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« Je ne participerai pas à la Quinzaine du commerce équitable au côté de la grande distribution »

Romain Gaidioz est le gérant l’Épicerie équitable, l’un des premiers magasins lyonnais à avoir proposé des produits locaux et équitables.

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Des camions Leclerc sur lesquels on peut lire "consommer mieux ça se décide". ©Romain Gaidioz/Épicerie équitable


Il a pris la plume sur son blog pour expliquer pourquoi son enseigne ne participe plus à la Quinzaine du commerce équitable qui a lieu cette année du 14 au 29 mai.

Nous reproduisons son billet.

Des camions Leclerc sur lesquels on peut lire "consommer mieux ça se décide". ©Romain Gaidioz/Épicerie équitable
Des camions Leclerc sur lesquels on peut lire « consommer mieux ça se décide ». ©Romain Gaidioz/Épicerie équitable

Voila un moment que je voulais expliquer pourquoi L’Épicerie équitable ne participe plus à la quinzaine du commerce équitable depuis déjà quelques années.


« Pour un commerce 100% équitable d’un bout à l’autre de la filière »

Certains petits rappels me semblent nécessaires à commencer par les 4 piliers du commerce équitable autour desquels l’ensemble des acteurs se retrouve :

  • la garantie d’un prix juste qui permet au producteur de vivre dignement de son travail
  • le respect des droits de l’Homme
  • le respect des conditions sociales des travailleurs
  • le respect de l’environnement

Qu’on soit de la chapelle Max Havelaar/FairTrade ou MINGA, ces critères de base font consensus. A l’épicerie, même si nous n’avons jamais choisi que notre propre chapelle pour défendre un commerce plus équitable, intègre et cohérent, on se sent clairement plus proche de la démarche des adhérents MINGA.

La vision Max Havelaar/FairTrade se focalise uniquement sur les coopérateurs des coopératives et oublie le reste de la filière dont la distribution.

A ce titre, on peut considérer qu’il s’agit de la version basse d’un commerce plus équitable. De plus les orientations récentes du cahier des charges font la part belle aux industriels qui se rendent bien compte qu’ils peuvent laver leur image et vendre un peu plus sous couvert d’éthique.

L’association MINGA et ses adhérents défendent un commerce 100% équitable d’un bout à l’autre de la filière, en se demandant comment se passent la production, le transport, la transformation et bien sur la distribution, cette distribution qui ne passe jamais par la grande distribution.

« Wal Mart et Carrefour ont tout pourri depuis 60 ans »

Car à la question réelle « Pourquoi avons nous dû créer l’agriculture biologique et le commerce équitable au siècle dernier ? », on pourrait répondre parce que trois groupes de l’agroalimentaire (Nestlé, Kraft Food et Sara Lee pour ne pas les nommer) et quelques groupes de distribution tel que Wal Mart et Carrefour ont tout pourri depuis plus de 60 ans :

  • en écrasant des filières complètes, du producteur au transformateur,
  • en favorisant l’agriculture industrielle,
  • en faisant des producteurs des machines à surproduire, coûte que coûte,
  • en profitant indirectement des dérives de la PAC (pourtant essentielle après guerre),
  • en n’encourageant l’élevage et la culture que des races et des variétés les plus productives
  • le tout, en faisant fi de la qualité, en n’ayant pour objectif que de maximiser les profits et conforter les zones de pouvoir et de chalandise.

« Un rayon de produits équitables au milieu de produits dangereux »

Alors, quand ces mêmes parasites reviennent 50 ans plus tard en nous disant qu’ils vont sauver la planète et leurs habitants en faisant un rayon de produits équitables au milieu d’un océan de produits sincèrement dangereux pour l’Homme et son environnement (en 2004 nous avions calculé : 0.00046% de produits équitables disponibles en grande surface -en moyenne moins de 30 produits sur 65.000), en faisant des supermarchés bio, en alimentant toujours le même système et les mêmes poches, j’ai un peu l’impression d’être pris pour un idiot.

Là, à cet instant précis, j’entends poindre l’argument fallacieux et récurrent : « Oui mais les produits équitables en grande distribution, ça permet d’augmenter la notoriété et les volumes du commerce équitable ».

Hum … planqués derrière ces deux critères, je ne crois nullement qu’on puisse vendre des produits dits équitables en grande distribution sans nourrir ceux que nous combattons, sans alimenter le système qui nous met la tête sous l’eau, sans être un pion du système qu’on ne croit pas cautionner en adhérant au Front de Gauche, EELV ou Greenpeace.

« Faire les couillons dans les rayons des supermarchés »

Avec Marina, nous avons fait nos premières quinzaines du commerce équitable avant la création de l’épicerie équitable, en 2002, dès la seconde édition.

Nous étions bénévoles de l’association Equi’Sol (ex Max Havelaar Rhône-Alpes) et chaque première quinzaine de mai nous allions faire les couillons dans les rayons de Leclerc, Super U, Carrefour, Auchan pour encourager le consommateur lambda, à choisir un café équitable plutôt qu’un autre et lui expliquer en quoi ça fait sens de consommer un produit juste (« Pourquoi juste consommer quand on peut consommer juste »).

Je me souviens avoir été avec des mamies et des papys bénévoles dans ces rayons, à défendre le commerce équitable dont leur conviction dépassait parfois leur force. Tous ces bénévoles d’Artisans du Monde qui se battaient pour tenir des stands en plein air pour gagner trois clopinettes, quand j’y repense, je trouve ça triste d’avoir utilisé ces belles forces pour enrichir un peu plus ceux qui nous maintiennent la tête sous l’eau.

« Leclerc et Carrefour invités d’honneur des 20 ans de Max Havelaar »

Je crois que la confirmation du point de rupture a été lors des Journées de l’achat Responsable à Lyon à l’automne 2013 avec Marc Blachard, président de Max Havelaar France, à qui j’exprimai ma déception de voir que les deux invités d’honneur pour les 20 ans de l’association Max Havelaar étaient Leclerc & Carrefour (même pas Ethiquable et Alter Eco). A ce moment là, il m’a regardé droit avec ces beaux yeux bleus derrière ses lunettes et m’a dit :

« je sais, mais c’est comme ça. On ne peut pas faire autrement ».

Là j’ai compris que c’était terminé et que c’était fin galvaudé.

« Il est aberrant de vendre en France des courgettes bio de Nouvelle Zelande »

La quinzaine du commerce équitable est organisée en France par la Plateforme Française du Commerce Equitable (PFCE) qui regroupe des membres qui ont la même vision du commerce équitable, la vision basse (c’est d’ailleurs pour ça qu’Andines a claqué la porte de la PFCE en 2004) et dont certaines structures ont une éthique discutable en appartenant à Wessanen, premier groupe de la bio en Europe détenu par des banques, des assurances et des fonds de pension.

Attention, nul idée, ici, de faire le procès de la Plateforme Française du Commerce Equitable ou de Max Havelaar/Faitrade/FLO mais simplement de préciser la différence de point de vue à laquelle nous ne pouvons pas/plus souscrire et donc plus l’encourager.

Oui, nous croyons à un commerce équitable libre, intègre, cohérent, bienveillant et non corrompu par toujours les mêmes.

  • Oui, nous croyons qu’il est aberrant de vendre en France des courgettes bio de Nouvelle Zelande ou des pommes d’Argentine bio.
  • Oui, nous croyons que nous pouvons appliquer le principe du commerce équitable Sud-Nord aux filières courtes à nos producteurs locaux.
  • Oui, nous croyons à une agriculture biologique qui ne soit pas industrielle, hors sol et employant des ouvriers marocains à qui on a confisqué le passeport pour être sur qu’ils ne fuient et qu’on maintient dans la misère parce que ça nous arrange bien.
  • Oui, nous faisons la promotion du commerce véritablement équitable tous les jours dans les épiceries équitables, pas simplement 15 jours en mai à grand renfort de publicité, à l’image de Carrefour.

 

> Lire le billet dans sa version originelle sur le blog de l’Épicerie équitable.


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