Laurent Wauquiez leur a très vite fait comprendre qu’elles allaient être écartées au profit des Chambres d’agriculture, dont plusieurs élus de l’exécutif régional sont par ailleurs issus.
Ainsi, l’agriculture sera peut-être bien le champ d’action de la Région qui connaîtra le virage politique le plus important.
Les baisses de subventions pourraient aller de 15% à 35%. Une micro victoire quand les premières annonces les poussaient jusqu’à moins 70%. Pour les associations et organismes dédiés à l’agro-écologie, l’heure est à la crise.
Une quinzaine d’entre elles tentent désormais de se faire entendre auprès des élus régionaux, via une pétition en ligne et un courrier plaidant leur cause :
“Alors même que la Région prône le soutien aux circuits courts, et à l’installation d’agriculteurs sur les territoires, elle détruit aujourd’hui ceux qui ont initié les changements dans les pratiques de consommation, dans l’accès aux terres agricoles, ou dans l’accompagnement à l’installation de tous les porteurs de projets.”
Laurent Wauquiez l’avait en effet lui-même répété pendant toute sa campagne électorale : il veut approvisionner les cantines des lycées, dont la Région a la compétence, via des circuits courts, dans l’optique d’une “préférence régionale” qui lui est chère.
Les AMAP principalement touchées
Emilie Bonnivard, vice-présidente déléguée à “l’agriculture, à la forêt, à la ruralité, à la viticulture et aux produits du terroir”, a précisé dans la presse les propos du candidat Les Républicains devenu président, affirmant vouloir atteindre 75% d’approvisionnement local dans les cantines des lycées en deux ans.
Décrite comme “intelligente, bosseuse” par l’ensemble des acteurs tout comme par les élus d’opposition, elle compte mener une réorientation politique programmée par le nouvel exécutif.
Dès fin février (soit quelques semaines à peine l’élection de Laurent Wauquiez) elle est allée voir avec Dominique Despras, conseiller délégué à l’agriculture bio, la plupart des acteurs de l’agriculture durable, notamment réunis au sein du collectif Inpact.
Parmi eux, Jean-François Baudin, président du Réseau AMAP régional qui sera impacté de la baisse de subventions la plus importante (de 35%). L’association pourrait licencier dès cet été.
“On a le sentiment d’accompagner un mouvement de société dans lequel de plus en plus de citoyens se retrouvent. Il permet aussi aux agriculteurs de mieux vivre, défend-il. Tout ce que l’on souhaite, c’est que la Région prenne ses décisions après avoir évalué notre travail.”
Dominique Despras, que nous avons interrogé lors de la dernière assemblée plénière du conseil régional, nous avait déclaré :
“Il y avait peut-être lieu d’aider certains dispositifs, comme celui du réseau Amap, à leur démarrage. Mais maintenant ce n’est pas à la Région de continuer à faire fonctionner ces structures.”
Rhône-Alpes compte 225 AMAP (l’acronyme signifie “association pour le maintien d’une agriculture paysanne”), il y en aurait une centaine en Auvergne -toutes n’étant pas nécessairement adhérentes au Réseau.
Ces petites organisations mettent en place des contrats de proximité entre producteurs locaux et consommateurs. Le nombre des AMAP a stagné ces dernières années en Rhône-Alpes, en revanche, le nombre d’agriculteurs décidés à rejoindre ces formats de distribution a, lui, augmenté.
Les Chambres d’agriculture, reines des champs
Pour justifier ces coupes frappant le domaine de l’agriculture durable, la Région pointe des redondances dans les missions d’animation et d’aide au développement menées par les différentes structures.
Ce que réfute Marie-Hélène Riamon, ingénieure agronome et conseillère régionale PS depuis 2010, dans l’opposition désormais :
“L’agriculture est un domaine d’individualités qu’il ne faut pas caporaliser, il est semblable au domaine du numérique qui crée de l’emploi par sa diversité. Le rattacher à un seul système, à un seul syndicat, ça ne marche pas. ”
C’est pourtant ce que compte faire le nouvel exécutif, comme Dominique Despras, conseiller à l’agriculture bio, nous l’a expliqué :
“L’objectif n’est pas nécessairement d’avantager les Chambres d’agriculture mais plutôt de les retrouver au coeur du dispositif : elles sont l’église qu’il faut remettre au centre du village.”
L’élu peut en parler d’autant mieux qu’il est lui-même membre de la Chambre d’agriculture du Rhône. Un autre conseiller régional proche de Laurent Wauquiez, Raymond Vial, a quant à lui été président de la Chambre d’agriculture de la Loire.
Une fonction que Laurent Wauquiez aime beaucoup, puisqu’il s’était également offert le soutien de Jean-Claude Darlet, président de la Chambre d’agriculture d’Isère qui fût présent sur la liste du candidat Les Républicains.
Laurent Wauquiez avait ainsi su s’entourer dès sa campagne de figures du monde agricole parmi les plus institutionnelles et les plus investies dans sa victoire.
Pour “les bobos” qui font leurs courses dans les fermes ?
Les Chambres d’agriculture, en tant qu’organismes publics d’Etat, ont pour objectif d’assurer une forme de service public, de façon indépendante. Mais dans les faits, elles sont particulièrement proches de la FNSEA, le puissant syndicat majoritaire présidé par l’industriel businessman Xavier Beulin, qui prône notamment l’agrandissement des exploitations pour sortir les paysans de la crise.
Pour visualiser mieux encore les connexions, notons que Dominique Despras, l’élu en charge de l’agriculture bio qui est donc aussi membre de la Chambre d’agriculture du Rhône a également été président de la FDSEA du Rhône (section départementale de la FNSEA).
La politique consulaire de ces Chambres anciennes de 70 ans a par ailleurs mis beaucoup de temps à considérer l’agriculture biologique, qu’elle a d’abord ignorée voire tout à fait dénigrée.
“Aujourd’hui, toute la stratégie doit partir de là”, nous assure pourtant Dominique Despras.
Les Chambres d’agriculture installées dans chaque département ne devraient donc pas être victimes des baisses drastiques de subsides.
“En revanche, on peut toujours leur demander plus pour le même budget”, prévient le conseiller régional.
Ce qui n’est pas pour rassurer les élus d’opposition :
“Quels moyens vont déployer les Chambres pour soutenir cette agriculture durable ?” demande la socialiste Marie-Hélène Riamon.
Dans un contexte où le nouveau budget de la Région dédié à l’agriculture reste quasi constant par rapport à celui de l’ancien exécutif monté en 2015, s’élevant à plus de 48 millions d’euros, c’est donc une vision politique forte et assumée qui guide les choix de Laurent Wauquiez.
Et dans cette vision portée par le parti Les Républicains, dont le président de région est numéro deux, l’agro-écologie ainsi que toutes ses formes d’animation du territoire rural sont loin d’avoir bonne presse.
Nicolas Sarkozy en avait fait une caricature largement relayée (en vidéo ci-après) :
« Quant à l’expression bizarre d’agroécologie, c’est le faux nez d’une véritable obsession pour la destruction de notre puissance agricole. Notre puissance agricole serait remplacée par la possibilité donnée aux bobos d’aller faire leurs courses à la ferme dans le cadre des circuits courts. »
Et d’ajouter :
« Et pendant qu’on y est, on pourrait même toucher le béret et on aurait le droit, pour chaque produit acheté, de prendre une photo. »
Quel maillage, pour quels projets ?
Le retrait progressif de la Région dans le fonctionnement de ces associations et organismes pourrait les étrangler peu à peu, notamment parce que les subventions régionales déclenchent d’autres moyens cette fois versés par l’Europe.
Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale du groupe Rassemblement (EELV et PG notamment), s’alarme :
“Laurent Wauquiez fait de mauvais choix. En termes de compétences, avec des associations qui sont chaque jour sur le terrain et dont les interventions coûtent moins chères que celles des chambres consulaires, en termes de maillage, en termes de bonne utilisation de l’argent public qui doit servir de levier pour obtenir des financements européens, ces coupes ne sont pas pertinentes.”
La plupart des structures bénéficiaient de conventions triennales avec la Région courant jusque fin 2016. Mais les subventions, dont il reste difficile d’obtenir le montant exact auprès de l’exécutif, devrait chuter dès cette année.
Si lors de la commission plénière qui réunit ce jeudi une poignée de conseillers régionaux, les baisses devraient êtres entérinées, les associations d’agriculture durable espèrent toutefois pouvoir batailler encore ces prochaines semaines et convaincre Emilie Bonnivard d’apporter un soutien financier à plusieurs de leurs projets.
> Article mis à jour le 26 mai à 13h30 avec les informations concernant l’élu en charge de l’agriculture bio à la Région, Dominique Despras, et ses connexions avec la FNSEA et les Chambres d’agriculture.
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