Elle est née au Sénégal avant de rejoindre la France à 17 ans. Là-bas, elle a été suivie, par un « pseudo psychiatre », comme elle le dit.
« Au départ, on avait dû mal à trouver un médicament qui aurait pu me stabiliser. J’avoue que la Dépakine a été tout de suite efficace. Ce fut un soulagement pour moi et ma famille. Cela m’a permit de reprendre une vie quasi normale à l’adolescence. Bien que j’ai eu droit à toute une série d’effets secondaires: prise de poids importante, perte de cheveux, tremblements… Par contre, on ne m’a jamais parlé de potentiels risques en vue d’une grossesse. Jamais. »
A 30 ans, elle tombe enceinte « par accident ». Elle l’apprend à deux mois et demi.
« Il était trop tard pour avorter. »
A l’époque, malgré le traitement, de nouvelles crises d’épilepsie sont apparues. Sabine consulte alors une neurologue sur Lyon, « très réputée ».
« N’arrivant pas à me stabiliser, la neurologue a augmenté les doses de Dépakine. Ma grossesse s’est déroulée avec un sur-dosage, soit six cachets par jour. Personne ne m’a dit d’arrêter le traitement. »
« Dès que ma fille aînée est née, j’ai arrêté d’avoir une vie normale »
- Le laboratoire se défend d’avoir commis un impair. L’Etat est prêt à mettre la main à la poche.
- Le nombre de victimes grimpe vertigineusement. Il pourrait atteindre plusieurs centaines, voire des milliers de personnes. Une association porte à bras le corps cette lutte, aidée par un avocat qui a notamment défendu les victimes du Mediator. La justice a été saisie pour déterminer les éventuels coupables.
- De nouvelles mesures ont été prises pour une meilleure information.
- Une filière pour diagnostiquer et prendre en charge les enfants victimes devrait être créée.
Au bout de cinq mois de grossesse, une échographie révèle une tache au niveau de l’estomac du futur enfant. De nouvelles échographies plus poussées sont effectuées dans la foulée. Ce n’est pas l’estomac mais le rein droit du futur enfant qui est touché. Le diagnostic tombe : il souffre d’une dysplasie rénale multi kystique avec des reliquats de kystes sur le rein droit avec une absence de fonction rénale.
Le rein gauche, lui, est surdéveloppé.
« On m’a dit que ma fille pouvait très bien vivre avec un seul rein. »
Fauve nait en août 1994. Outre ses problèmes de rein, la petite fille a un faciès particulier, en forme de poire, une des caractéristiques de l’« enfant dépakine ». Ce n’est malheureusement pas la seule ombre au tableau.
« Fauve avait toujours le regard fuyant sur les photos. Du coup, entre 0 et 2 ans, ma fille a passé tous les examens possibles et inimaginables. A l’époque, les spécialistes n’ont rien trouvé pour expliquer son comportement. Dès qu’elle est née, j’ai arrêté d’avoir une vie normale. »
Sabine s’est notamment rendu chez un pédiatre, dans le 6è arrondissement de Lyon, qui exerce également en milieu hospitalier :
« Le pédiatre m’a dit « non, non, elle est un peu en retard, mais cela va se rattraper ». Il n’était pas inquiet. »
« J’espère qu’elle partira avant moi ; je n’ai pas de solution »
Fauve a commencé à marcher à trois ans. Là, les premières syllabes se font entendre.
« Dans mon esprit, je voulais un diagnostic. Personne n’a eu les couilles de le faire. Le seul, c’est le Dr C., un néphrologue, qui a été le premier à faire le lien entre la Dépakine et les troubles du langage et du comportement de ma fille. »
Aujourd’hui, Fauve a 21 ans. Son regard se fait souvent la malle. Elle est absorbée par l’écran d’ordinateur. Sur le plan scolaire, elle a été abonnée aux CLIS, IME (institut medico-éducatif). Depuis septembre 2014, elle se trouve dans un centre d’accueil, à Caluire, réservé à des personnes déficientes mentales légères et moyennes.
Que fait-elle la journée? « C’est occupationnel », répond sa mère. Tuer le temps.
« Je suis un peu trash, mais en France, on n’est pas outillé pour accueillir des personnes adultes handicapées. Fauve ne peut pas entrer dans un milieu professionnalisant où il faut être dans le rendement comme dans les ESAT (établissement et service d’aide par le travail). »
Quant on évoque l’avenir de Fauve, Sylvie cherche ses mots durant de longues secondes, dans un silence pesant.
« Fauve ne sera jamais autonome. Qui va s’en occuper dans le futur ? C’est difficile à dire, mais j’espère que ma fille aînée partira avant moi. Je n’ai pas de solution aujourd’hui. »
« Je me suis mise en danger pour avoir un bébé normal »
Fauve a une petite soeur. Camille est née en février 2003. Une grossesse voulue. Pour éviter tout risque, Sylvie se rapproche d’un grand professeur en gynécologie.
« Il m’a dit de prendre de la Specialfoldine, trois mois avant la conception de l’enfant. C’était pour éviter les risques de la Dépakine. Dans mon trip de maman, je m’étais dit que ma fille aînée avait subi la Dépakine in utero. »
Camille a donc été conçue sous Dépakine. En revanche, Sabine a volontairement arrêté son traitement lors de sa grossesse, jusqu’à huit mois, avant d’être obligée de reprendre son traitement après avoir fait une pneumopathie.
« Je me suis mise en danger pour avoir un bébé normal. Camille m’a fait toucher du doigt les belles choses de la vie. J’ai eu Fauve, à mes côtés, pendant huit ans et demi, sans lien. »
Camille est un bébé normal. Du moins physiquement. Car elle souffre de différents troubles de l’apprentissage (dyslexie, dysplasie…). Elle est suivie par un orthophoniste à la Maison du Rhône.
« Elle me dit souvent qu’elle en a marre, qu’elle n’en peut plus. »
Camille souffre également de problèmes de croissance sans que le lien avec la Dépakine ne soit établi.
« J’aurai dû arrêter la Dépakine avant la conception de ma seconde fille. Un jour, je lui ai parlé de ce médicament. Camille s’est mise à pleurer. Elle croyait que ses problèmes venaient d’elle-même. Alors que moi, je considère que j’ai ma responsabilité. »
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« Sanofi le savait ; je ne peux pas l’accepter »
Il y a trois ans, Sabine se rapproche de l’association Apesac (Association des Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anti-Convulsivant), par hasard, en effectuant des recherches sur internet. Elle prend alors contact avec Christine Passeron-Audibert, la déléguée régionale, d’abord via Facebook, puis en la rencontrant plusieurs fois.
« Christine m’a apporté beaucoup de connaissances sur le valproate de sodium. C’est une base de données à elle seule. »
En revanche, elle ne s’est pas encore rendu aux réunions. Ni ne souhaite encore entamer une procédure judiciaire.
« Je ne veux pas qu’on m’admire. Je suis une maman. J’ai une force au fond de moi. Je ferai tout pour mes enfants. Après comment fait-on pour vivre ? On change. On devient plus dure pour certaines choses, plus émotive pour d’autres. Maintenant, où va-t-on aller ? Le rapport de l’Igas [Inspection générale des affaires sociales, paru en février dernier, ndlr] va-t-il changer quelque chose ? J’ai une fille de 21 ans lourdement handicapée, qui n’a pas d’avenir. Et l’autre qui pleure d’épuisement. Sanofi va-t-il faire son mea culpa ? Va-t-on nous proposer une indemnisation même si cela ne réparera rien du tout ? ».
Sabine ne mâche pas ses mots.
« Sanofi le savait. Le laboratoire avait des preuves. Je ne peux pas l’accepter. »
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