des questions sur la manière de m’habiller, sur l’endroit où je vais aller… C’est terrible à dire mais c’est là. C’est vachement fort.

Concernant la question trans, je suis malheureusement obligée de dire qu’on a beaucoup milité pour les droits des gays mais que, dès qu’on fait un truc pour les trans, il n’y a plus personne. Je n’ai toujours pas de papiers et je peux être mise sous tutelle, mais le reste de la communauté s’en contrefiche.

Le mot d’ordre de la 21e Marche des Fiertés LGBT de Lyon, le 9 juillet, est «PMA pour toutes, changement d’état civil pour les trans, Agissez: citoyen.ne.s en colère». Est-ce un pas vers une plus grande solidarité selon vous ?

On peut espérer.

Par Stéphane Caruana sur heteroclite.org 

Vortex du 9 au 18 juin et L’Après-midi d’un foehn du 11 au 18 juin au TNG, 23 rue de Bourgogne, Lyon 9è.


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