La mobilisation d’un collectif d’habitants et d’associations doublée de l’opposition de la mairie du 1er arrondissement n’y a rien fait : la mairie centrale a transféré ces douches municipales à Gerland, rue Delessert, dans le 7e arrondissement.
>Nous republions notre article du 22 janvier dernier.
Créés en 1934, les bains douches situés dans le 1er arrondissement de Lyon sont au cœur d’un débat politique véhément. Lieu public gratuit, ouvert à tous, il doit être fermé prochainement. Tandis que la mairie tente d’éteindre le feu médiatique, une mobilisation citoyenne pour défendre les bains s’est mise en place.
Lundi 18 janvier, lors du conseil municipal, le maire de Lyon Gérard Collomb a été clair : toute négociation est désormais impossible. Au point que l’endroit est devenu en ce mois de janvier une forteresse pour les journalistes. Mais on y a fait un tour.
Blouson bleu sur le dos, Patrick claque la porte des bains douches de l’impasse Flesselles, sur les pentes de la Croix-Rousse, et s’allume une cigarette. A 46 ans, il enchaîne péniblement les contrats précaires dans l’hôtellerie et vient ici se laver deux fois par semaine. Faute d’emploi stable et de revenus suffisants, depuis presque deux mois, Patrick vit dans sa voiture.
Il se dit surpris de la fermeture des bains douches, dont il n’avait pas entendu parler.
« Je n’étais pas au courant. Bien sûr qu’ils devraient les laisser ouverts. On est de plus en plus à vivre dans la rue, et de plus en plus de jeunes. Quand on n’a plus rien, c’est dur de rebondir. Ici au moins je peux venir me doucher de temps en temps ».
Construit en 1934, aujourd’hui presque anachronique, l’endroit a conservé le charme de l’époque, la beauté des termes.
« Un reliquat de l’Etat providence », souffle un agent du CCAS (centre communal d’action sociale), à l’entrée.
Car ici, tout le monde peut venir prendre une douche, sécher ses affaires ou profiter de la chaleur – de l’accueil comme de l’eau – pour un temps. « 20 minutes », indiquent les affiches collées aux portes des douches.
Mais dans les faits, les agents ne comptent pas et les minuteries n’existent plus. Tant qu’il n’y a pas la queue, ils laissent les usagers prendre leur temps.
Après sa douche, François reste un peu attablé dans le couloir des cabines. A la rue « par choix », dit-il, depuis des années, il vient se doucher tous les jours depuis septembre, et raser de près sa barbe grisonante.
« Je pourrais aller me doucher chez des amis, mais je préfère venir ici. C’est un peu devenu mon endroit », sourit le quadragénaire.
Quelques mots échangés avec le gardien sur l’art et la géopolitique russes, et il se met en route, son bonnet enfoncé sur la tête.
Jeudi matin à 9h, l’air est frais et l’endroit assez tranquille. Davantage que le reste de la semaine, car c’est le jour du grand marché de Vénissieux, nous explique-t-on. En moyenne, ils sont une quarantaine à venir se doucher chaque jour aux bains publics du 1er arrondissement.
« Ils ne vont pas aller jusqu’à Gerland, c’est trop loin »
Un public précaire, souvent isolé et très majoritairement masculin. Mais les situations sont variées. Beaucoup de SDF qui vivent dans la rue ou dans leur voiture, mais également des itinérants, des personnes en déplacements fréquents, et puis les « papis », logés dans de vieux appartements vétustes et qui ne disposent pas de salle de bain.
C’est le cas d’Abdlerrazak, installé dans le quartier depuis 1987, et qui ne se voit pas aller ailleurs.
« Je vis ici, je connais les gens, les bars, même la maire, je suis déjà allé chez elle. Où est-ce qu’ils vont aller les vieux qui viennent se doucher ? Ils ne vont pas aller jusqu’à Gerland, c’est trop loin. »
Gerland, ce sont les autres bains douches publics de Lyon (actuellement en travaux), situés rue Delessert, à quelques encablures du stade que l’OL vient de quitter. C’est là que les habitués de Flesselles devront se rendre à partir de mars pour se doucher ou laver leur linge.
Nathalie Perrin-Gilbert, maire de l’arrondissement (Gram/Front de gauche), s’est offusquée de cette fermeture programmée. Elle pose en effet une question de santé publique, d’hygiène, pour les plus précaires notamment, pour ceux qui se trouvent dans la presqu’île et les rues encore très populaires des pentes de la Croix-Rousse.
La difficile immersion des journalistes
Depuis l’annonce à demi-mots de la fermeture des bains de l’impasse Flesselles, le débat politique n’a cessé d’enfler.
« J’assume entièrement cette décision », martèle l’adjointe PS aux affaires sociales à la ville de Lyon, Zorah Ait-Maten.
Pourquoi alors avoir interdit aux journalistes de se rendre sur place ?
Mercredi, la consigne donnée aux agents des bains douches était claire : n’autoriser aucun journaliste muni d’une caméra ou d’un appareil photo. Et si la mairie a fini, jeudi, par autoriser la visite, ce fut à la pause de midi, au moment de la fermeture du lieu pour les usagers.
Aucun risque de cette manière de croiser les principaux intéressés qui, selon l’adjointe au maire, refuseraient de toute façon de parler aux journalistes – évoquant leur situations, « souvent irrégulières » et les positions compliquées dans lesquelles nous pourrions les mettre.
Ces mêmes usagers que nous avons rencontrés, qui ont été plutôt ouverts à la discussion et même ravis de pouvoir donner leur point de vue.
« J’aime venir ici mais s’il le faut par la force des choses, j’irai à Gerland. Il faut bien que je rase cette barbe », soupire François.
Avant même le conseil municipal de ce lundi et sa prise de parole (publiée sur sa page Facebook), Nathalie Perrin-Gilbert, autrefois socialiste, aujourd’hui opposante régulière de Gérard Collomb, avait commencé à alerter sur la situation des bains douches.
Elle dit l’avoir connue par « des bruits de couloir » :
« La fermeture des bains douches du bâtiment Flesselles n’a jamais fait l’objet d’un échange officiel avec la mairie du 1er ni en termes d’opportunité ni même de calendrier. Ce sont des bruits de couloir persistants à l’Hôtel de Ville, ainsi que des informations données par des personnels sous couvert d’anonymat (ce qui en dit long sur le climat qui règne dans notre mairie de Lyon), qui nous ont obligés à « mener l’enquête ». […] Aucune information non plus n’a été donnée aux usagers et usagères qui se seraient trouvés devant des portes soudainement closes, si nous n’avions décidé de mener publiquement le débat ».
Un fait que conteste vivement l’adjointe de Gérard Collomb qui taxe les élus du 1er arrondissement de menteurs. Selon elle, le sujet serait en discussion publique « depuis des semaines », et les bains en sursis depuis 2002 déjà. Débattue ou pas, la question est désormais close pour l’équipe de la mairie centrale.
17 euros la douche
L’idée, pour les équipes de Gérard Collomb, est de se concentrer sur les bains rénovés de Delessert, à Gerland. 24 cabines comme dans le 1er, mais une séparation entre hommes et femmes, et un accès de plain-pied respectueux des normes pour handicapés.
Zorah Ait-Maten assure par ailleurs que les bains douches de Gerland permettront d’accueillir les usagers tout au long de la journée, et pas sur des horaires de bureau, comme actuellement à Flesselles.
Pourquoi alors ne pas garder les deux sites ? A Paris, souligne Nathalie Perrin-Gilbert, la ville compte 17 bains douches municipaux gratuits, confiés en gestion directe aux mairies d’arrondissement.
L’argument est économique. Outre le coût d’une rénovation complète du lieu – 500 000 euros estime la Ville de Lyon –, on considère qu’il n’est plus possible de maintenir les bains douches en activité :
« A Flesselles, on dénombre un peu moins de 9000 entrées en 2015, pour un coût de fonctionnement total de 150 000 euros. A l’unité, ça fait revenir la douche à 17 euros. A Gerland, avec 22 000 entrées par an, la douche nous coûte 8 euros ».
A la direction du CCAS, Hélène Reisch, qui gère les bains douches, insiste sur les différents problèmes techniques :
« On n’est plus aux normes et on a déjà été obligés de faire de nombreux travaux, mais l’endroit est trop vétuste. On a des problèmes récurrents de distribution d’eau et de canalisation ».
Actuellement, près de dix cabines seraient hors d’usage.
« Bien sûr l’endroit est beau et les agents le maintiennent propre. Mais il ne nous permet pas d’accueillir les personnes dignement », déclare l’adjointe aux affaires sociales, Zorah Ait-Maten, avant d’ajouter :
« Et je suis sûre qu’en plus, dans ce bâtiment, il y a de l’amiante ».
« Se doucher à la mairie pour protester »
Les arguments ne convainquent pourtant pas du tout les opposants à la fermeture. Habitant un appartement à deux pas des bains, Didier Grappe est membre du collectif « pour l’aménagement des bains douches » créé en décembre dernier, et à l’origine d’une pétition publiée la semaine dernière.
« C’est un choix politique. Ils laissent se dégrader les lieux pour justifier ensuite leur fermeture. Aujourd’hui c’est beaucoup plus important pour la Ville de financer un beau musée ou les accès à un stade de foot que la santé publique. Mais il faut comprendre qu’il y a des gens qui ne se doucheront plus. On demande à être concerté », explose le professeur d’arts plastiques.
Taxés de « gauchistes idéalistes » par l’entourage de Gérard Collomb, selon les mots de Didier Grappe, le collectif entend fédérer différents mouvements militants à Lyon, et notamment celui des Pendarts, très actif sur ces mêmes pentes de la Croix-Rousse, d’où soufflent bien souvent et de longue date des vents de contestation.
« On va continuer à se battre jusqu’au bout, même si on devine comment se terminera l’affaire. C’est la même histoire qu’avec l’internat Favre ».
Selon le calcul de Didier Grappe, après la fermeture, plus de la moitié des usagers des douches du 1er arrondissement ne se déplaceront pas jusqu’à Gerland. Alors s’il faut aller « se doucher à la mairie pour protester », il dit qu’il le fera.
Que deviendra le local après sa fermeture ? Pour l’heure, pas de réponse de la mairie. Juste sous les bains-douches existe un ancien lavoir, qui a gardé son nom, le Lavoir Public. Il est devenu un haut lieu de la culture alternative lyonnaise, où l’on paie les spectacles selon ses moyens.
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