A l’occasion du Bal des Amoureux au ban public (dont Rue89Lyon est partenaire), nous publions le témoignage d’Agnès, 29 ans, une habitante de l’agglomération lyonnaise qui a voulu se marier avec Emmanuel, centrafricain. Pour préserver leur anonymat, les prénoms ont été modifiés.
Avec Emmanuel, nous nous connaissons depuis 3 ans, nous avons vécu en Centrafrique pendant un an et demi, puis nous nous sommes installés en France.
Je suis française et Emmanuel est centrafricain.
Emmanuel séjourne en France avec un visa étudiant et poursuit un master 2 d’anthropologie. En parallèle, il a déposé une demande d’asile, compte tenu des atrocités et menaces qu’il a subies en Centrafrique. Cette demande est toujours en cours d’instruction.
Lorsque nous avons décidé de nous marier, nous avons choisi mon village natal dans le Sud-Ouest, nous voulions y célébrer les noces et y accueillir nos familles. Le choix de cette commune s’est fait naturellement : ma famille y habite depuis plus de 100 ans et cela avait une signification pour moi.
Le maire ne veut pas célébrer le mariage
En février dernier, lors de notre audition avec le maire, en présence de la secrétaire de mairie, celui-ci nous annonce :
« En l’état je ne s’engage pas à célébrer votre mariage »
Il nous donne pas le choix, au motif que le certificat de coutume et de célibat d’Emmanuel est délivré par la mairie de Bangui et non par l’Ambassade de Centrafrique en France.
Effectivement Emmanuel ne peut prendre contact avec l’Ambassade sous peine de voir sa demande d’asile rejetée d’office.
Le maire ajoute qu’il a déjà été auditionné par le procureur de la République pour un mariage mixte :
« Je ne veux pas finir derrière les barreaux pour vous ».
Moi, qui ai étudié le droit, qui comprend les procédures administratives, je précise alors que le motif invoqué par le maire est issu d’une circulaire et que cette dernière ne peut être opposable au citoyen, c’est donc un refus illégal.
La secrétaire de mairie me rétorque sèchement :
« mais nous aussi on connaît les textes ! ».
Constatant la frilosité du maire, nous n’insistons pas et demandons quelle issue ils peuvent envisager. Le maire nous annonce alors qu’il va demander au procureur s’il peut en l’état, avec les papiers qui lui sont présentés, procéder à notre mariage. Naïfs, et parce que tout le monde se connaît dans ce petit village, nous lui faisons confiance.
Le maire écrit au procureur de la République
Nous pensions donc que le maire avait envoyé une saisine en bonne et due forme avec tous les éléments justificatifs nécessaires à la compréhension de notre dossier.
Après le délai de quinze jours pendant lequel le procureur peut s’exprimer en s’opposant au mariage, en diligentant une enquête ou en autorisant la célébration du mariage (le silence du procureur vaut ici autorisation de se marier), je décide de me renseigner auprès du parquet et découvre que le maire n’a pas explicitement saisit le procureur mais lui a adressé un simple courrier, sans valeur officielle, et ne déclenchant aucun délai de réponse.
A ce moment-là, nous n’avons plus envie d’essayer d’être compréhensifs avec le maire, au détriment de notre projet de mariage. Nous contactons la députée de notre circonscription pour intervenir auprès de lui, mais sans succès.
Refus illégal du maire
Nous nous adressons alors à l’association des Amoureux des ban Public et à une avocate qui nous confirme que le refus du maire est un refus illégal et nous conseille de faire appel à un huissier pour que celui-ci vienne constater officiellement le refus du maire de célébrer le mariage afin de pouvoir ensuite faire un recours en référé devant le TGI pour refus illégal de célébration d’un mariage (5 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende).
Ne souhaitant passer par les huissiers qu’en dernier recours, je m’adresse directement au maire, qui, à ma grande surprise, accepte de signer un courrier mentionnant son refus de nous marier. Seul le procureur de la République a autorité pour refuser de célébrer un mariage, c’est dire si le maire « connaît aussi les textes ! »…
Ce document en main et n’ayant plus rien à perdre, je me rends au parquet et demande à rencontrer le procureur de la République. J’explique alors toute ma situation à la secrétaire générale du parquet, justificatifs à l’appui.
La secrétaire, d’une extrême gentillesse, m’affirme qu’elle fera tout pour que le procureur rende réponse rapidement afin que le mariage soit célébré à la date prévue. Je précise que je ferai tout de même un recours pour voie de fait en me basant sur le document transmis par le maire.
Le procureur de la République fait célébrer le mariage
Finalement, le procureur adressera dans l’heure qui suivra l’entretien avec la secrétaire générale du procureur un courrier au maire afin que le mariage soit enfin célébré.
Jusqu’au jour du mariage, en mai, nous avons dû faire face à la mauvaise volonté des services municipaux. Nous avions demandé expressément à ce que la mairie demande une dérogation au procureur pour nous marier ailleurs que dans la salle de la mairie, trop petite, et comme l’avait fait un couple dans cette commune, deux ans auparavant.
La mairie a fait courir les délais et lorsque nous avons relancé notre demande, on nous a répondu que le délai était écoulé pour faire cette dérogation. Plusieurs remarques fausses sur la procédure, sur la constitution du dossier, nous ont été faites afin de nous décourager.
« Sentiment d’injustice, le soupçon perpétuel et la paranoïa »
Pouvoir se marier avec la personne de son choix dans une petite commune où le maire ne connaît pas les textes de lois, c’est comme la vie, c’est un combat !
Il m’est difficile de faire transparaître par écrit le sentiment d’injustice, le soupçon perpétuel et la paranoïa qui ont accompagné nos démarches en France lorsque nous avons eu le projet de nous marier.
Le besoin de se justifier en permanence alors qu’on ne devrait pas, les remarques racistes, les abus de pouvoir, le fait que si je ne connaissais pas le droit ou si je n’avais pas un peu de culot, si je n’y croyais pas, nous n’y serions jamais arrivés. Ou encore, la question de cette intrusion de l’État dans nos vies personnelles, j’ai bien le droit de me marier avec qui bon me semble. Dans ce témoignage, la grosse machine administrative (ici le procureur) a été conciliante, l’obstacle c’était le maire, qui se prenait pour le shérif de la ville.
Chargement des commentaires…